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Mais qu’est-ce qui m’a poussée à vouloir lire ce livre ? Qu’est-ce qui a pu me donner envie de me souvenir de ces jours de mars 2020, des débuts d’une pandémie et de sa collection de mesures sanitaires dont on ne voit toujours pas le bout 18 mois plus tard ? De me rappeler l’anxiété, l’isolement, la sensation d’inexistence, le manque de vrais regards, l’ambiance de fin du monde dans une ville quasi-morte, ma trouille chaque fois que le numéro de la maison de repos de ma mère s’affiche sur mon téléphone ?
Ce qui m’a poussée, donc : le nom et la personnalité de l’auteur, et mon envie de comprendre un peu plus, un peu mieux, le pourquoi du comment, le sens peut-être, de ce que le Covid-19 nous a infligé.
Marius Gilbert est l’épidémiologiste belge francophone qui a été le plus médiatisé pendant la crise du corona. Invité régulièrement aux JT, en radio ou dans les journaux, pour décoder tant l’épidémie que la gestion de celle-ci par le politique*, il a toujours fait preuve de beaucoup de pédagogie, de respect envers ses interlocuteurs, de modestie et d’autocritique quand il s’agit de reconnaître une erreur d’appréciation ou le fait que la science n’a pas réponse à tout, avec un ton toujours mesuré et constructif, évitant d’alimenter les polémiques.
Pour toutes ces raisons, il est fort apprécié du grand public (moi y compris), parce que ce qu’il dit et explique sonne “vrai” et apaise même quand les nouvelles sont mauvaises. Ce qui n’est pas exactement le cas du langage politique, cacophonique, inconstant, décalé de la réalité de beaucoup de citoyens.
Dans son livre, Marius Gilbert revient sur son vécu de la pandémie, depuis ce fameux JT du 12 mars 2020 où le confinement général allait être annoncé (on ignorait alors que ce n’était que le premier), jusqu’à l’été 2021. De la plongée dans les incertitudes d’une maladie encore peu connue, jusqu’à l’arrivée des vaccins (mais qui ne sont qu’une partie, certes indispensable, de la solution), en passant par l’hypermédiatisation, les difficultés des scientifiques à se faire entendre/comprendre du politique, les multiples intérêts en jeu, la communication bancale vers la population, la pression énorme, la responsabilité générée par sa nouvelle notoriété, ses propres doutes et angoisses, il dresse en toute transparence une sorte de bilan rétrospectif de son expérience de la crise. Mais ce livre n’est pas qu’un journal de bord, il (ré-)explique, en termes clairs, la dynamique d’une épidémie et ses notions de base, la nature de la démarche scientifique, déconstruit quelques fausses bonnes idées (telles que “les hôpitaux sont saturés ? Il suffit d’ajouter des lits” ; “il suffit de protéger/isoler les plus fragiles”, “pourquoi ne fait-on pas comme en Suède ?”,…), montre la complexité de la comparaison des chiffres d’un pays à l’autre. Critique, il pointe du doigt la défaillance de la précédente Ministre de la Santé, la mauvaise communication des autorités, incapables de se mettre à la portée de (certaines franges de) la population déboussolée et à bout de nerfs, et le débat scientifique qui aurait gagné à se dérouler dans une sorte de conférence permanente plutôt que par médias et réseaux sociaux interposés.
Et puisqu’il faudrait que la solidarité, dont nous avons su faire preuve au début de la pandémie pour protéger les plus vulnérables d’entre nous, l’emporte sur l’individualisme ambiant, la perte de cohésion sociale et les clivages anti ou pro-vax, anti ou pro-pass sanitaire; parce qu’il y aura inévitablement d’autres crises globales, sanitaires, écologiques ou migratoires, et qu’on ne pourra les surmonter que collectivement, Marius Gilbert propose quelques pistes : accroître la participation citoyenne aux processus de décision, diversifier les expertises et les mettre en débat (ne pas se limiter aux sciences biomédicales mais faire appel aux sciences humaines), “réenchanter la science” pour la mettre à la portée de tous et participer ainsi à une meilleure compréhension du monde.
De belles paroles, de grandes idées mais complexes à mettre en œuvre ? Certes. Peut-être. Personnellement je ne suis pas une grande optimiste. Mais qui suis-je, et qui sait ?
En attendant, je peux vous dire que ce livre est limpide, nuancé, intelligent, que les raisonnements sont exposés avec rigueur et solidement étayés (et ça, en tant que juriste, j’adore ;-)), et donc convaincants. Et le principal peut-être : en plus de nourrir le cerveau et la réflexion, les propos de Marius Gilbert sont empreints de sincérité, d’humilité, d’humanité. Par les temps qui courent, ça force le respect, et c’est toujours ça de gagné sur l’âpreté du monde.
*en connaissance de cause, puisque pendant les 6 premiers mois de la crise, il a fait partie du groupe d’experts conseillant les autorités belges
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