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Roman fleuve sur Istanbul, ville où beaucoup de nationalités se côtoient, notamment des juifs Stambouliotes. L’auteur nous invite dans un voyage avec une quantité de personnages. Un monde aujourd’hui perdu, la nostalgie y est très présente, les parfums, les regrets… Istanbul est la pièce maîtresse du livre, elle est aimée, adulée, ensorcelante. Beaucoup trop de personnages pour moi, on s’attache à une famille, à son histoire et nous voilà reparti vers d’autres êtres. Ils sont tous très attachants et chacun mériterait un livre.
Le texte de Mario Levi n'est pas de ceux que l'on engloutit précipitamment. Il y faut, au contraire, y infuser du temps pour lui permettre de déployer toutes ses saveurs. Car il est d'une telle densité qu'il a de quoi désorienter un lecteur trop pressé.
Un écrivain, qui n'est pas nommé, étant devenu au fil des années le confident de plusieurs membres d'une même famille, entreprend d'en raconter l'histoire. Les Ventura sont des juifs établis à Istanbul depuis plusieurs générations, mais leurs racines sont européennes. Certains d'entre eux en ont d'ailleurs gardé une attirance pour ces grands foyers de la culture que sont Londres, Paris ou Vienne. Mais en dépit des heurts de leur existence, tous restent profondément attachés à leur ville natale : Istanbul, la cosmopolite, qui répand ses rues bruyantes et animées jusqu'aux portes d'un Orient fantasmé. Pour autant leur enracinement ne s'est pas accompli sans peine ni hésitations. C'est tout le récit de Mario Levi qui balance entre la réalité et l'illusion, entre la vérité et le mensonge, entre ce que l'on a vécu, ce que l'on croit avoir vécu et ce que l'on aurait aimé vivre. Chacune des vies qui composent cette famille, avec en son centre de gravité Monsieur Jak et Madame Roza, est minutieusement portée à la connaissance du lecteur grâce à ces moments d'échange où l'écrivain recueille la parole pour composer son histoire. Son récit est scandé par des mots sans cesse répétés, parmi lesquels trahison et solitude. Comme si l'existence de tous ces personnages n'avait guère tenu ses promesses ; comme si les rêves et les aspirations de la jeunesse s'étaient dissous dans le grand bain de la réalité, qui en aurait changé les couleurs pour en modifier l'aspect initial. Dans cette galerie de portraits intimement composés, écrits avec le souci d'en restituer au plus juste les nuances, c'est la figure de l'écrivain qui transparaît peu à peu, suscitant la curiosité du lecteur. Qui est-il, que cherche-t-il, qu'a-t-il à nous dire que la parole de ceux qu'il interroge ne dit pas ? L'intérêt formidable de ce livre réside dans cet espace de questionnement qui fait de nous, lecteurs, des acteurs à part entière de cette histoire.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire de ce livre, qui est un grand livre sur notre besoin de laisser des traces après notre passage. A l'image de cette petite fille, bientôt déportée qui, après la lecture du Petit Poucet dit à son père : " Si je me perdais, tu me retrouverai, n'est-ce pas ? ". Pourtant ce père faillit à sa promesse. Comment ? Il faut lire ce livre et se laisser porter par sa très grande mélancolie et la nostalgie d'un temps où l'illusion au moins avait un sens.
Claire STROHM & Robert ROTH
Extrait :
"Je voulais découvrir s'il était possible de vivre un texte à travers la voix des autres. Et pour exprimer ce que cela apportait à mon écriture, je devais forger mes propres mots. Mon texte m'engloutissait, je devais mieux savoir et comprendre quelle part de moi-même j'avais mise dans ton personnage. Qui avait écrit en réalité ce texte ? Pour qui ces textes avaient-ils été écrits ?"
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