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Le style ne m'a pas emballé, mais j'ai adoré l'histoire de Bourma.
J'ai aimé que Bourma découvre Camus et se révolte contre le ministère car il n'est pas un esclave.
J'ai aimé son admiration pour la nageur Russe Alexandr Popov.
L'auteur nous montre en filigrane la débrouille quotidienne dans un pays autocratique.
S’inspirant librement de l’histoire d’Eric Moussambani, l’Equato-guinéen qui s’illustra aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000 par son record de lenteur au cent mètres nage libre – n’ayant appris à nager que quelques mois auparavant, dans la petite piscine d’un hôtel, il n’avait encore jamais parcouru cent mètres d’affilée dans un bassin et manqua se noyer lors de la compétition –, Mahamat-Saleh Haroun réalise l’attendrissant portrait d’un héros malgré lui, sur le fond goguenard d’une farce satirique pointant l’incurie cachée sous l’autorité martiale de certains Etats africains.
Dans un pays d’Afrique jamais nommé, où, sous la tyrannie d’un pouvoir corrompu, ne s’avère guère florissante que la plus extrême pauvreté, Bourma Kabo se refuse à devenir l’un de ces « culs-reptiles », ces hommes déclassés et apathiques, qui, tandis qu’autour d’eux rien ne fonctionne - le chômage est endémique, les conditions de vie vont de mal en pis, et toute protestation se voit matée dans la violence -, passent leur vie à palabrer vainement, sans plus bouger de leurs nattes posées à même les rues de leur misérable quartier. Alors, chassé de chez lui par un énième épisode répressif, le jeune homme se résout à partir tenter sa chance à la capitale. D’abord bredouille dans sa chasse à l’emploi, il répond à l’annonce du ministère des Sports qui, depuis qu’un conseiller a convaincu le Président que « Généralement, les Africains sont connus pour participer aux courses à pied. Mais en natation, personne ne s’attend à voir un Africain. Nous créerons une énorme surprise en allant glaner une médaille aux J.O. », cherche à recruter des nageurs.
Peu importe qu’il ne sache pas nager, Bourma est le seul candidat et il n’est pas question de décevoir le rêve de gloire du Président qui, maintenant persuadé des « mérites de la natation, la discipline idéale pour faire connaître le pays et drainer les touristes », « veut absolument voir le drapeau du pays flotter quelque part sur la scène internationale ». Les autorités ayant pris sa fiancée Ziréga en otage pour mieux renforcer sa motivation, Bourma se lance d’arrache-pied dans ses quatre mois d’entraînement, ne négligeant aucun recours – ni prières, ni gris-gris – pour tenter de compenser ses doutes et son amateurisme.
Evidemment, aussi flatteuse la biographie que lui invente l’attaché de presse du ministère et aussi sincères ses efforts à remplir sa mission patriotique, la surprise que l’apprenti champion va bel et bien provoquer à Sydney ne sera pas de celle qu’attendait son pays. Pris en pitié et ovationné par le public du monde entier pour la noblesse toute olympique de ses efforts, il rentrera au pays conspué par ses compatriotes, et, dépité, finira tout compte fait par rejoindre les rangs des « culs-reptiles », réduit à refaire indéfiniment le monde avec eux, à longueur de phrases et de rêves contenus.
D’ailleurs, alors qu’il s’en console en songeant que, peut-être, c’est toujours ainsi que commencent à germer les révolutions, n’est-ce pas un peu aussi ce que fait Mahamet-Saleh Haroun, avec les mots aussi désabusés qu'ironiques de cette savoureuse satire ?
Ceux qui ont suivi les Jeux Olympiques de Sydney en 2000 ont forcément en tête les images de la course à la fois chaotique et héroïque du nageur équato-guinéen Eric Moussambani, les 100 mètres les plus lents de l'histoire, au bord de la noyade, sans jamais mettre la tête sous l'eau, avec un maillot et des lunettes prêtés une heure avant le départ par des adversaires compatissants. Cette aventure follement romanesque a inspiré Mahamat-Saleh Haroun, non pour en faire une hagiographie vantant la devise de Coubertin « l'important c'est de participer », mais plutôt pour construire une fable morale proche de la satire politique.
Quelque part en Afrique sahélienne, le roman démarre dans le quartier populaire de Toroduna, chez les culs-reptiles, les parias de la société :
« Immobiles tels des montagnes, ils ruminaient la noix de cola, sirotant à longueur de journée des litres de thé accompagnés de pain sec. Ils ne bougeaient leurs fesses qu'en fonction de la rotation du soleil, disputant l'ombre aux chiens et aux margouillats. Des indécrottables rebelles qui, faisant fi de tout contrat social, avaient érigé la glandouille en art de vivre.
Assis au bord de la route, au vu et au su de tous, on ne pouvait pas les rater. Adeptes de la contemplation, ils reluquaient les passants, ne s'empêchaient pas de médire. Etranges spectateurs de leur propre vie, ils observaient le monde comme s'ils n'en faisaient plus partie. (...) Dans ce pays où les fils et les filles de étaient assurés de remplacer leurs parents aux postes importants, rien n'avait de sens. Or essayer de penser l'insensé était chose abrutissante. »
Les culs-reptiles sortent de leur apathie habituelle et se révolte contre l'impéritie gouvernementale qui leur inflige un quotidien insupportables : pénuries d'électricité et d'eau courante, manque de logements en dur, toilettes collectives méphitiques, eaux stagnantes, dysenterie généralisée. Mais la révolte collective est violemment réprimée, poussant un de ces culs-reptiles à tenter sa chance individuellement. Bourna Kabo répond à une annonce de la Fédération nationale de natation qui recherche un nageur pour les J.O., il est choisi. Il faut marquer les esprits en glanant une médaille dans une discipline inattendue pour un Africain, histoire de susciter l'intérêt international et d'attirer les touristes. Sauf qu'il ne sait pas nager. Sauf que les J.O. sont dans quatre mois.
S'en suit une farce enlevée, avançant à un rythme soutenu multipliant les péripéties picaresques ( presque trop d'ailleurs ). On est clairement dans l'absurde tellement tout est insensé. La plume a de la verve et on rigole souvent mais l'humour sarcastique est terriblement grinçant. Si l'auteur développe une belle tendresse pour son héros candide - qui croit en son destin sans voir comment il est instrumentalisé par le pouvoir en place - la satire politique est nette, radiographie impitoyable de toutes les dérives de États africains autoritaires : népotisme, cynisme et corruption, la charge est frontale, sans doute inspirée par l'expérience ministérielle de l'auteur ( qui a été ministre du développement touristique, de la culture et de l'artisanat de 2017 à 2018 au Tchad ).
La parole politique démagogique produit du rêve puis des désillusions. La fin est cruelle, mais émouvante avec ses accents voltairiens « il faut cultiver notre jardin » pour combattre l'inévitable pessimisme née du désenchantement.
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