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Ce parchemin est un coucher de soleil à flanc de colline . La prouesse d’un ballet littéraire hors norme. L’immense pouvoir évocateur et fictionnel.
« Trente-quatre récits très courts et assez courts » dont la profondeur magnifique interpelle notre conscience. Bouscule nos regards et ne nous laisse pas indemne.
Première traduction précieuse en français de Linor Goralik est une chance infinie.
Ces entrelacs percutants, parfois tristes, sombres sont une mise en abîme de la Russie. Des êtres perturbants et perturbés. Parfois métaphysiques, les signes transpercent de par les fissures. Dans un entre-monde où tout semble plausible. Sans ombres ni épaisseurs, retenir les résurgences résolument poignantes et magnétiques.
Le printemps « Ils ne donnaient un pin’s comme ça qu’à ceux qui rejoignaient leurs rangs le premier jour, et il ne fallait pas être un enfant particulièrement doué pour comprendre quelle était la logique.. »
L’ambiance est tourmentée jusqu’au paroxysme de la chute. Inoubliable, un emblème fort de la toute puissance et de l’endoctrinement.
Et tous sont souffles et interpellations. Appel d’air et vérité implacable.
Lucides, murmures ou bruits sourds, les récits intranquilles et superbement écrits sont l’idiosyncrasie des existences en proie aux turbulences, aux mouvances intestines.
Les textes sont lianes, siamois, témoins critiques et affables du monde.
Caustiques parfois, crissantes et nécessaires, ces micro-fictions sont des petits cailloux semés par Linor Goralik sur les chemins où les pièges transitent de désespérance et de réalité. Sans fioriture, les récits affirment les désillusions, les quêtes et les soumissions et les conséquences des diktats sociologiques et politiques et sentimentaux.
Observatrice et critique d’un monde contemporain affûté aux périls et aux désenchantements, Linor Goralik décortique les oukases implacables. Ici, pas de blancheur ni de candeur. L’épure du réel dérangeant et inoubliable excelle ces Trente-quatre récits très courts et assez courts . L’infinie douleur d’une humanité oppressée et opprimée.
Essentiel, la lumière blanche et son contraire. Un séisme mental construit d’une main de maître. Traduit à la perfection par Daria Skorobogatova. Publié par les majeures éditions Monts Métallifères Éditions.
Monts Métallifères Éditions signent leur quatrième parution avec ce titre particulièrement original d’une auteure qui s’est fait un nom dans le milieu de la web littérature, où elle y compte parmi l’une des rares auteures russophones. Linor Goralik est une auteure de langue russe, qui fuit le régime de Poutine depuis des années. Depuis le début de la guerre en Ukraine, elle est à l’origine d’initiatives pour entretenir la parole et la création artistique autour de la guerre en Ukraine par le biais de son site roar-review, que j’évoquerai un peu plus loin. Elle tient également un site à son nom sur lequel elle publie régulièrement ses micro-fictions traduites depuis le russe en anglais par Maya Vinokour : elle y publie également de la poésie en anglais et traduite en anglais, ainsi que la première partie d’un livre pour enfant. Le titre que publie Monts Métallifères rassemble certaines de ces micro-fictions, traduites en français par Daria Skorobogatova, illustrées par Margaux Othats.
Ces micro-fictions ou micro-nouvelles, sont au nombre de 34, cela n’aura échappé à personne. Certaines, les plus longues, s’étalent sur une poignée de pages, les plus courtes, à peine sur quelques lignes. Elles sont toutes distinctes les unes des autres, elles sont toutes pourvues d’un titre. Aucun point commun visible entre elles. Le recueil débute sobrement avec la nouvelle Printemps : le titre ne laisse pas forcément présager du contenu de la fiction en elle-même. D’ailleurs, la focalisation ne fait que tourner autour de ce Printemps, l’événement sous-tendu par la narration n’est jamais vraiment abordé clairement avec des mots. L’auteure se place davantage du côté de la suggestion, que de l’évocation directe et l’explication par elles-mêmes, elle ne rentre pas dans le vif du sujet. En revanche, la sensation de malaise est diffuse et prégnante, croissante. Si le titre laissait présager un texte léger, et frais peut-être joyeux, avec toutes les idées qui se rattachent au printemps, la renaissance des éléments de la nature, tout semble perverti, et l’arbre qui devrait égayer le paysage n’est que le bois inerte instrument du bourreau. Compte tenu de la longueur des textes, Linor Goralik ne nous fournit pas de contexte, on ne peut se fier qu’à ses mots, adroitement distillés et agencés, auxquels notre instinct s’éveille et pressent la guerre. La violence. La culpabilité.
Capter des émotions, des impressions, des instants, ce sont le but de ces polaroids, de ces flash fictions selon la version anglophone. Elle nous propose des images qui marquent de leur empreinte durablement l’esprit, l’ombre d’un corps pendu au pommier, des sensations qui oppressent, celle de la viscosité et de la poisse des éléments, de la grisaille du temps. Parfois, un simple mot suffit pour déclencher cette oppression qui nous assaille de fiction en fiction, je pense à ce « jaune crissant » du texte Angle mort, cette épithète « crissant » qui nous écorche le tympan, et ce jaune qui nous étrille la rétine, rien qu’en imaginant l’acuité du jaune en question.
L’auteure se garde bien de nous dévoiler le secret de ses textes, en laissant cette petite marge de mystère et d’inconnu afin que le lecteur puisse se projeter en eux : le deuxième texte intitulé C’est tout laisse planer cette part d’ambiguïté, totalement voulue donc, par l’emploi du syntagme sibyllin « le truc ». Laissant la place à chaque femme, chaque homme, pour y projeter ses propres tourments, sa phobie, son angoisse personnelle. Chaque micro-fiction met en scène une maladie, un traumatisme, une souffrance, un mal physiologique ou mental. Souvent des ennemis causeurs de troubles. Ils dérangent, mettent mal à l’aise, nous bousculent, dans notre confort. Parce qu’en quelques lignes, voir Slasher, quelques paragraphes, quelques pages, elle nous communique l’animosité d’un regard, le drame d’un couple, la fatigue, la sensation d’être exploité, la cruauté d’une maladie mentale. Ce que l’on retrouve dans chaque histoire, c’est peut-être bien la peur : de se perdre, de se ridiculiser, de mourir, d’être abandonné, des drames passés qui hantent le présent. Une peur fugace, en demi-ton, déguisée, au second plan ou au premier, en tout cas, elle est bien là. Parce que l’auteure souligne la condition d’être humain, sa fragilité, ses fêlures, ses vices, ses déviances, ses abîmes. Derrière une violence plus ou moins dissimulée, où la douceur et l’onctuosité du sucre et du beurre de la tarte aux prunes laisse place au choc retentissant d’une gifle auto-infligée. Les claques n’arrêtent pas de pleuvoir, en un geste, une repartie, une émotion, c’est dur, sec, sans concession. Beaucoup de médecins dans ces textes courts, des personnes censées soigner les maux de leurs patients, mais dans la réalité ambivalente, maladive, des textes comme celle de notre existence, leur image se confond bien souvent avec celle du patient. La maladie est omniprésente, tout le monde a besoin d’être soigné, les rôles sont interchangeables.
La lecture de ces micro-fictions ne s’arrête pas là : il faut aller jeter un coup d’œil le projet lancé il y a un mois de Linor Goralik, ROAR REVIEW – Russia Oppositionnal Arts Review – une revue en ligne qui publie des micro essais d’artiste russes sur la Guerre en Ukraine.
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