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« La Vestale » est un classique de la littérature. Venise en immersion sous l’occupation nazie. Ce pourrait être un roman serré comme un café fort. Un mur qui se fissure immanquablement. L’âpreté d’une occupation sans issue possible. Mais Liliana Magrini est douée et en mimétisme absolu avec cette période oppressante.
Sa plume est douce et ses regards sincères. On ressent entre les pages une féminité apaisante.
Il faut dire que l’autrice est vénitienne. Elle écrit en français et on imagine aisément, après avoir lu la biographie finale, des points communs entre elle-même et Elena Viani, la protagoniste principale.
Ici, c’est une mise en abîme de peu de protagonistes. On est d’emblée en complicité avec ces derniers. On suit des yeux jusqu’au point final Elena Viani, à Venise.
Une jeune femme mélancolique, secrète et aérienne. Elle semble d’emblée une vestale, pâle et énigmatique. Sensuelle par ses traits de caractère pudiques et réfléchis. Manichéenne en quelque sorte, d’ombre et de lumière dans ses approches amoureuses.
Elle vit dans un antre aisé et confortable, un palais avec sa grand-mère qui décline fortement et son frère Luca, gravement malade.
Sa grand-mère vit en recluse dans sa chambre. Elena écrit. Elle est dans le même rythme que cette occupation. Elle comble les heures avec douceur, voire lassitude.
Elle est un contre-poids au monde extérieur, de par la vitre où le reflet des allemands est synonyme de filature, de surveillance et de délation.
D’aucuns ne peuvent penser à ce qu’un jour certain elle accepte de cacher un homme : Martino.
Sa prestance silencieuse est gage de secret. Elle acte avec les résistants son soutien pour cet homme.
« Avec une détresse presque enfantine, pendant toute la matinée, Martino avait semblé attendre Elena, en rôdant dans les pièces où il pouvait la rencontrer. »
On aime cette ferveur innocente. Cette grâce juvénile des commencements. Et pourtant Elena est au cœur des mouvances. Elle sait que Martino va partir. Venise est en plongée dans le contre-feu. Les résistants blottis dans les montagnes et cachés dans les coins de mur. Venise panse ses plaies. Elle va vouloir rejoindre les partisans. Quêter l’ombre de Martino. Se heurter de plein fouet à la force de ces hommes de l’ombre. Mais Martino n’est plus là. « Quoi ? pensait-elle ; allait-elle se prendre déjà pour une vraie résistante, rien que pour ce repas avec eux, dans cette atmosphère de vacances ? Non, c’était pour l’instant un jeu, mais ce qui ne l’était pas, c’était cette émotion de se sentir ensemble avec eux . »
Le roman est dans le vif des rapports humains. Des trahisons, des meurtres et des frustrations. Se battre pour chasser l’ennemi. Venise est écartelée. Elena pleure la mort de Luca. Elle rayonne des rencontres avec Francesco. Sourit de voir « La Vestale » renouer avec ses intériorités d’une femme d’écriture et de rêve. Elle, qui touche l’homme comme une caresse sur une peinture. Tout le charme du livre est ici.
« J’ai aimé Giulio, répondit-elle tout bas sans le regarder, et j’ai aimé Martino. Mais je voulais un état où l’amour pût ne jamais être qu’un recours dans la fatigue.. Qu’il fût toujours comme chercher un corps lorsqu’on est ardente de soleil, et que l’on sent la respiration de la mer, la brûlure de la pierre. Pour sceller un accord . Jamais pour confirmer une séparation d’avec le tout ; parfois, d’avec l’être même qu’on aime. »
« J’ai cherché la communion. La Vestale ! Et ma gifle. »
Il faudra attendre le 25 juillet 1943 et la destitution de Mussolini. Renouer avec la vie et les nostalgies des aimés. Les cicatrices vives de Venise, qui cherche encore son souffle. Ce roman est l’ombre de Liliana Magrini.
Publié une première fois en 1953 par les Éditions Gallimard. Saluons sa renaissance grâce aux Éditions Serge Safran éditeur.
À noter une préface explicite de Bruno Racine et « La Venise qui résiste. 1943-1945 » par Maria Teresa Sega. En marge de « La Vestale » : Liliana Magrini et Louis Guilloux par Arnaud Flici et Liliana Magrini Biographie par M.F.
Maintenant en format poche au doux prix de 8,90 € : « Carnet vénitien » de Liliana Magrini toujours aux Éditions Serge Safran éditeur.
« Désormais elle chercherait le partage là où, chacun répond seul de sa propre vérité . » Une fierté éditoriale !
Un livre que j’ai mis longtemps à lire parce que j’avais envie d’aller à mon pas de promeneuse curieuse, saisissant ici une couleur, là une odeur, ailleurs, un bruit, me perdre dans les ruelles, les calli.
Carnet vénitien est un catalogue de tableaux impressionnistes racontant Venise, celle de l’autrice.
Je ne connais pas Venise. Entre elle et moi c’est l’amour et la peur d’être déçue par les touristes beaucoup trop nombreux qui m’empêcherais de rêver, de sentir, voir à mon rythme.
Alors, là, je suis ravie. Je vois les photos, les tableaux et mon imagination fait le reste.
« La lumière aujourd’hui sur la lagune est tellement épuisée que le blanc du ciel et de l’eau n’est qu’une absence de couleur, et contre la lumière, le vert de feuillages et le noir et la brique une seule obscurité cendrée ».
Maintenant que je l’ai terminé, il m’arrive d’ouvrir une page au hasard et la magie perdure.
« Le gris bleu de l’eau du Bacino et du ciel nocturne où la lumière légère de la lune semblait pulvérisée. S. Giorgio était d’une ombre épaisse et souple. Quand passait un vaporetto, quelques blanches lueurs de lune apparaissaient un instant dans son remous »… Et là, vous visualisez le tableau.
« Il n'est pas toujours facile d'aimer Venise, l'hiver. Il y faut parfois quelques efforts : et, toujours un cœur bien attentif. Elle n'y aide pas, dépouillée comme un théâtre en plein jour. Que le ciel colle, jaunâtre, aux maisons, ou qu'il soit haut comme aujourd’hui, d’un gris translucide, jamais une ombre, une lumière brisée ne distrait ou ne voile sa nudité. Ni l'eau : verte ou grise, elle n'est qu’un miroir qui projette sur la ville une clarté cruelle. Les jeux sont finis. »
Un livre d’images, d’impressions, de descriptions qui présente une Venise au quotidien, une Venise encore inconnue du tourisme de base, une Venise énigmatique, envoûtante.
Ce livre , Liliana Magrini, a traduit en italien Malraux et Camus, excusez du peu. Carnet vénitien, écrit directement en français, a été publié la première fois en 1956
Merci Serge Safran, de lui avoir redonné vie ; grâce à vous j’ai fait un beau voyage
L’ubiquité fabuleuse !
« Carnet vénitien » est une déambulation époustouflante, belle à couper le souffle tant sa magie est intrinsèque. Ce classique né est de loin le plus profond des guides de voyage pour visiter Venise. Écrit en 1956 par une Vénitienne, Liliana Magrini, depuis la France, il rassemble l’épars des souvenirs et les intériorités glorieuses et pavloviennes.
Son récit est une opportunité, une lagune d’attache. Ici, vous avez le palpitant de Venise, l’idiosyncrasie de cette ville-île, les habitus en noir et blanc, la cité lagunaire en diapason. Ce texte doté d’une écriture intuitive incite au miracle d’une visite inoubliable.
« Mais la nuit, c’est plus sérieux. Dans la rue : son propre pas, si net parmi d’autres, qui de temps en temps,le suivent, le croisent. Il était peut-être accompagné, puis on le retrouve, seul ; comme incertain d’abord, et presque entravé. »
« Carnet vénitien » macrocosme vivifiant dont chaque image est une renaissance.
« Avant de disparaître, le soleil est parvenu à envelopper l’occident d’un reflet mauve : mais, tout autour, au-dessus d’une eau prise dans une fixité verdâtre, la ville se ramassait de plus en plus dans son gris uni, travaillé de minces traits blancs…. Ce soir, à travers une brume où les maisons sont aussi bleues que le ciel, perce la blancheur aiguë des pierres. »
Rien n’est oublié. Ce texte encense Venise dans ces années où le temps avait une prise sur l’homme et son antre de vie. Scènes au ralenti, le Grand Canal mythique, Venise élève son souffle et s'offre à la trame pensive, nostalgique.
« Vers le soir, enfin baignée d’une ombre bleutée, Venise connaît une heure de repos, qui lui refait une trame douce et unie, dont on ne perçoit que la solidité apaisée ; ce qui s’inscrit dans le ciel encore clair en pointes fines, non plus d’une patiente précision artisanale, mais aiguës de pureté. »
Écrire en français, elle la Vénitienne, renforce l’authenticité. Le crucial d’une mise en abîme riche de sentiments loyaux et d’une connaissance extrême d’aucuns en sont capables. On ressent la mélancolie, l’amour pour Venise qui est une ode. Lagune essentialiste où pas une ombre n’échappe à Liliana Magrini est une photographie qui prend vie.
« Venise existe par les êtres qui la peuplent. »
Sociologique, culturel, mémoriel, philosophique, intellectuel, littéraire, « Carnet vénitien » est une balade confirmée.
Publié par les majeures Éditions Serge Safran éditeur.
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