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J’attendais avec beaucoup d’impatience de lire au moins l’un des deux (?) romans d’auteurs-trices géorgien-e-s de la rentrée – l’autre auquel je pense est le nouveau titre de Nino Haratischwili, La lumière vacillante, paru chez Gallimard – et c’est chose faite. Leo Vardiashvili est un réfugié géorgien, établi à Londres depuis ses douze ans, et qui publie là son premier titre, qu’il a écrit en anglais et que les Editions Fayard publient à l’occasion de cette rentrée. L’auteur est né et a grandi à Tbilissi, la capitale géorgienne, il a émigré en Angleterre après la chute de l’empire soviétique, au moment où le pays est rentré dans le chaos de la guerre civile.
Le personnage de Saba doit beaucoup à la vie personnelle de son auteur : il travaille à Londres, il a comme lui fui la Géorgie post-soviétique accompagné de sa famille, du moins une partie d’entre elle puisque faute de moyen, sa mère est restée au pays. Arrivée à Londres avec son frère, Sandro, et son père, Irakli, celui-ci s’est démené à travers moult petits boulots pour économiser et faire venir la mère, Eka, mais leur plan est tombé à l’eau lorsqu’un escroc s’est emparé de ses économies. Le père décide de revenir au pays, quelques années plus tard, alors que Eka morte depuis longtemps a été enterrée sans revoir ses deux fils, alors que le reste de la famille – oncle, tante, grand-mère – a également été décimée . Le père disparaît mystérieusement là-bas, Sandro le frère aîné décide de se rendre sur place, mais s’évapore tout comme son père, c’est finalement Saba qui retourne également au pays pour lever le voile sur ce qui est arrivé sur son frère et son père, et sur les réminiscences d’un pays qu’il a fui à la va-vite.
Saba est désormais cet homme, qui vit dans le confort d’une capitale qui n’a jamais connu de guerre civile et qui bénéficie d’une économie à peu près stable autant que l’est sa vie là-bas. C’est un voyage inattendu, qui le contraint à sortir de sa zone de confort, retourner dans un passé depuis longtemps mort et enterré en son absence. Un retour dans un pays qu’il ne connaît plus, dont il a perdu les codes, un retour qui s’annonce d’ores et déjà compromis puisqu’il fait l’objet de menaces par la police dès son arrivée à l’aéroport et que Tbilissi est sous les eaux – avec son zoo détruit que tous les animaux ont fui et qui ont ensuite envahi la capitale. Pour supporter ce retour en arrière, le décalage entre ce présent vide de tout et le passé encore bien bâti dans sa tête, Saba est accompagné de toutes les voix de ses proches disparus, en premier lieu celle de sa mère.
Au-delà de la quête de son père et de son frère, ce retour aux sources est l’opportunité pour Saba d’écrire sa conclusion à une vie qu’on lui a volée, saisir les pans de vie qui lui ont échappé à l’époque, de ces histoires d’adultes qu’on ne saisit pas enfant, de reconstituer l’histoire de sa vie, pour cela trouver les pièces absentes, manquantes qui sont restées en Géorgie. Et faire la paix avec voix qui n’arrêtent pas de se bousculer dans sa tête, toutes ces personnes disparues avec son exil en Angleterre, dont les au revoir n’ont jamais été effectués. Une plaie très largement béante qu’il convient sinon de refermer du moins de tenter de cicatriser. L’arrivée de Saba, mais avant de son frère et de son père, réveille les maux de la Géorgie, qui a bien eu du mal à se reconstruire indépendamment de toute tutelle soviétique et ensuite russe. Le point de vue de ce narrateur est très précieux, d’une part pour avoir un aperçu du pays et de sa capitale en période post-soviétique mais aussi actuelle. Tbilissi apparaît dans toute sa dimension de ville à reconstruire, justement en pleine mutation, mais au sein de laquelle Saba parvient tout de même à retrouver quelques repères de son ancienne vie.
Ce mystère qui auréole la ligne directrice du récit confine toujours à une dimension policière ou de thriller politique, le père parle ou écrit toujours par allusion, comme si la dictature n’en finissait pas de peser sur leur dos, ce qui n’est pas totalement faux. De ce roman, on a pu parler de roman picaresque, il y a certes une dimension totalement épique ou Saba se retrouve le nez face à un tigre, des loups, toutes les bêtes échappées du zoo, et de ses clôtures, une portée allégorique de ce qui s’est passée trente ans plus tôt en Géorgie, de ses habitants soudainement libérés de l’entrave socialiste, livrés à eux-mêmes, incapables de bâtir quoi que ce soit dans cette liberté nouvellement acquise, si ce n’est une guerre fratricide. Picaresque, aussi, parce que Saba parcourt monts et vaux dans des destriers métalliques qui tiennent à peine sur leurs quatre roues, jusque dans les régions les plus reculées du pays, jusqu’en Ossétie du Sud, l’une de ces régions disputées par les Russes encore aujourd’hui, et qui donne lieu en toute dernière partie de roman, à un portrait de la guerre qui s’y déroulait, et surtout des terribles conséquences qu’ont subi les habitants. (...)
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