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De par ce livre (c'est français ça ?), ma notation des livres ici commentés est à revoir ou bien Lecteurs.com doit ajouter des étoiles car cette œuvre en vaut plus que cinq sur ma modeste échelle. Il me semble personnellement indélicat de décortiquer en un simple commentaire un tel texte, d'autres abonnés s'y sont essayé pour atteindre à peine la profondeur poétique, toucher à peine du bout du doigt la complexe délicatesse de cette histoire onirique et pourtant si incontestablement, solidement, juste: je n'ai pas leur talent. Mon conseil: ne lisez aucun commentaire, ouvrez la première page, le choc est inévitable.
https://philfff.blogspot.com/2023/11/tres-au-dela-prodigieux-deloignement.html
Comment ? Qu'ouïs-je ? Un inédit de Julien Gracq ? Un court texte, encore mieux, car parfois sur la longueur, Gracq peut être difficile à suivre -bien que Le rivage des Syrtes soit et reste indubitablement dans mon classement de mes livres préférés. Et cette couverture verte qui attire l’œil et que j'ai vue du premier coup chez mes libraires attitrées. Et José Corti, évidemment... Tout est là pour me faire passer un délicieux moment. Il faut rechercher un endroit calme pour en profiter, pour ne pas être distrait et ne pas perdre le fil. Et le charme opère. L'écriture délicate, travaillée, élégante, faite de longues phrases aux mots méticuleusement choisis, pesés imprègne le lecteur qui se retrouve avec l'auteur dans "l'autocar fourbu" puis dans le sous-bois qui entoure la maison. De même, ses remarques sonnent juste : "D'où vient qu'à certaines minutes privilégiées de notre vie, minutes de vacuité apparente et de tension très basse où nous nous abandonnons au courant et marchons vraiment où nos pieds nous mènent, la paroi volontaire qui nous mure contre l'infini pouvoir de suggestion embusqué dans les choses soudain flotte et se dissout, -rendant à une sorte de pesanteur native et aveugle ce qu'il faudrait bien appeler notre matière mentale pour en faire la proie d'attractions sans réplique, et déchaînant en nous un sentiment confus à la fois de sommeil du vouloir et de presque scandaleuse liberté ?" (p.19) Certes, la chose eut pu être dite plus simplement, en moins de mots, mais l'élégance mon cher, l'élégance en eut été absente.
Je peux reconnaître que Julien Gracq ne s'adresse pas à tous les lecteurs, que sa lecture est parfois ardue et qu'il peut paraître abstrus, mais ce petit texte, ne fait qu'une trentaine de pages. Trente pages de Julien Gracq demandent plus d'attention que trente pages de n'importe quel autre écrivain(e), mais celles-ci offrent une entrée assez simple dans son œuvre et l'on pourra dire ensuite que l'on a lu Gracq et que pfff, finalement c'est quand même vachement bien.
Bonjour . L' aspirant Grange est muté dans un village de la Meuse durant la guerre . Dans le train qui l'emmène il regarde le paysage :"quand la vallée reparaissait toute étincelante de trembles sous la lumière dorée , chaque fois que la gorge s'était approfondie entre ses deux rideaux de forêt , chaque fois la Meuse semblait plus lente et plus sombre , comme si elle eut coulé sur un lit de feuilles pourries"
C'est un enchantement de lire Julien Gracq .Le style est une poésie infinie ; nous nous évadons au travers des pages où naissent des odeurs de feuilles mortes , la chaleur du soleil , le bruit des gouttelettes d'eau ou le bruit d'un train:" il quittait la route à l'entrée de la clairière et prenait un chemin de terre qui se glissait entre la lisière des taillis et des clôtures d'épines des jardinets ....Quand il arrivait très tôt , un étang de brouillard traînait encore sur les prairies , d'où sortaient seulement les maisons , la crête des haies et les touffes des pommiers ronds"
Son interprétation de la réalité est telle qu'à travers ses mots on voit le monde comme derrière un appareil photographique :" des soldats en kaki somnolaient assis à califourchon sur les chariots de la poste"
ou " le long de la berge les réseaux de barbelés où une crue de la rivière avait pendu des fanes d'herbes pourries"
Je ne pourrais cesser de noter les innombrables phrases qui m'éblouissent et me transportent sur les rives de la Meuse .
Par moments on découvre la vie de garnison de l'aspirant Grange par des bribes de souvenirs que nous révèle l'auteur
On entend le tintamarre de l'invasion de l'artillerie :" une rue pauvre et grise qui courait à la Meuse ; le crépuscule rapide d'octobre la vidait brusquement de ses passants civils , mais partout des façades jaunes , suintait la rumeur soldatesque :tintements des casques et des gamelles , choc des semelles cloutées contre le carreau.."
On est bercé par un mouvement lent et continu , on avance avec Grange d'une façon bonhomme puis on arrive sur le lieu où loge son régiment . C'est une vie qui pourrait être mouvementée avec la guerre mais point du tout Chaque instant est plein d'une douceur tranquille , une forme de mélancolie dans l'écriture :"Grange et Olivon s'étaient assis un peu en retrait au bord de la route ,sur des fûts d'essence vides , ils regardaient passer les blindés .Ils n'étaient pas très intéressés - le spectacle n'était guère neuf - mais ils ne s'ennuyaient pas non plus"
Ce tableau peint à petites touches de la vie de l'aspirant Grange , un tableau lisse sans trop d'inattendu : " le convoi à perte de vue coulissait dans le grincement des engrenages à l'intérieur d'un lourd cocon de poussière grise qui se balançait sur la laie , saupoudrant les moindres branchettes des chenilles épaisses d'une farine bise , pareille à celle des chemins de fer à chaux"
Et je me laisse emporter par ces alignements de mots , étourdie par la dextérité avec laquelle Julien Gracq sait magnifier les mots, les images et en faire une source d'enchantement...
Tout est sensation ,émotions , harmonie du langage tel un chant délicat . Le charme m'étreint encore: "Elle était spontanée , mais elle n'était pas limpide :c'était les eaux printanières toutes pleines de terre et de feuilles . Les paroles étaient d'une enfant , mais leur audace n'était pas toute naïve ; ce qu'il avait eu soudain sur sa main , c'était une bouche pulpeuse , aux lèvres lourdes , qui savait déjà chercher son bien "
L'aspirant Grange rencontre une jeune femme mais ce n'est pas ce moment qui est ensorcelant mais encore ses locutions:" quand ils sortirent du bois , le hameau était déjà annuité dans sa clairière; seul un carré de lumière tombait par la porte ouverte des Platanes sur la petite terrasse et faisait sortir de l'ombre les basses branches du châtaignier , puis tout autour, faiblement , le troupeau des maisonnettes allongées dans l'herbe , dont le toit dépassait à peine les clôtures d'épines des jardins"
C'est si beau que je noterai quasiment toutes les phrases pour le plaisir de les relire encore mais je vous laisse les découvrir et vous accouder " au balcon en forêt" . Belles lectures . Prenez soin de vous.
Bonjour. Il a fallu que lors d’une discussion, une amie donne son avis sur une lecture de Julien Gracq pour que je découvre ses mots , ses phrases qui ressemblent à des colliers de fleurs , ses phrases qui sont comme des nuages qui s’éparpillent dans un ciel bleu , ses phrases qui vous caressent comme le souffle léger du vent ou ses phrases qui vous noient sous des tourbillons de lexies toutes plus belles les unes que les autres . La poésie est là , courant , rampant , vous enveloppant de souvenirs , de nostalgie , de tendresse , de curiosité, de beauté . Julien Gracq nous transporte au travers de la Bretagne avec des histoires qui nous plonge dans une attente dévorante , l’envie de nous laisser bercer par ces mots.
Dans LA ROUTE , « L’étrange -L’inquiétante route! Le seul grand chemin que j’ai jamais suivi , dont le serpentement , quand bien même tout s’effacerait autour de lui de ses rencontres et de ses dangers- de ses taillis crépusculaires et de sa peut-creuserait encore sa trace dans ma mémoire comme un roi diamant sur une vitre »
Et nous voulons en savoir plus , ces mots , ces phrases nous donnent la soif de connaître davantage ce lieu , cette route qui à elle seule contient des mystères , des vies : » on avançait le coeur battant un peu dans la lumière fine: on eût dit que soudain la route ensauvagée, crépue d’herbe avec ses pavés ombrés dans les orties , les épines noires , les prunelliers , mêlait les temps plutôt qu’elle ne traversait »
On Merche sur la Route au milieu de la poésie de Julien Gracq , à travers la sensualité des mots , avec la cadence des phrases qui nous font avancer , soupirer , et des moments de surprise quand « Au long du Perré , nous rencontrions des femmes «
Puis j’ai roulé avec Simon , dans LA PRESQU’ÎLE , ce jeune homme qui attend sa bien-aimée . : » un moment encore , Simon demeura le nez collé à la vitre; il se faisait en lui un soulèvement d’attente têtue qui ne renonçait pas.. »
Ce jeune homme désespérément seul veut faire passer le temps pour qu’il le rapproche de l’être aimé : « qu’elle ne fut pas là maintenant , tout de suite ,c’était comme l’élancement aigu, désespéré , du souvenir d’une morte , comme s’il n’allait plus jamais la revoir »
Avec ses mots , Julien Gracq a su dire l’amour au travers du souvenir de Simon » Assise, de dos , les jambes pendantes dans l’eau , toute seule au bout de la longue digue nue , sa crinière fourchue attisée par le vent , dansant comme une flamme d’un feu de bois sur la grisaille des vagues », la crainte de la perte: » Quand il descendit , une r au rafale de vent fit un claquement de la portière une petite détonation sèche , lourdement cernée de silence , comme quand on s’arrête pour visiter une ruine isolée ou un cimetière « , le désespoir de l’attente : « il se représenta tout à coup vivement la chambre verrouillée de Kergrit , l’odeur des roses emplissant l’air immobile , les dernières voiles qui rentraient au port et glissaient devant la fenêtre , laissant collée aux murs chaque fois une pellicule d’ombre plus noire »
Et enfin LE ROI COPHETUA , dans un genre diffèrent nous plonge dans une histoire qui mélange l’impression du fantastique au mystère dont Julien Gracq sait si bien user … C’est une magie sombre où chaque mot nous fait attendre: doit-on espérer ?Doit-on croire à ce que décrit le narrateur qui va à la rencontre de son ami Jacques Nueil?
Le narrateur descend du train et « il me semblait que la terre entière moisissait dans la mouillure spongieuse »
Des mots si forts qu’on est tout de suite plongé dans l’indicible peur que quelque chose de terrible ne se produise : » Personne ne m’attendait.. »
Il va traverser la ville seul pour arriver devant la villa de Jacques Nueil , est-ce un mirage que cette femme qui semble l’attendre? » Quand elle entrait , elle envahissait la pièce comme une vague .. à la fois légère et pesante, les yeux lourd et baissés «
Le narrateur attend son ami … et Julien Gracq sait si bien nous dire l’attente et le mystère qui l’enveloppe: » je tirai le rectangle bleu de la poche , déjà froissé , et je vérifiai encore une fois la date de notre rendez-vous »
Comme j’ai aimé parcourir ces histoires pleine des vies d’inconnus, marcher à leurs côtés sur LA ROUTE ,attendre la venue de l’être aimé avec Simon sur LA PRESQU’ÎLE, et aller à la rencontre de l’ami longtemps absent dans LE ROI COPHETUA. Belles lectures . Prenez soin de vous
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