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Avec verve et talent d’écriture impressionnants, Jean d’Espinoy a concocté un réveillon de fin d’année peu ordinaire dans Société anonyme, son second roman salué par l’excellente Amélie Nothomb.
Il ne faut pas se laisser induire en erreur par le titre qui fait penser à une entreprise car, comme je l’ai dit plus haut, l’auteur m’a plongé dans la dernière nuit de l’année, ce fameux réveillon.
Un restaurateur bruxellois, en manque de monde, ne sait pas s’il doit se féliciter de n’avoir que deux clients ou regretter de n’avoir pas fermé son établissement ce soir-là.
Chacune des six parties propose une étape du menu gastronomique, vin compris, de la copieuse entrée jusqu’au café. Mais ne salivez pas tout de suite car le début de ce roman est glaçant. Celui qui est appelé Le professeur parle de la mort de sa mère et de ce baiser qu’il a dû déposer, à l’âge sept ans, sur le front de la disparue, à la morgue.
Le jeune orphelin a été fortement traumatisé par ce moment terrible de l’adieu à la personne la plus chère à son cœur. Il est aujourd’hui âgé de plus de soixante-dix ans et ce choc subi dans l’enfance a fortement marqué ses rapports avec les femmes.
Privé de l’amour de sa mère, il s’est retrouvé avec un grand frère âgé de onze ans. Tous les deux, ils ne s’aimaient guère. La description qu’il fait de son aîné est sans concession. Il dit que celui-ci n’aimait que l’argent et n’était même pas heureux.
Devenu Docteur en lettres classiques, ce professeur se décrit comme un libertin et le prouve en contant ses souvenirs. L’autre client semblant bien taciturne à sa table, l’enseignant maintenant retraité l’invite à partager le festin avec l’accord du patron.
Débute alors un échange extraordinaire, un débat passionné entre les deux hommes : le professeur et le taximan, comme l’autre client se présente. En réalité, cet homme a un autre passé que je vous laisse découvrir pour ne rien divulgâcher.
Le professeur développe donc sa folle passion pour les femmes, n’hésitant pas à offrir des descriptions assez torrides alors que son interlocuteur tente d’élever le débat, de pousser plus loin la réflexion, même si c’est parfois un peu long.
Si le restaurateur se contente, au début, d’écouter les échanges agrémentés d’un vocabulaire très recherché, il réussit tout de même à s’exprimer.
Dehors, la neige blanchit la place du Grand Sablon et cela n’émeut guère nos débatteurs qui ne lâchent rien, chacun refusant de céder à l’autre. Si le professeur partage ses aventures féminines aussi excitantes que douloureuses, c’est le chauffeur de taxi qui se réserve pour l’énorme surprise finale.
Avant cela, Jean d’Espinoy, écrivain belge, m’a emmené au bout de ce festin délicieux largement arrosé avec du champagne en entrée jusqu’au Pacherenc au dessert… un nectar délicieux...
Au fil des pages, j’ai ressenti l’infinie douleur d’un gosse privé de l’amour d’une mère, réfugié dans cette chambre maternelle abandonnée où il a retrouvé parfums et vêtements de cette femme. La marque indélébile du baiser déjà évoqué l’a poursuivi jusqu’au bout. Elle a été aggravée par l’épreuve douloureuse de la pension loin de la chaleur familiale à jamais effacée.
Il faut maintenant s’attarder sur la rencontre du professeur avec un doyen de l’université et sa très jeune épouse. Ce fut une aventure déterminante autant que traumatique pour un homme qui affichait beaucoup de certitude et une forte confiance en lui vis-à-vis des femmes. Croisière en Méditerranée, longère en Côte d’Armor, grand appartement en ville, ces lieux furent le théâtre d’événements qui bouleversèrent la vie du professeur.
Avec beaucoup d’érudition, sans négliger religion et mythologie, Jean d’Espinoy m’a embarqué dans un débat passionnant et je l’en remercie car les rapports entre les femmes et les hommes, en train d’être rééquilibrés aujourd’hui, méritent d’être disséqués afin de pousser au plus loin une réflexion souvent dérangeante pour notre intimité.
L’heure est vraiment avancée quand les deux convives sortent du restaurant. Leur longue discussion n’a pu que leur être bénéfique comme elle l’a été pour moi et, je l’espère, le sera pour d’autres lecteurs de Société anonyme.
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2022/11/jean-d-espinoy-societe-anonyme.html
Un vieux professeur de Lettres Classiques obsédé par la gent féminine, un chauffeur de taxi qui a eu une autre vie avant… et le patron du restaurant dans lequel ils sont attablés dînent tous les trois ensemble un soir de Noël et vont se raconter leurs vies.
C'est extrêmement bien écrit, c'est plein de poésie et de spiritualité, et deux des trois personnages sont dans une constante introspection qui leur a permis de se comprendre eux-mêmes dans le chemin qui a été le leur.
C'est aussi une balade en gastronomie, dans la bonne chère et les bons vins, des plats qui sont une promenade à travers le temps et les lieux. Le patron du restaurant en bon maître de cérémonie voue une vénération à son métier qui confine au sacerdoce.
Le professeur de Lettres est très vieux jeu dans son approche des femmes. Non pas antédiluvien quand-même, quoique, mais anté-metoo c'est sur. Pour lui les femmes ne sont que beauté et assouvissement des désirs… "Ogre avec les femmes", il considèrent qu'elles veulent toutes être cueillies, même si elles envoient des signaux contraires. Pour lui, l'amour charnel est un combat dont l'homme doit toujours sortir victorieux : "Je n'ai d'autre image de l'amour que celle de voiles déchirées, d'outrances, de sacrilèges, de blasphèmes et d'un paganisme profanateur." Ah Godferdom !!!
Ceci étant, on découvre au fil de pages les raisons de son tempérament de Don Juan. Par ailleurs j'ai adoré son côté iconoclaste. C'est pas exactement qu'il bouffe du curé, mais il met à mal la religion et ses grandes théories.
Entre lui et le chauffeur de taxi la contradiction s'installe dans un débat philosophicoreligieux rempli de références culturelles.
Une belle histoire de rédemption !
Merci Jean d'Espinoy pour l'envoi de ce roman.
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