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Les vainqueurs écrivent l'histoire, dit-on souvent, mais si les rôles s'inversaient ? Si les vaincus prenaient la parole...
Pour raconter la victoire des bolcheviques et la défaite des russes blancs et la terreur qui s'en est suivie.
Car l'avènement du bolchevisme signifiât la fin des privilèges de la noblesse russe et de l'intelligentsia, mais pas seulement.
L'impossibilité de trouver un travail lorsqu'on a eu le malheur de naître dans une famille noble, rendant nécessaire la vente des souvenirs familiaux, la réquisition des appartements pour loger d'autres familles.
Puis, les arrestations, les déportations, la torture et les exécutions sommaires.
Les personnages de ce roman n'ont aucune chance de bonheur. Ou alors si fugace. Assia et Liola, deux cousines, en feront l'amère expérience. La terreur stalinienne s'abattra sur chacun de ceux qui leurs sont chers. Natalia Palovna, leur grand-mère, Nina la chanteuse, Sergueï le musicien, Oleg l'ancien soldat. Tous paieront le sang de leurs ancêtres.
Certains tentent de renier leur passé, de se couper de leurs racines pour tenter de survivre. D'autres s'accrochent à leurs parentèle, à leurs souvenirs pour ne pas laisser une dernière victoire aux rouges.
Certains regrettent le tsarisme et d'autres reconnaissent que le régime était à bout de souffle. Tous conviennent que la révolution prolétaire a accouché d'un monstre.
L'héroïsme semble devenir une notion dépassée en ces temps de dénonciation et de calamité.
L'histoire du côté des vaincus ne connaît pas de happy-end, tout au plus un vague espoir que les souvenirs pourront être transmis, qu'une flamme continuera aux travers des nouvelles générations. Un espoir si ténu, face à tant de souffrances.
Un roman sombre et difficile, bien écrit, qui éclaire la face sombre des victoires, et encore une belle découverte aux éditions des Syrtes.
Il est hors de question de résumer un tel pavé mais le récit d’Irina Golovkina, petite-fille du grand musicien Rimski-Korsakov mérite que l’on s’y plonge car il permet de découvrir ces années tragiques qui ont suivi le beau rêve de la Révolution russe. La terreur stalinienne est présente, là, avec toute son horreur et son caractère de machine infernale, dépassant tout ce que nous pouvons imaginer.
Le point de vue de l’auteure est primordial puisqu’elle raconte les événements vécus du côté de la noblesse russe, chez les aristocrates, comme cela est bien précisé à de nombreuses reprises.
Première à entrer en scène, Iolotchka est une infirmière extrêmement dévouée qui était tombée amoureuse d’un officier russe blanc blessé grièvement. Quelques années plus tard, à 28 ans, elle ressemble à une vieille fille, « jeune femme étrange et un peu austère », nostalgique de l’ancien régime : « notre Russie, étendue, blessée à mort, au cerveau et au cœur. » Elle fraternise avec Assia, jeune et belle pianiste mais il y a aussi sa cousine, Liola, le maillon faible par qui le malheur arrivera. Enfin, le personnage central de l’histoire, Oleg, est un ancien lieutenant de la Garde qui revient de déportation après 7 ans. Il a été sauvé de l’exécution en changeant de nom et en s’inventant une vie de prolétaire.
Tournent autour de ces trois personnages les familles, les amis et les gens qui, peu à peu, s’installent dans les appartements communautaires. Oleg qui parle trois langues, n’arrive pas à trouver un emploi et confie au jeune Mika : « Je vis sur les ruines de tout ce qui m’était cher. » Il se sent déclassé : « Déclassé. C’est être retranché de la vie, retranché de son milieu habituel, quand tout passe à côté de soi. » Cela ne l’empêche pas d’avoir un grand mépris pour les prolétaires : « une bande d’ivrognes ! »
Reviennent aussi les souvenirs terribles des combats qui ont opposé les Russes aux Allemands puis ceux de cette guerre civile qui a vu deux camps s’affronter sans la moindre pitié. Nous faisons connaissance avec le système de soins mis en place par le pouvoir soviétique, avec la Tchéka (police politique), avec l’organisation du travail et les assemblées où l’on vote pour tout et pour rien, avec le système de déportation des indésirables et aussi avec l’administration pénitentiaire qui applique la peine de mort à la chaîne…
Par bonheur, il y a de nombreuses pages consacrées à l’amour, aux sentiments, à la musique, à la langue française, pages qui n’évitent pas tragédies et séparations. L’auteure parle aussi beaucoup de la religion qui sert de refuge à certains.
Dans son journal, à la fin du livre, Iolotchka espère : « La Russie se sauvera elle-même, de l’intérieur. » Ce livre, écrit à partir de 1958, ne paraîtra qu’en 1992 dans la revue "Notre contemporain" et l’année suivante enfin, sera imprimé à cent mille exemplaires mais Irina Golovkina n’est plus de ce monde qu’elle a quitté le 16 décembre 1989. La postface écrite par son petit-fils, Nikolaï Golovkine, est très instructive.
Chronique à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
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