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son enfance, ces demi-journées journées partagées entre l’école et le travail dans les champs, son entrée au sein de la police aux côtés des forces occidentales et les menaces de représailles des talibans. Pour eux, Safi était un traître, malgré l’assassinat de son père il ne se soumettait pas.
Pour protéger le reste de sa famille et se protéger lui-même, il lui faut quitter les siens et partir. Premiers contacts avec des passeurs, quelques 10 000 km sur des chemins semés d’embûches, la faim plus prégnante encore que la fatigue, le désespoir puis l’espoir, les amitiés de paille dans les camps de réfugiés… et son regard au loin depuis le haut parvis de la gare Saint-Charles à Marseille. Sa volonté plus forte que tout conduira Safi Mohammad vers ses rêves : apprendre le français, s’intégrer, travailler, fonder une famille… et transmettre son histoire.
Giovanni Privitera, universitaire et écrivain sera son ultime passeur, un ami, celui qui raconte, pas à pas, simplement «Une immersion authentique dans l’univers d’un migrant ordinaire, dans les méandres de l’exil et de l’impossible retour en arrière ».
Maintes fois pendant ma lecture, je me suis révoltée, maintes fois je me suis sentie coupable, installée confortablement pour lire une énième tragédie si bien écrite, comme celles qui font l’actualité, photos à l’appui. On parle maintenant de « l’exil ordinaire d’un jeune afghan »! Effectivement, le parcours de Safi Mohammad est ordinaire, il ne révèle pas de scènes de torture, pas de traversée dans un rafio qui va déverser son chargement en Méditerranée là où nous, touristes, nous baignerons avec délectation cet été, là où sur les plus beaux yachts ces mêmes touristes voyageront avant d’accoster, à quelques encablures des rives où des familles brisées seront débarquées avant d’être dirigés vers les camps de réfugiés.
Il est difficile d’écrire un avis sur un livre dont le sujet fait l’actualité chaque jour, sans se laisser aller à des commentaires personnels. Il s’agit d’un récit écrit à quatre mains, l’auteur avec un vocabulaire précis et une construction claire sur le récit de Safi Mohammad. Malgré les difficultés du long voyage et les états d’âme de ce dernier, il pourrait être tentant de relever un manque de force dans la narration. A contrario d’un roman sur le même thème, la lente progression du voyage sans fin traduit la sincérité des « simples faits », laissant le lecteur à sa réflexion...
Merci aux écrivains passeurs et à Giovanni Privitera, aux ateliers Henry Dougier qui veulent briser les clichés en racontant la société contemporaine, en donnant la parole à des témoins souvent invisibles et inaudibles. Merci à Babelio pour ses masses critiques non fiction.
Giovanni Privitera est un Sicilien ayant « émigré » à Marseille. Cette ville, que beaucoup comparent à une ville du Sud de l’Italie (en pointant très souvent les points négatifs). Il enseigne à Science Po, Aix-en-Provence.
Dans son livre, « Les Siciliens, Lignes de vie d’un peuple », il démonte en cinq grands chapitres, notamment, ces idées reçues qui ont la dent longue sur cette île. Il nous montre que la Sicile, avec un passé de 3 000 ans, a beaucoup changé durant les dernières années.
« Il est indéniable que, depuis l’unification italienne, nos conditions de vie générales ont largement progressé. » (page 18).
Il a pris le parti d’aller à la rencontre de ceux qui vivent et « font » la Sicile. Pour cela, il a privilégié de grands entretiens et des « histoires fortes ». Il a choisi, entre autres, des Siciliens comme : Rosa Cassata, présidente d’un mouvement indépendantiste sicilien « Sicilia Libera » ; Salvatore Lupo, auteur d’un livre monumental « Histoire de la mafia » ; « Pascale », le gamin du film Respiro ; U Zi’ Peppe, habitant de Lampedusa.
Cinq grands chapitres donc :
Chapitre 1 : Un continent en miniature
La Sicile, la plus grande des cinq régions autonomes Italiennes, a eu l’apport de différentes cultures. Elle a été envahie par des peuples très différents les uns les autres. Il en résulte un brassage étonnant.
« Quand, au VIIIe siècle avant notre ère, les premières embarcations grecques arrivèrent en Sicile pour la coloniser, les Sicules, les Sicanes et les Elymes peuplaient la région. Ce sont là les traces les plus anciennes laissées par les populations qui ont précédé les Grecs sur l’île… Conjointement à la colonisation hellénique (essentiellement localisée dans la partie centre-orientale du territoire…), les Phéniciens fondèrent l’actuelle Palerme… et occupèrent la partie occidentale de la Sicile. C’est ici, au IIIe siècle avant J.-C., qu’éclata la première guerre punique, entre Rome et Carthage. Les Romains conquirent progressivement toute l’île qui devint ainsi la première des provinces romaines…. Après la chute de l’Empire romain, les Byzantins restèrent près de 250 ans avant que les Arabes, au début du IXe siècle, ne prennent possession de ce qui deviendra l’émirat de Sicile…. Sous domination islamique, Palerme devint la capitale et seule une minorité de la population se convertit à l’islam. Selon les historiens, ce fut une période de prospérité, aussi bien du point de vue économique que du point de vue culturel. Et bien que la conquête normande de la Sicile à la fin du XIe siècle coïncidât avec la période des croisades…, le nouvel Etat normand conserva de nombreux éléments de l’organisation islamique…. A la fin du XIIIe siècle, les Angevins occupèrent la Sicile pendant seize petites années, jusqu’en 1282 quand ils furent renversés par une révolte populaire… Les Aragonais profitèrent de ce soulèvement pour appuyer le peuple contre Charles d’Anjou et ils lui succédèrent jusqu’au début du XVIe siècle… Avec l’arrivée des troupes de Charles Quint, ce fut l’époque de la Sicile espagnole pendant deux siècles. Et, en 1734, après la brève succession des pouvoirs piémontais et autrichiens, les Bourbons s’emparèrent de la Sicile jusqu’à l’unité italienne, l’expédition des Mille menée en 1860 par le général Giuseppe Garibaldi et l’annexion de la Sicile au tout nouveau royaume d’Italie. » (pages 20 et 21).
Ceci a créé un métissage à tous les niveaux : culinaire, architectural, linguistique… Il existe aussi un fossé économique, culturel, social entre le Nord et le Sud. Mais toutes ces influences ont bien été assimilées et elles font partie intégrante de la culture et de l’identité siciliennes.
Chapitre 2 : Confusion d’identité
Chez certains Siciliens, il existe cette idée de nation sicilienne et d’indépendance. Cette indépendance serait la solution pour éviter l’extinction de la sicilianité. Il n’est pas un doux rêve. La Sicile est une île très riche : en matière d’énergies, de production agroalimentaire, de faune, de flore, du pétrole en abondance. Les siciliens pourraient être autosuffisants dans bien des domaines.
Les indépendantistes réclament des écoles bilingues. Ils veulent un enseignement général en sicilien, tout en gardant l’italien comme première langue étrangère.
Chapitre 3 : Théâtralité sicilienne
Cette théâtralité se retrouve dans les meetings politiques, à la messe, les matchs de football, dans la procession pendant la semaine sainte…
« ….tout ici acquiert une dimension théâtrale. La théâtralité sicilienne est l’un des principaux facteurs de la « sicilitude »… Elle fait partie de la condition du Sicilien….c’est dans leur ADN. » (page 66).
« Chez nous, tout est mis en scène. Même la mort…. Nous avons également une tradition de pleureuses professionnelles aux enterrements. » (page 67).
Chapitre 4 : La mafia, excroissance perverse d’une mentalité ?
Dans l’imaginaire collectif international, la Sicile et la mafia ne font qu’un. Mais ceci est un stéréotype, une exagération. Surtout qu’historiquement, la mafia ne caractérise qu’une partie de l’île, la Sicile occidentale. Par exemple, le cinéma a été un bon vecteur de ce stéréotype.
Pourtant une certaine mafia sicilienne, Cosa Nostra, existe bien. Les batailles livrées par les magistrats, depuis les années 70, se sont conclues par une victoire. Celles-ci ont été menées par le célèbre pool antimafia dont faisaient partie les juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino. Ceux-ci en ont payé de leurs vies, victimes d’attentats les visant expressément.
Dans l’histoire de l’Italie de ces vingt dernières années, cette victoire est l’un des succès majeurs.
« Cependant, quand j’affirme que la mafia a été vaincue en Sicile, cela ne signifie aucunement que nous vivons dans le monde du bien, de la moralité et de la justice. Je veux simplement dire que cette bataille a été gagnée. Mais la guerre ne se gagne jamais, puisque personne ne sait ce qu’il adviendra dans le futur. Et, si « mafia » est une façon de dire « actes criminels », « corruption politique », etc…, alors nous n’avons rien gagné du tout. Par contre, si nous prenons le terme dans son acceptation la plus stricte, nous pouvons affirmer que la mafia a été vaincue en Sicile. » (pages 86 et 87).
Chapitre 5 : Rêve américain, rêve européen
L’émigration sicilienne a été un flux ininterrompu vers l’étranger et vers le Nord de l’Italie, depuis un siècle et demi.
Les principaux pays de destinations étaient, alors, les Etats-Unis d’Amérique, l’Argentine, la France, la Suisse. Puis il y a eu la Première Guerre mondiale et la montée du fascisme. Les Siciliens se sont réfugiés en Tunisie, en Libye ou au Maroc.
La misère et l’absence de travail a, aussi, poussé la population à partir. Ils ont émigré aux Etats-Unis encore, la Belgique, l’Australie.
Ceux-ci faisaient des économies et envoyaient ce qu’ils pouvaient à la famille restée au pays. Cette émigration a été bénéfique à la Sicile d’alors et par ricochet à celle d’aujourd’hui. Ces familles se servaient de l’argent d’abord pour se nourrir, puis pour acheter des terres, pour construire, ensuite, leur propre maison ; afin de s’émanciper des grands propriétaires terriens.
Surtout les Italo-Américains, en rentrant au pays, ont apporté de la modernité dans la façon d’envisager l’agriculture. L’identité italienne s’est renforcée, une sorte de sentiment d’appartenance nationale.
L’aspect négatif, aujourd’hui, est la « fuite des cerveaux ». Les jeunes sur-diplômés ne trouvent pas de travail. Mais, ceux-ci partent définitivement et ne feront pas comme leurs aînés. Et puis, la Sicile souffre d’une crise démographique sans précédent. La Sicile est une des régions d’Europe ayant un taux de fécondité le plus bas.
Une île très proche des ports tunisiens et libyens, Lampedusa, est devenue le rêve européen pour tous les migrants qui aujourd’hui fuient l’Afrique et ses régimes dictatoriaux. Ceux-ci trouvent, pour un temps, une terre accueillante. Ce n’est pas sans risque pour eux : passeurs véreux, noyades, morts…. Mais rien ne pourra les arrêter. Symboliquement, la Sicile leur rend ce que ses habitants ont tant cherché ailleurs.
Giovanni Privitera, dans son livre « Les Siciliens, Lignes de vie d’un peuple » est arrivé à nous présenter la Sicile, avec une culture encore authentiquement populaire. Il s’est attardé sur les spécificités du peuple sicilien…. Car méfions-nous des standardisations, de l’universalité, de l’ethnocentrisme.
« Voyager, décaler la perception, dépayser notre regard, désorienter les certitudes. » (page 131).
Super ce bouquin! Frais, dynamique!
Se lit très bien.
Je le conseille
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