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Je vous rassure, ce n’est pas parce qu’on n’a plus rien à chroniquer qu’on ressort des « vieilleries », c’est simplement que pour moi, cette BD reflète mes premiers émois livresques… Mon papa était un convaincu de F’Murrr (avec trois r, en vrai, mais deux seulement sur la BD ; F’Murrr, dans une interview, explique que le rédacteur en chef de Pilote avait supprimé d’autorité l’un de ses r, sous prétexte qu’en français, il n’y a pas de consonnes triplées, mais que plus personne n’avait rien dit ensuite) mais aussi des bandes dessinées loufoques et c’est à lui que je dois cette découverte !
Au hasard du chemin, j’ai acheté d’occasion quelques tomes et j’avoue que me replonger dedans m’a donné le sourire, j’ai ri, énormément ri mais il est temps de rédiger ma chronique – en gardant mon âme et mes yeux d’enfant mais avec un avis plus construit -.
C’est ubuesque et ça ne plaît pas à tout le monde, voilà comment résumer cette série. Je m’explique…
Déjà rien que le titre nous préviens que nous arrivons dans un monde où tout le monde est barré ! Certains disent qu’historiquement, dans les alpages, de nombreux enfants naissaient avec des capacités intellectuelles limitées, du fait des mariages consanguins et que ces enfants étaient nommés les « génies des alpages ».
On suit la vie d’un troupeau de brebis dont certaines bêtes sont d’une intelligence limitée ou bien d’une intelligence exceptionnelle, elles s’occupent comme elles peuvent en se créant des ennuis – se faire attraper par un aigle – ou bien de façon studieuse – en reprenant les travaux du célèbre Einstein -. On a également un berger possédant une panoplie de chandails tous plus moches les uns que les autres et enfin un chien de berger complètement ringard…
Côté graphisme, cette BD a 40 ans sur le dos et un dessin particulier… Les traits sont un peu grossiers, les couleurs assez mal choisies je trouve… Je n’accroche pas particulièrement mais ça ne me gêne pas tellement dans ma lecture !
Question histoire, il n’y en a pas vraiment, on fonctionne plutôt par gags… C’est décousu, incompréhensible, loufoque, absurde, illogique, mais tellement drôle bien souvent ! Il faut être un peu zinzin, un peu dérangé du bocal et on accrochera ! Moi, je suis FAN !
Ubuesque, cette BD n’a pas d’équivalent, c’est un monde à part, bref si vous êtes très terre à terre, ce n’est pas pour vous !
F’murr, avant « le Génie des Alpages », a publié des gags dans le magazine Pilote, dès 1973. Les planches non retenues ont été regroupées dans un album intitulé « Au loup ! ». A partir du conte de Charles Perrault, « le Petit Chaperon Rouge », F’murr nous propose une suite de variations sur un même thème. Il passe à la moulinette de son humour extravagant les différents épisodes ainsi que les principaux personnages, obtenant ainsi un grand désordre, particulièrement jubilatoire. Et si le loup n’était pas le seul sur l’affaire ? Si le petit Chaperon rouge était plus perverse que le fauve ? Si la mère-grand était en réalité une sorcière ? Que se passerait-il ? Et si, par un improbable télescopage, les personnages d’autres fictions venaient à intervenir dans notre conte ? Que faire d’Alice (celle qui se prend pour une merveille), du Corbeau et du Renard, de Barbe-bleue, voire d’Hamlet dans un tel contexte ? Intenable, me direz-vous ! Tellement intenable que les personnages en viennent à créer un syndicat pour demander des comptes à leur auteur. Et celui, complètement déboussolé, de demander des conseils à Jean de la Fontaine.
Vous l’avez compris : F’murr s’est lâché, transformant l’histoire de notre enfance, en une bande dessinée pour adolescents. La gamine fume comme un pompier. Le loup est dépressif. Le corbeau est totalement stupide. Perrault est plus que dépassé par le petit théâtre de nos angoisses, qu’il a imprudemment créé. Et que dire de cet ange qui passe dans le ciel et n’atterrit que pour critiquer la scène à laquelle il assiste ?
Presque tous les mécanismes de l’humour sont présents. Bien entendu, il y a les jeux de langage dont F’murr est si friand : calembours, contrepèteries, allitérations, litotes. Mais surtout, c’est la relation que F’murr crée avec son lecteur, en lui présentant une vision de plus en plus décalée du monde féérique. Il accentue la violence latente du conte initial, ses contradictions, ses alternatives (en hiver, il faut craindre l’ours blanc et non le loup), sa logique interne, etc. Si bien que ce petit recueil de gags en noir et blanc (dans une version ultérieure, ils seront colorisés), est un écho de l’humour absurde du théâtre d’Eugène Ionesco, des « Exercices de style » de Raymond Queneau, des écrits d’Oulipo (dans le genre Georges Perec) sans oublier les portées métaphysiques d’un Luigi Pirandello. Vous l’avez compris, c’est bien moins innocent qu’il n’y paraît.
Les moutons de F’murr sont très différents de ceux de Panurge. D’abord, il y a Romuald, le bélier noir, ami du chien de berger, chien debout et moralisateur. Ensuite, il y a Athanase, le berger au béret basque, autoritaire et entêté. Mais ce sont surtout les brebis les vrais personnages principaux de la série. Puis il y a les rôles secondaires selon les épisodes évoqués.
Les brebis se révèlent contestataires, médiatrices, narquoises, philosophes, engagées socialement, écologistes, anarchistes. Probablement comme le serait celui qui leur a donné vie. L’humour de F’murr est très particulier. Le rire naît du décalage entre la situation (un troupeau de brebis) et les dialogues. Et sont ainsi évoquées avec légèreté certaines questions métaphysiques … En effet, pourquoi prendre la route de droite (vers le danger) et non celle de gauche (vers la sécurité) ? Le berger prend celle de droite, tout en argumentant son choix avec une brebis ; le troupeau, celle de gauche. Ce gag est presque nietzschéen.
Mais la mise en page des cases au dessin toujours aussi fluide entre également dans les mécanismes comiques de ce treizième volume. Le découpage renforce bien souvent la force du gag. F’murr transforme les cadres des cases en décor baroque. Il utilise des cases au format kakemono pour évoquer le puits dans lequel est tombée une brebis. Si bien que l’ensemble dégage un humour absurde à la Pierre Dac. De plus « le Génie des Alpages » semble un cousin pas si éloigné de Julius Corentin Acquefacques, le personnage récurrent de Marc-Antoine Mathieu.
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