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2056, une vallée des alpes dont les habitants sont menacés par un glacier qui victime du réchauffement climatique, distille dans ces entrailles de l’eau sous pression qui peut à tout instant être expulsée violemment. Lucie et Clémence, deux sœurs jumelles, nées dans les années 2000 ont vécu des périodes conflictuelles, parfois extrêmement violentes, des séparations prolongées et des retrouvailles toujours difficiles. Sans doute, conséquence d’un manque d’amour maternel, l’attitude irrespectueuse et destructrice de Clémence plane en permanence sur la famille sans réconciliation envisageable. Cette dystopie esquisse quelques changements dans les pratiques et les comportements survenus du fait du réchauffement climatique, mais l’objet du roman, dévoilé progressivement par de trop nombreux retours en arrière est celui d’une relation manquée entre Clémence, sa mère et sa sœur. La fin offre un belle éclaircie qui récompense un peu le lecteur d’avoir si longtemps supporter cette ambiance délétère.
Inspiré d’un fait réel survenu sur le Glacier de la Tête Rousse en 1892, le cadre de ce roman se situe 150 ans plus tard, avec la même menace de rupture d’une poche d’eau sous pression, accumulée à l’intérieur d’un glacier.
Mais rien n’est pareil en cette année 2056. Le monde est devenu écologiste et la protection de l’environnement est alors le principal souci du gouvernement qui contrôle tout, pour tenter de sauver la Planète.
Emmanuelle Salasc imagine un monde qui se protège et, en soulevant tous les problèmes qui sont aujourd’hui d’actualité, elle envisage leur évolution et la façon dont ils seront traités.
Son analyse est étonnante, intelligente et probablement visionnaire.
Au milieu de ce monde où la Nature a repris le dessus, vit une famille de paysans, nouveaux dans le temps mais anciens dans les méthodes, qui se débattent avec leurs deux filles jumelles. Car si l’une est douce et malléable, l’autre est parfaitement « invivable ».
C’est ce rapport toxique entre les deux sœurs qui rythme tout le roman et que ce soit leur enfance et leur adolescence perturbées par les crises, ou leur retrouvailles après 30 ans d’éloignement, tout n’y est que manipulation, emprise et violence, au point que l’on finit par s’en sentir soi-même victime.
Un roman sur deux fronts dans lequel la connaissance très poussée de l’auteure des enjeux écologiques et des milieux naturels m’a passionnée, mais où la nocivité et parfois la redondance des rapports familiaux m’ont quelque peu dérangée.
J’ai néanmoins été séduite par cette plongée poétique sur les hauteurs d’une montagne belle et hostile. Il me reste de cette lecture le sentiment d’avoir entrevu un futur possible pour notre société, même s’il faudra attendre quelques années pour savoir si c’était une utopie.
Si l'on devait résumer le livre d'Emmanuelle Salasc par une figure de style, ce serait l'énumération. Oui, l'énumération de ce qui n'est plus, de ce qui est interdit, coupable, hors-la-loi. Nous sommes en 2056 et il a fallu prendre des mesures drastiques pour protéger la terre contre la folie des hommes. Parfait, me direz-vous, il était temps. De toute façon, avions-nous le choix ? Non, certainement. En tout cas, rien n'est plus possible, rien n'est plus permis. Terminée la rigolade. Une nouvelle dictature s'est imposée : l'écologie. Limite si l'on ne s'excuserait pas de vivre. Une écologie radicale qui a imposé une « morale environnementale ». Oubliez les libertés individuelles. Un bain de trop et t'es mort. Tout est réglementé. Le capitalisme a su s'emparer du mouvement, le faire sien. La belle aubaine ! Même la montagne où vit la narratrice est surveillée de près : si tu te baisses pour cueillir ou ramasser quoi que ce soit, l'amende qui te tombe dessus te calme à jamais. Big brother is watching you. « Quelle fleur, quel oisillon, quelle coquille ébréchée, quelle racine, quel rongeur, quel nid, quel vol, quel pétale, quel sabot, quel prédateur, quel regard, quelle proie, quelle brise, quel camouflage, quel souffle, quel foehn, quelle plume tombée, quel flocon, quelle pluie, quelle fonte, quelle sente, quel sentiment, quelle écorce, quel murmure, quel dérapage, quelle pierre, quel hurlement se dérobe à la surveillance, aux prévisions, à la collecte des données. »
Et puis, il y a ce glacier qui risque à tout moment de céder, emportant les gens, les bêtes, les maisons… Un danger constant, une épée de Damoclès qui pèse sur les habitants en contrebas. Un accident a déjà eu lieu, autrefois. Et ça pourrait bien se reproduire. Alors, quand l'alarme sonne, il faut tout quitter et rejoindre les points de rassemblement. « Hors gel » est l'histoire de cette montagne « qui dévisse », où tout glisse, tout dérape, tout dévale. La fonte du permafrost produit des érosions, des écroulements, des avalanches. Alors, on tente de reprendre le contrôle, de maîtriser : on encadre, on inspecte, on vérifie, on calcule, on sonde, on quadrille.
Et franchement, si c'est nécessaire, ça ne rend pas heureux.
Mais « Hors gel » raconte aussi une autre histoire, une autre menace, un autre danger qui risque à tout moment d'exploser et de détruire toute la famille : Clémence, la sœur jumelle de la narratrice, Lucie. Elle est l'insoumise, la rebelle, la terreur, la folle, celle qui part, se drogue, se prostitue même peut-être, celle que l'on tente de protéger, celle à cause de qui Lucie n'a jamais vraiment vécu. « L'enfant que je portais alors, l'enfant que je porte à vie, c'est la peur, c'est ma sœur. » Les deux sœurs ont cinquante ans maintenant, Clémence est revenue après trente ans d'absence et l'alarme qui retentit n'est peut-être pas un simple entraînement...
« Hors gel » est un texte puissant, bien noir, à la fois dystopie écologique (avec une vraie dimension scientifique) et thriller familial. Tout s'effondre, se rompt, s'écroule et ce qui survit ne semble pas en avoir envie. On peut tenter de tout maîtriser, les hommes (en les enfermant, en les enchaînant, en les fichant), la nature (en la contrôlant, en la surveillant, en la neutralisant ) mais le risque, le vrai risque peut-être, c'est de perdre la joie, la lumière, l'enchantement.
Et la poésie aussi…
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