L’avis d’Anja K pour "Marcher droit, tourner en rond" Emmanuel Venet
L’avis d’Anja K pour "Marcher droit, tourner en rond" Emmanuel Venet
Merci à Joëlle G, lectrice, pour son passionnant reportage
Merci à Jean-Paul pour ses impressions, ses rencontres, ses Correspondances
#RL2016 : 560 romans à paraitre, nos #Explolecteurs vont en dévorer 50, venez les découvrir ici !
Il suffira d’une étincelle
L’incendie d’une cathédrale va provoquer un jeu de massacre au sein d’une petite ville de Bourgogne. Emmanuel Venet nous livre une savoureuse satire sociale où l’évêque est priapique, l’immigré bouc-émissaire et les édiles corrompus. On se régale!
Monseigneur Philippe Ligné a bien de la chance, car deux femmes s'intéressent de près à ses pulsions sexuelles. Il y a d'abord Sibylle Stoltz, sa gouvernante alsacienne qui considère qu'il faut bien que la nature exulte et s'offre à la levrette comme elle dit à l'homme d'Église. Mais il y a surtout Marie-Ange Mourron, une paroissienne dont la plastique provoque en lui des sensations inavouables. La jeune femme va jouer un jeu de séduction de plus en plus osé dans le confessionnal avant de tomber dans les bras de l'ecclésiastique. Sous couvert de formation, il va instaurer des rendez-vous clandestins pour assouvir cette passion brûlante qui va pousser Marie-Ange au divorce.
C'est d'ailleurs lors de l'un de ces rendez-vous qu'ils vont apprendre via une chaîne d'info que la cathédrale de Pontorgueil est en proie à un violent incendie.
Cet événement va ébranler bien des certitudes et remettre en cause la gestion de la sécurité de cet édifice patrimonial d'importance. Les historiens se penchent sur l'édification du bâtiment et ses modifications successives, sur l'architecture et sa stabilité. Les enquêteurs vont chercher à savoir si la société privée en charge de la sécurité et des alarmes incendie a tenu ses engagements, mais aussi si la municipalité n'a pas manqué à son devoir de vigilance en signant un peu vite ce contrat. Tous les édiles sont désormais aux abois.
Cependant, «au terme d'une inspection soigneuse des décombres de la cathédrale Saint-Fruscain menée entre le 19 avril et le 11 juin 2010 et d'entretiens avec les protagonistes de l’incendie à la même période, Valère Graunion, expert près la cour d'appel, conclut que, s’il était assez facile de reconstituer la chronologie du sinistre, il était impossible d'en déterminer avec certitude l'origine.» Des conclusions qui n'empêcheront nullement la population de désigner un coupable en la personne d’un immigré qui avait trouvé refuge dans le lieu de culte. À moins que ce ne soit un toxico. Après tout, il suffit de piocher dans les marges pour assurer sa bonne conscience.
La technique qui consiste à circonscrire un incendie en allumant un contrefeu peut s’avérer efficace. Ici, elle serait plutôt susceptible d’attiser les rancœurs, raviver les préjugés, ramener au jour des affaires soigneusement étouffées.
On l’aura compris, Emmanuel Venet se régale et nous régale avec cette satire sociale explosive. Avec ironie et un humour noir mordant, l’auteur fait voler en éclat les conventions sociales. Sur ce bûcher des vanités, chacun va en prendre pour son grade, entre petits arrangements et grandes négligences, entre soif du pouvoir et envie de faire rapidement fortune. De l’homme d’Église au politique, de l’architecte au journaliste, de l’entrepreneur à l’avocat, tous en prennent pour le grade. Ils s’imaginaient avoir un tempérament de feu mais constatent combien il leur est difficile d’entretenir une petite flamme, toute petite.
Saluons aussi la parution de Marcher droit, tourner en rond dans la nouvelle collection de poche des éditions Verdier. Ce roman retrace la confession d’un homme atteint du syndrome d’Asperger qui rêve de retrouver sa camarade de lycée.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
https://urlz.fr/pJCv
Ceci est un livre en 26 chapitres, autant que le nombre de lettres de l’alphabet.
Chaque chapitre a pour titre un mot commençant par une des lettres de notre alphabet. Chaque chapitre est une nouvelle.
Chaque nouvelle peut être lue indépendamment des précédentes.
Les sujets de ces nouvelles ? variés, spontanés, littéraires, intimes, du ressort de la chimie, de la physique ou des mathématiques aussi bien que du cœur, de la raison et de la religion.
Bref, un recueil surprenant de sujets qui ont façonné Emmanuel Venet et définissent ses racines, son travail et son intimité.
Une très belle découverte de cette rentrée, pleine de références, et qui vous permettra de vous situer dans vos connaissances de culture générale.
C’est l’histoire « d’un médecin qui voudrait écrire... mais qui ne sait pas au juste où l’écriture le mène », un homme qui souffre « d’une forme d’écartèlement interne » entre la littérature et la médecine...
Est-ce que « ça intéressera les lecteurs ? Peut-être, on verra bien. »
Qu’il se rassure Emmanuel Venet, la vie banale d’un jeune interne (un double de l’auteur certainement) passionné de littérature et qui se voudrait écrivain sans avoir rien à dire ni vision particulière du monde, ça nous intéresse, nous, les lecteurs !
On s’amuse de ses démêlés amoureux avec la belle et irrésistible Alexia Maurer ou avec une certaine Chantal Magnard à la « croupe un peu large et aux idées indéniablement étroites » qui voudrait bien devenir son épouse et faire de lui un gentil cardiologue de province... On se régale de cette bande d’amis qui ont entrepris de bâtir l’impossible liste des cent meilleurs livres de la littérature française… Que de discussions, de disputes à ce sujet !
Oui, on retrouve avec grand plaisir l’auteur du génial « Marcher droit, tourner en rond », son humour piquant et sa vision désenchantée du monde…
En revanche, les lecteurs iront-ils jusqu’à lui pardonner ces très nombreuses pages barbantes sur les histoires de Thésée, Phèdre et autres personnages mythologiques dont on n’a que faire, pages que l’on finit par ne plus lire tellement l’on a hâte de retrouver notre antihéros et le mal-être existentiel qu’il traîne avec lui.
On a bien compris que notre petite vie que l’on s’invente comme on peut ne fait que reproduire des schémas vieux de plus de mille ans, que notre petite histoire n’est que le reflet d’autres histoires, toujours les mêmes, qu’on ne se sortira jamais des « je t’aime moi non plus », des « fictions conjugales » auxquelles on croit très fort mais qui ne durent qu’un temps… Était-il vraiment nécessaire de mêler à la vie de notre interne celle de personnages mythologiques (dont on se fout royalement) qui viennent rompre le plaisir de la lecture pour comprendre que nous sommes « partie prenante d’un enchevêtrement d’histoires dont [on] ne sait rien, banalement ignorants de [nous-mêmes] et du monde, faits de pièces et de morceaux éparpillés dans une mémoire sans sujet et réunis dans un corps sans mémoire » ?
Éventuellement (et encore!), un traitement particulier de ces petits récits aurait pu retenir l’attention mais ce n’est hélas pas le cas et l’on se retrouve à lire des extraits de dictionnaire de la mythologie... Dommage. Vraiment dommage.
Parce que franchement, on l’aime beaucoup Emmanuel Venet, et on est même prêt à lui pardonner parce que « Virgile s’en fout » renferme des pages merveilleuses sur la vie et la littérature, de celles qu’on aime à relire régulièrement à haute voix tellement elles nous enchantent...
« Comme chacun, j’avance à tâtons dans l’inintelligible, aidé par ces paroles qui me confirment que la marche la plus incertaine peut au moins trouver à se dire ; que les mots peuvent accueillir des réalités qui les excèdent; et que parfois, un lambeau de réel se laisse piéger dans la langue, enchantement qui relance mon envie d’écrire le monde- ou tout au moins l’infime part que je crois en connaître. »
Rien que pour ça, il faut lire « Virgile s’en fout »…
Et aussi, bien sûr, pour découvrir la liste des 100 meilleurs titres de la littérature française !
LIRE AU LIT le blog
Il aura fallu que "Marcher droit, tourner en rond" d’Emmanuel Venet fasse partie des finalistes du Prix des bibliothécaires CBPT (Culture et Bibliothèque Pour Tous) pour qu’enfin je le lise.
Un homme, la quarantaine, assiste aux obsèques de sa grand-mère et s’emporte intérieurement, ressasse, contre l’oraison funèbre exprimée par l’officiante, Dame Vauquelin, loin, très loin de la réalité… nous assistons alors à un long monologue grâce auquel, nous apprenons qu’il souffre du syndrome d’Asperger, forme d’autisme, ce qui lui ôte toute possibilité d’accepter les arrangements avec la vérité. Lui, est un cœur pur et d’une franchise absolue. Cela lui vaut un déficit relationnel et une grande solitude.
Tout au long de ce récit, débité d’une seule traite, alternant présent et passé, sautant régulièrement du coq à l’âne, il passe en revue notre monde fait de mensonges et de faux semblants. Nous apprenons que le narrateur est doté d’un QI de 150, se passionne pour le scrabble "parce qu’il ravale à l’arrière-plan la question du sens des mots et permet de faire autant de points avec "asphyxie" qu’avec "oxygène", ou pour les catastrophes aériennes et aime – platoniquement – depuis sa jeunesse, Sophie Sylvestre.
L’écriture n’est pas ampoulée et cadre totalement avec les propos tenus. C’est à la fois caustique, drôle et tendre. L’auteur rend parfaitement le décalage entre son narrateur et les autres, son incapacité à "[me] plier à l’arbitraire des conventions sociales et d’admettre le caractère foncièrement relatif de l’honnêteté", son côté à la fois réfléchi et fantasque. C’est une belle manière d’aborder cette forme de handicap à l’aune d’un événement de la vie quotidienne. D’un sujet qui aurait pu être pesant, douloureux, accablant, Emmanuel Venet réalise une histoire presque légère où l’autodérision prend tout son sens, où l’humour s’invite au détour de chaque page. Les différents personnages sont décrits de manière à la fois minutieuse et cocasse et notamment le narrateur qui à force de vouloir "marcher droit", il ne lésine pas avec l’honnêteté, la franchise, la rectitude, finit par "tourner en rond", nous assénant ses vérités à lui, répétant à l’envi son admiration pour Roger Walkowiak, célèbre champion de Scrabble, ses listes pour le "petit bac", et ses études de crashs aériens.
Un bel appel à la tolérance
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