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L’historienne Cécile Desprairies a choisi la fiction pour parler de sa famille, des collabos des second et troisièmes cercles. Elle a su mêler avec subtilité le témoignage et la fiction, changeant les noms des personnages et les lieux pour respecter les morts.
De son enfance dans une fratrie de quatre enfants, il lui reste une grande incompréhension de ce qui s’est joué quelques années avant sa naissance. Sa mère Lucie parle de façon codée de ce bon vieux temps. L’auteure se souvient, lorsqu’elle était enfant, de ces réunions familiales, ce gynécée, qui se retrouvait tous les matins chez Lucie pour évoquer à mots couverts ce passé trouble qu’elles regrettaient.
« Dans l’appartement familial, les femmes menaient leur commedia d’ell arte avec ses composantes de ruse mise en œuvre par ma tante et d’ingéniosité incarnée par ma mère…A l’évidence, elles avaient eu leur moment de gloire, de triomphe, même ; Elles ne s’en vantaient pas hors du petit cercle, mais je le percevais sans en connaitre les détails. »
Dans cette famille pleine de secrets, il y a les oncles, l’un s’occupe de propagande au journal Signal et l’autre trempe dans la spoliation des biens juifs. Il y aussi la grand-mère accro à la morphine, la tante vénale, les cousines et les amies, et ce premier mari mort dans des conditions mystérieuses et dont Lucie vénère la mémoire. Le personnage principal est bien Lucie, cette mère intelligente, autoritaire, manipulatrice et énigmatique. Elle a embrassé le national socialiste avec ferveur, comme on adhère à une religion.
« De toute façon, avec Hitler, c’était tout ou rien... Ce sera donc tout, y compris la fausseté, les petits arrangements avec l’honnêteté, les écrans de fumée, la méchanceté parfois et quelques bonnes mises en scènes saupoudrées de propagande. Qui n’adhère pas à son système est à mettre aux encombrants. »
Ce roman est aussi une formidable reconstitution de la France collabo pendant l’occupation. On y découvre les petits arrangements entre soi, les mensonges et les tours de passe-passe pour ressortir « blanc Persil » et cet antisémitisme qui perdurera après la guerre.
Le style est fluide, non dénué d’humour, où les questions sont nombreuses. Ce n’est pas le procès d’une famille trouble, mais bien un travail de recherche pour mieux comprendre la genèse d’un choix.
Il a fallu sans doute beaucoup de courage à Cécile Desprairies pour aborder l’histoire de cette famille et démasquer leurs pitoyables arrangements. Où se situe la vérité ? Quelle est la part de fiction ? On ne le saura pas mais qu’importe. Ce roman magistral nous emporte dans la France de la collaboration et on en sort un peu groggy.
Lucie était-elle une sorte de walkyrie du IIIème Reich ou simplement une opportuniste ?
Pour un premier roman, fallait-il que l’autrice en ai du courage pour parler de cette mère qu’on ne saurait cacher. Dévoiler ce passé familial n’a pas dû être sans souffrance. Révéler une réalité bien triste à nos yeux maintenant que nous sommes à bonne distance pour « juger », n’a pu se passer sans hésitation pour cette jeune femme.
Le roman se situe durant les Trente Glorieuses, période qui nous a été présentée comme formidable et pléthorique en tout. J’ajouterais qu’elle a également laissé quelques réalités au fond des placards afin que la cohabitation entre les français puissent se refaire une beauté.
Le roman de Cécile Desprairies n’aurait peu-être pas eu le même écho il y a 30 ou 40 ans. Les esprits n’auraient pas pu être assez apaisés pour en parler aussi librement que maintenant.
Je devrais d’ailleurs rectifier toutes mes phrases disant -ce roman- et les remplacer par un terme plus approchant qui pourrait être -ce témoignage historique-. L’autrice l’a certes agréablement présenté, un peu comme une saga familiale, mais, en étant si précise quant au contexte historique général, elle a été bien plus loin. A mes yeux ça a été un plus.
La fille de cette Lucie a découvert, à force de recherches tous azimuts, recherches que nous suivons précisément dans ce livre, que sa mère a évolué dans un monde ou intérêt et opportunité étaient les maitres mots d’une non négligeable partie de français.
Il est facile pour nous autres d’être des anti-pétainistes, anti-vichystes. Mais qui peut être certain, à 100%, qu’il n’aurait pas été manger à l’autre râtelier, celui de la collaboration ? Je dis que je suis certaine que je n’aurais pas pu être de « ceux-la » … mais comment puis-je prétendre ceci alors que je ne connais rien de cette époque ? D’une époque qui pouvait s’avérer être tragiquement mortelle si on se trompait.
Lorsqu’on a pu interroger nos ancêtres, on a décelé dans leurs souvenirs que les choses n’étaient pas si tranchées que cela. Les faits ou les actes n’étaient pas ou tout blancs, ou tout noirs. Ne parlons même pas de la perception différente que pouvait avoir un habitant selon qu’il vive dans telle ou telle région de France. L’objectif était pourtant le même pour tous : survivre, lui et sa famille. Parfois on pouvait rêver de faire quelques affaires. Parfois une famille entière pouvait adhérer au fanatisme nazi, s’attaquer « au juif », s’en pendre à l’autre. L’homme n’est pas que bon, mais ça on le sait. Et dans ce livre, on retrouve une bonne dose de tout cela.
Cécile Desprairies a su prendre une distance émotionnelle suffisante pour raconter une des multiples histoires humaines qui se sont déroulées pendant la seconde guerre mondiale.
Chaque guerre étant différente, chaque situation sera analysée de manière différente par l’habitant : et dans tout ce brouhaha, chaque être humain jouera une partition différente.
Historienne, Cécile Desprairies est devenue une spécialiste de la France occupée et collaborationniste. Auteur de nombreux ouvrages historiques sur le sujet, elle aborde pour la première fois le registre romanesque pour raconter l’histoire de sa mère, Française pro-nazie : un récit glaçant qui vient courageusement couronner une vie obsessionnellement consacrée au besoin de comprendre et, loin des discours familiaux, de replacer dans sa réalité concrète la terrible signification des mots « Occupation » et « collaboration ».
Au milieu des années 1960, la narratrice alors enfant assiste chaque matin, dans une ambiance de « gynécée », à de curieuses réunions dans le très chic appartement parisien de ses parents. Sous le patronage de sa mère, véritable « maîtresse de cérémonie », tante, grand-mère et cousine s’immergent avec nostalgie dans l’évocation à demi-mot d’un âge d’or perdu, « cette époque qui leur [a] été favorable », où « elles [ont] su se débrouiller », « une sorte de conte de fées » dont elles se félicitent de manière énigmatique de n’être « pas passées à côté. » Témoin muet d’un « spectacle en langue étrangère, sans sous-titres », la petite Cécile ne comprend pas et s’interroge, le mystère encore épaissi par les étranges marottes maternelles, comme celles de lui faire réciter, « comme une ritournelle », les verbes irréguliers allemands, ainsi que les villes et les fleuves d’outre-Rhin.
Soixante ans plus tard, l’enfant grandie dans les non-dits et un langage qu’il lui aura fallu apprendre à questionner, mettant au jour d’insondables précipices sous la prétendue innocuité des apparences, n’en finit pas d'entraîner toujours plus avant l’adulte qu’elle est devenue dans une insatiable quête de vérité. Ses parents désormais tous deux décédés – « j’ai poussé un discret soupir de soulagement. Enfin, une vie libre pouvait commencer » –, la voici donc qui, brisant le silence, poursuit son cheminement, à la fois personnel sous l’encombrant fardeau laissé en héritage par sa famille, et en faveur du devoir de mémoire avec ce rare et courageux témoignage, non pas du côté des victimes, mais de ceux qui ont profité de la situation en ralliant sans vergogne le camp de l’ignominie.
C’est dans un effroi sidéré que l’on découvre, par-delà les coupables agissements des membres de cette famille pendant la guerre et leur rebond en toute impunité après la Libération, la profondeur des convictions qui, leur vie durant, ne faibliront jamais, confinant même à une forme de folie dans le cas de Lucie, la mère de l’auteur. Jamais remise de la mort, en 1944, de son grand amour et premier mari, le jeune nazi Friedriech dont les travaux sur la biologie génétique faisaient un Mengele en puissance, cette femme farouchement antisémite et germaniste convaincue, si efficace dans sa participation « aux publications du Cahier jaune, réservé aux adultes, et à celles de la brochure Youpino, destinée aux enfants, tous édités par le Commissariat général aux questions juives » et aux campagnes de propagande nazie dans la France occupée qu’on la surnomma la « Leni Riefenstahl de l’affiche » et « la propagandiste », sut, avec son clan, jouer les caméléons quand le vent tourna, mais s’enferma alors, jusqu’à la fin de ses jours, dans l’antalgie d’un déni qui la fit, en privé, s’imaginer sa vie « als ob », « comme si » « ces salauds » n’avaient pas « condamné Pétain », « Laval » ou « assassiné Henriot ». Opportunément remariée à un haut fonctionnaire, pétainiste antisémite reconverti résistant au bon moment et profitant pleinement de l’euphorie des Trente Glorieuses, on la retrouve riche bourgeoise et mère de quatre enfants, pétrie de ressentiment envers ses contemporains dans ce qui devenu un culte à ses idoles nazies, ne vivant plus que de ses réminiscences heureuses de l’Occupation, entre appartements et meubles spoliés par les siens.
Décortiquant la psychologie complexe de sa mère pour un portrait vertigineux où opportunisme se conjugue avec aveuglement, Cécile Desprairies brise silence et tabous pour un récit aussi personnel et courageux qu’édifiant et nécessaire. « À [elle] de combler les blancs, donner du sens, lier les événements, au-delà de ce qui a été. C’est [s]on héritage, la part qui [lui] échoit, [elle] n’en aura pas d’autre. »
C'est du haut de son enfance que Cécile Desprairies parle.
Petite fille dans les années 1960, elle entend sa mère Lucie vitupérer les « salauds ».
Mais qui sont ces « salauds » ? On peut supposer que c'est parce qu'elle a voulu comprendre leur identité qu'elle devint historienne spécialisée dans l'occupation allemande et la collaboration.
En revenant sur le parcours de sa génitrice, c'est le récit des Français qui ont soutenu les nazis et ont échappé à l'épuration qu'elle raconte.
Née en Bourgogne dans un milieu pauvre, l'intelligente et brillante Lucie obtient une bourse pour poursuivre ses études dans un lycée parisien où elle est humiliée par ses condisciples qui se moquent de son accent.
La plupart de ses tortionnaires étant d'origine juive, les responsables des vexations endurées seront une cible toute trouvée. Fruit de la méritocratie, elle aurait dû adopter les principes républicains. Pourtant c'est le désir de revanche qui l'emporta.
Pour narrer l'itinéraire d'une femme dont l'existence fut une immense farce, l'autrice a pris le parti de l'humour.
Ce choix peut en choquer certains. Ce n'est pas mon cas. La satire est peut-être le seul moyen de prendre ses distances et d'éviter l'indignation vaine et le pathos inhérent à l'objet d'étude.
Lucie est présentée comme le mentor d'une famille qui a versé sans exception dans la collaboration. Sa fille l'observe chaque jour entourée de sa mère, de sa cousine et de sa sœur, « un club de femmes à l'italienne » pérorant sur la belle époque du Troisième Reich et la « gloire passée » tout en évoquant avec émotion le souvenir d'un certain Friedrich, « pronazi convaincu », qui fut le premier mari de Lucie après une liaison avec un officier de la Kommandantur...
En dehors de ces réunions familiales nostalgiques et hystériques, Lucie bourre le crâne de la petite Cécile, Coline dans le récit, de théories racistes et lui fait réciter les verbes irréguliers allemands.
Grâce à l'écriture de « La Propagandiste », l'historienne s'est débarrassée d'un passé délétère.
Quant au lecteur, il ressort glacé de cette confrontation avec une période qu'on aimerait oublier.
http://papivore.net/litterature-francophone/critique-la-propagandiste-cecile-desprairies-seuil/
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