Les écrivains en parlent...
Les écrivains en parlent...
De retour dans le sud des États-Unis, avec Carson Mccullers.
Ce sud qu'elle aimait tant. Qu'elle n'hésitait pas à démystifier.
J. T Malone apprend qu'il est malade. Une leucémie. Un an à vivre. La question si souvent posée : que feriez-vous s'il ne vous restait qu'un an à vivre, devient le quotidien de Malone. Alors il ne fait rien. Ne change rien. Continue d'aller travailler tous les jours dans sa pharmacie. de rendre visite à son ami le juge.
Le juge dont le fils est mort il y a plusieurs années. Qui a élevé seul son petit-fils. le juge dont les convictions politiques ont pris racine dans ce sud ségrégationniste, plein de son pouvoir et de sa certitude d'être dans le juste, l'homme blanc est différent de l'homme noir. Pourtant, son fils s'est battu pour l'égalité. Pourtant, le juge, malgré lui, se prend d'affection pour son secrétaire, un sang mêlé.
Sherman ne sait pas d'où il vient, ne connaît ni son père, ni sa mère. Il imagine une femme noire, violée par un homme blanc. L'homme qui lui a transmis ce regard bleu troublant.
Comme d'habitude, avec sa plume si délicate, Carson Mccullers m'eblouit. S'attaque à l'establishment, ramène l'homme à sa juste valeur, sa sensibilité et sa solitude. Quel que soit le côté qu'on a choisi.
« Le cœur est un chasseur solitaire » est un livre au style fluide, à la lecture plaisante. Il est très bien écrit ; c’est d’autant plus remarquable que Carson McCullers n’avait que 22 ans lorsqu’elle l’a écrit et que c’était son premier roman.
Il ne s’y passe pas vraiment grand-chose, car ce sont des tranches de vie qui y sont dépeintes. Sans doute que Carson McCullers avait plutôt pour objectif de pointer du doigt les failles de l’Amérique de la fin des années 30 (misère sociale et pauvreté, racisme, critique du capitalisme et de ses laissés-pour-compte).
Et puis aussi, comme le titre l’indique, c’est un roman sur la solitude.
J’ai trouvé originale l’idée de prendre un sourd-muet comme élément fédérateur de toutes ces solitudes, et comme réceptacle de tous les sentiments, alors qu’il aurait pu être ostracisé par son handicap. Et là, au contraire, ils sont quatre à avoir besoin de la présence de Singer pour pouvoir s’épancher, car c’est le seul qui « écoute » et le seul qui serait à même de les comprendre.
Et lui, Singer, bien que constamment sollicité et entouré (par Mick, le Dr Copeland, Jake Blount et Brannon), il se sent seul également, seul car sans son ami Antonapoulos (qui a été interné).
Ce qui est intéressant, c’est que tous ces personnages qui semblaient englués dans leur misère, vont essayer, chacun à leur manière, de s’en sortir : par la musique puis le travail pour Mick, par le combat pour une race eugénique (et donc le désir de bâtir une société pour les Noirs) puis un départ à la campagne pour le Dr Copeland, par un saut dans l’avenir en migrant ailleurs pour Blount, et enfin par le suicide pour Singer (ce qui s’avère être une sortie comme une autre).
Finalement, pour ceux qui venaient se confier, la mort de Singer aura été un événement déclencheur pour se lancer dans une autre vie.
En résumé, « Le cœur est un chasseur solitaire » est un roman social, un roman sur la différence, et aussi un peu un roman d’apprentissage.
Ce sont des thèmes, somme toute, encore très actuels et c’est en cela que ce livre a une portée universelle et qu’il nous touche.
LA BALLADE DU CAFÉ TRISTE et autres nouvelles
de Carson McCullers
Traduit par Jacques Tournier
Éditions Stock (GF) / Le Livre de Poche
❤ COUP DE COEUR ❤
Il y a longtemps que j'entends le plus grand bien de Carson McCullers mais je ne l'avais jamais lue jusqu'à présent... Je l'ai donc découverte à travers un recueil de nouvelles, LA BALLADE DU CAFÉ TRISTE, et j'ai ADORÉ !
Les sept nouvelles qui composent ce recueil ont toutes la solitude comme fil rouge et Carson McCullers déroule ce fil avec la délicatesse des très grands écrivains.
LA BALLADE DU CAFÉ TRISTE... un livre mis à l'honneur dans le #PicaboRiverBookClub dans le cadre de sa sélection "poches de l'été".
« C'est arrivé au cours de cet été vert et fou. Frankie avait douez ans. Elle ne faisait partie d'aucun club, ni de quoi que ce soit au monde. Elle était devenue un être sans attache, qui trainait autour des portes, et elle avait peur. (... ) Chaque après-midi, le monde avait l'air de mourir, et tout devenait immobile. Cet été-là avait fini par ressembler à un cauchemar de fièvre verte ou à une jungle obscure et silencieuse derrière une vitre. Et puis le dernier vendredi du mois d'août, tout avait changé brusquement. Si brusquement que, dans le désert de cet après-midi, Frankie ne savait plus où elle en était, et qu'elle n'arrivait toujours pas à comprendre. »
Tout a changé. Frankie entre en adolescence avec une colère et une rage quasi irrationnelle, impossible à canaliser, confiné dans la cuisine dans laquelle elle tourne en rond dans des discussions sans fin avec son petit cousin et sa bonne. Elle ne pense qu'à partir, qu'à fuir, jusqu'à l'obsession.
Ce court roman ne mise pas sur l'action à proprement parler, c'est pour mieux explorer la violence des sentiments qui tourmentent Frankie. Frankie, son prénom du 1er chapitre, celui du passé. F. Jasmine, celui qu'elle se rêve dans le 2ème chapitre, celui du présent douloureux qu'elle cherche à fuir. Puis Frances, dans le 3ème chapitre, le prénom qui va l'ouvrir au monde tel qu'elle devra l'accepter.
Ces pages ont beau avoir été écrites en 1946, tout ce qui est dit sur l'adolescence est d'une grande fraicheur, toujours actuel, universel donc : l'effroi face à ce corps qui évolue de façon anarchique, l'insoumission naturelle à l'ordre familial, la crainte de se séparer de l'enfance pour devenir quelque chose d'encore flou , ce flottement inquiétant vers une bascule dans le monde des adultes.
Court ( seulement 200 pages ) mais très dense avec en toile de fond la question raciale dans les Etats sudistes mais aussi la guerre, la Seconde guerre mondiale. L'adolescence est une guerre, oui, mais elle peut se raconter en toute simplicité, avec fluidité, bienveillance et finesse. Un très beau roman initiatique d'une grande qualité d'écriture.
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