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Au départ, un titre énigmatique : « Grand comme »… Il n’y a pas de points de suspension et pourtant il n’est pas difficile de poursuivre, chacun selon sa vie, son imaginaire. Barbara Auzou ouvre, dès le titre, un chemin vers le lecteur. Avec elle nous irons parcourir les sentiers qui vont de la naissance à la mort, dans des contrées de conscience inouïes. Elle réunit nos plus belles émotions pour en faire un bouquet qu’elle nous offre en toute simplicité. Entre tremblement et assurance de la route suivie, elle trouve des mots simples pour aller chercher ce qui nous réunit tous. Complétons à l'envie : Grand comme nos parents, nos sœurs, nos frères, comme nos héros, nos poètes… Grand comme tous nos modèles, toujours plus grands que nous. Grand « comme ton visible passage sur l’âme de mon corps », avec la sensualité au centre de ce petit recueil de grande et belle poésie.
Et si « L’enfant erre au fond de nos sourires », le temps impalpable fait son œuvre, « infime torsion vécue par une autre que moi ». Les choses sont dans l'expansion avant « que tout commence à dégrandir / dans la malice d’une houle céréalière ». Les récoltes sont agitées par le vent, peut-être par la tempête mais elles sont sous nos yeux, à portée de mains... à portée de mots. La poétesse « crieuse d’herbes » cultive sa déraison « dans un rire frais découpé dans les clairières de l’enfance ».
Barbara Auzou, ce sont des mots qui, accolés, forment des images de notre présence au monde, à sa beauté. « Je serai là / de la luzerne levée à la luzerne fanée ». On part d’une description, d’un paysage, d’une évocation jusqu'à l’être aimé, permettant une fusion des sentiments avec la nature omniprésente dans ces poèmes remplis d'oiseaux, de fleurs, de feu parfois, l’horizon et la terre, sans limite. Une sororité des lieux qui se gagne petit à petit.
C’est « la courbe pensive de la marguerite au bord du chemin / saisi de vérité », la promesse « de pincer longtemps la juste note d’une vie / traversière » Elle évoque aussi pudiquement tout ce qui fut déçu en nous, ces rosiers anciens mal coupés, le toucher plus long et l’âme en avance.
Suivre Barbara Auzou c’est prendre la lumière soudaine d’une étoile filante dans sa brièveté et son intensité émotionnelle. Une étoile filante comme ces oiseaux symboles du passage du temps, de l’éclat beau et furtif de la vie. Le poème se fait toujours plus chargé de couleurs comme « les oiseaux tatoués / de passion bleue / travestis en liberté bientôt / dis-moi où vont-ils / quand ils ont quitté nos paumes / ont-ils peur de fermer leurs yeux / sur un bonheur plus grand / que ce qu’ils en concevaient / emportent-ils avec eux / la bille de citron d’une indicible faim »
L’amour, la sensualité à fleur de peau traversent ce long poème qui va comme une vague qui reflue pour mieux revenir ensuite, plus forte peut-être que la précédente. Le calme des émotions douces passe aussi par des éclats soudains : « cheval au sang harponné / si friand du bel aujourd’hui / et qui n’a rien à signaler / si ce n’est les rêves fous / qu’il héberge dans le foin de ses pensées et de ses bravades »
J’ai trouvé ici une expression libre, totale, dans la plus grande simplicité. Le poème entre en moi sans peine, joue un rôle consolateur de peines qu’on croit personnelles alors qu’elles sont universelles. Chacun de nous est unique mais nous sommes aussi troublés d’une enfance fondatrice et d’un corps qui peu à peu s’épuise, chacune, chacun s’ingéniant à remettre « un peu de durée dans le basilic ».
Ce long poème, dans son morcellement, les blancs de la mise en page, trouve le chemin du recommencement, malgré les déception et la fuite du temps. Il est une présence au monde décuplée par les mots, leur simplicité et leur force, dans la musique lancinante d’une vie qui dégrandit et renaît en permanence. Le « Grand comme » du titre est peut-être Grand comme Réné Char, tellement je retrouve avec un immense bonheur (moi qui lis trop rarement de la poésie...) une proximité avec le grand poète, son engagement profond dans l’existence.
Barbara Auzou est née en 1969, en Normandie. Elle y enseigne les lettres depuis trente ans. Elle vient à la création poétique par le biais d’un atelier poésie mené pendant vingt-cinq ans, animant aussi un excellent blog, publiant inlassablement des poèmes qui m’ont enchanté et accompagné pratiquement depuis le début de ce blog Bibliofeel. Je vous invite à visiter son site et surtout à lire ce dernier recueil ou une de ses précédentes publications : Menthes-Friches (2020), Mais la danse du paysage (2021), La réconciliation (2022), Tout amour est épistolaire tome I (2023), avec un tome II en 2024.
J’ai cité beaucoup de fragments de poèmes dans cette chronique afin de vous faire goûter à cette « écriture de haut vol ciselée au plus juste, ce lâcher d’oiseaux au beau milieu d’un asile ordinaire » comme elle l'image si bien. On peut vivre sans cette sensibilité au monde mais c’est tellement mieux avec…
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