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Cent mille couronnes. Une somme rondelette que la grand-mère d'Eyja lui propose pour un nouveau départ, pour accompagner la cousine Rúna en Suède, peut-être écrire le livre dont elle parle depuis longtemps, et surtout quitter son mari, un homme de vingt ans son aîné, surnommé le Coup de vent, un ivrogne avec qui elle entretient une relation destructrice. Eyja hésite, elle aime son mari, croit encore pouvoir l'arracher à ses démons, pense qu'il sera perdu sans elle. Finalement, elle cède, pressée aussi par sa mère et suit Rúna, la Reine du ski, dans son camp de vacances suédois. La cousine, femme forte et volontaire, lui impose une sorte de rééducation, à coup de lever matinal, nettoyage des chalets, baignade dans le lac, refuse de lui passer le Coup de vent au téléphone et l'encourage à coucher avec un autre homme. Entre retours sur le passé, souvenirs d'enfance et profondes réflexions, Eyja se reconstruit et couche sur le papier les mots qu'elle gardait au fond d'elle depuis si longtemps.
Dame Joliette de France, c'est ainsi que dans cette famille les femmes appellent l'aînée de leurs filles. Une famille où l'écriture tient une place importante, le grand-père d'Eyja, dit le Poète National a d'ailleurs reçu le prix le plus prestigieux. Sa mère écrivait, elle aussi, jusqu'à ce que les mariages successifs et l'alcool la coupent des mots. Et quand Eyja écrit son premier article, sa mère cesse définitivement d'écrire. La fille a-t-elle volé son don à la mère ? Quoi qu'il en soit, la culpabilité ne la quitte plus et elle ressent le besoin de sauver les gens, quitte a se perdre. Mariée presque par hasard à un écorché vif qu'elle croit pouvoir consoler et guérir, Eyja veut réussir là où elle a échoué avec sa mère. le livre, largement autobiographique, puisque le grand-père d'Audur JÓNSDOTTIR n'est autre que Halldór Laxness, récompensé d'un prix Nobel, explore la transmission et aussi le travail d'écriture, riche de difficultés et de satisfactions mêlées. L'auteure écrit sans souci de linéarité temporelle, passant du passé au présent, sautant vers le futur. Ce procédé est déstabilisant de prime abord, mais il faut, pour apprécier cette lecture, entrer dans le monde particulier d'Eyja où la colère et la folie cachent une tendresse pudique. L'écriture saccadée, brouillonne, fouillis, prend sens dans la vie chaotique d'une femme qui tente de se remettre sur les rails. C'est un livre difficile à appréhender mais riche d'enseignement sur la création littéraire et la difficulté de se construire dans l'ombre d'un grand homme. Sensible, puissant, loufoque par moment, un roman à découvrir.
On pourra regretter que cela prenne la moitié du livre pour qu’Eyja décolle enfin pour la Suède. Il aura fallu ce temps à l’auteur pour nous présenter longuement la famille à travers des anecdotes passées ou présentes. Nous faisons plus particulièrement connaissance avec la mère, la cousine et la grand-mère d’Eyja tout en ayant un aperçu de sa relation avec son mari.
Ce roman serait largement influencé par l’histoire de l’auteur. L’emphase mise sur le grand-père, grand écrivain de la famille, calqué sur celui de l’auteur, récipiendaire du Prix Nobel de littérature, était de trop même si cela sert le dessein d’Auður Jónsdóttir comme on le verra par la suite. En outre, l’auteur semble se plaire dans les multiples histoires familiales qui n’arrivent jamais tout à fait à passionner.
Hormis le mari d’Eyja, dont on parle mais qui n’a qu’un rôle mineur en tant qu’acteur, le roman ne met en scène que des femmes. On a le sentiment que ces femmes passent leurs vies à faire le ménage, que c’est même la clef de la réussite (Eyja va se mettre à écrire à partir du moment où elle sera obligée de participer aux corvées), l’activité étant d’ailleurs présentée comme démesurément valorisante, que les femmes profitent de ces moments pour se raconter des histoires qui forment in fine le ferment de ce qu’elles sont. Il est difficile d’adhérer au roman quand on a une vision de la vie bien différente de celle-ci.
Le fond et la forme sont très étranges. L’auteur a une imagination débridée qui peut user. Ce ne sont pas tant les cassures temporelles qui dérangent, le procédé étant finalement courant, mais plutôt la présentation en vrac des informations qui confère un côté brouillon à la narration. Ce n’est pas toujours très clair au premier abord et le lecteur a l’impression que c’est à lui de tout remettre en ordre. Les derniers chapitres sont beaucoup plus classiques que le reste du roman et aussi plus compréhensibles et agréables à lire.
En parallèle, on note quelques intérêts à ce roman. Toutes les histoires qui viennent se greffer sur la narration « principale » montrent que nous sommes, et plus particulièrement Eyja, la somme des histoires transmises, entendues, vécues, etc. Ce sont elles qui inspirent Eyja en tant qu’écrivain. La tradition de la transmission orale est valorisée à travers les histoires racontées par ces femmes qui nourrissent l’imaginaire de l’héroïne. On devine qu’Auður Jónsdóttir souhaite montrer la richesse, le potentiel caché de ces femmes. En tant qu’écrivain reconnu, le grand-père était estimé par l’extérieur. Les femmes n’arrivent pas à obtenir cette reconnaissance alors qu’elles en auraient la capacité : leurs histoires sont orales et donc non considérées. Si Eyja peut mener à bien son projet de roman, elle entrera à son tour dans la littérature officielle et sera considérée comme un écrivain à part entière, ce qui constitue un enjeu majeur du roman.
(voir l'interview du traducteur, Jean-Christophe Salaün, sur Lecteurs.com)
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