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Je viens de relire ce livre. Compulsé il y a plus de trente ans, la jeune fille que j'étais n'avait pas compris, je pense, l' enchaînement inéluctable des évènements.
J'y ai retrouvé un style remarquable qui devient de plus en plus rapide jusqu'à s'essouffler pour suivre les dernières actions.
Les descriptions des rues, du tribunal révolutionnaire et des pensées de chacun des habitants sont superbes.
Il faut bien sûr, resituer ce roman dans le contexte où il a été rédigé, en 1912, à la veille de la seconde guerre mondiale, où Anatole France redoutait ce conflit ; ce patriarche de la Gauche française y dénonce les excès de la Révolution . Il fut accueilli comme un paradoxe, mais je crois que la volonté d'Anatole France était de montrer jusqu'où pouvaient mener les idées extrêmes ; ce roman se lit comme une lucide préface à l'horrible XXe siècle, un avertissement contre l'ignorance et la peur qui engendrent la bêtise, la grande tueuse.
Je le relirai c'est sûr !
Par je ne sais quelle incongruité, on a quelquefois reproché à Anatole France son écriture châtiée, dépourvue de tout défaut, qui révélait simplement une connaissance fine de la langue française.
Quelques décennies plus tôt, il n'était pas rare que les écoliers et les collégiens s'échinassent sur un de ses textes. Ecrivain érigé en modèle, celui-ci fournissait la matière de bien des dictées, de bien des commentaires.
De nos jours, le grand Anatole subit une sorte de long purgatoire dont on se demande tout de même s'il ne se prolonge pas outre mesure.
Homme de lettres distingué riche d'une culture humaniste, France incarnait à merveille, ainsi que Voltaire, cet esprit français fait de pénétration et de mesure où se manifeste une partie du génie national.
Aussi peut-on selon moi partager sans la moindre réserve l'enthousiasme de Paul Guth au sujet du livre "Les dieux ont soif".
Gagné aux idéaux de la Révolution, Evariste Gamelin, son héraut, va franchir peu à peu, de compromis en compromission et au nom d'une idéologie toute robespierriste, la frontière qui sépare le juste de l'ignoble, le bon de l'exécrable, le légitime du totalitaire. La force du roman réside dans le fait que le jeune homme pourrait aisément ressembler à chacun d'entre nous, qu'il est capable d'inspirer une vraie sympathie au lecteur, que ses motivations initiales n'ont rien d'inquiétant ou de répréhensible.
Or pris dans un engrenage effrayant, Evariste ne manquera pas d'évoquer le roi aztèque Moctezuma réclamant jour après jour de nouveaux sacrifices pour étancher sa soif inextinguible. La Révolution, devenue Terreur, vampirise bientôt ceux qui la servent et broie ceux qui s'écartent de ses dogmes.
L'histoire narrée magnifiquement par Anatole France progresse comme une course vers l'échafaud. Aussi précise qu'un mécanisme d'horlogerie, la trame romanesque suit les méandres d'un drame inévitable. A force d'être "pur", on finit par mépriser le genre humain, et la guillotine elle-même fait figure d'instrument de rédemption.
Dans ce livre inoubliable où les meilleurs sentiments se transforment en actes de barbarie, Anatole France brosse un tableau saisissant de la période révolutionnaire sans jamais tomber dans l'enflure et dans le pathos.
Prodigieux styliste, il fait avancer le récit de main de maître en donnant à voir de chapitre en chapitre les progrès délétères d'une "raison" ô combien déraisonnable.
On sort d'un tel roman atterré, furieux, abasourdi.
A vouloir faire le bien des hommes malgré eux, on est forcément conduit à faire leur malheur.
France nous l'enseigne ici de manière magistrale !
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En ces années 1793 et 1794 , en pleine période de la Terreur, les Dieux ont soif !
Les maîtres de la révolution se nourrissent du sang de leurs adversaires.
Partout, dans Paris, on traque, on dénonce, on juge de façon expéditive et on mène à l'échafaud des charretées de condamnés.
Le roman est construit autour de l'évolution d' Evariste Gamelin, un jeune peintre acquis aux idéaux des Jacobins, nommé juge au Tribunal révolutionnaire et qui se transforme rapidement en juge intraitable et inhumain : « un monstre » .
Anatole France fait vivre à ses côtés, nombre d'autres personnages, représentatifs des deux camps qui s'affrontent, qu'ils soient soutiens du nouveau régime fiers de leur autorité, ou partisans de l'ancien qui craignent pour leur sort .
C'est tout le peuple de Paris qui vit dans ce roman où se mêlent aussi bien discussions politiques où s'affrontent des points de vue opposés, qu'intrigues amoureuses ou scènes de vie de tous les jours dans le Paris de la Révolution où tout vient à manquer, où l'on a faim, où l'on a froid, où il est difficile de gagner sa vie.
LES DIEUX ONT SOIF est un roman qui non seulement plonge son lecteur dans le quotidien d'une période qui a bouleversé l'Histoire mais qui l'incite aussi à une réflexion sur l'exercice de tout pouvoir politique . « C'est la certitude qu'ils détiennent la vérité qui rend les hommes cruels»
Parue en 1912, cette belle œuvre à l'écriture limpide, pleine d'élégance et au charme un peu suranné reste d'une grande actualité à l'heure où certains pays sont plongés dans le fanatisme et la barbarie .
Paris 1793. Peintre médiocre et désargenté, Evariste Gamelin a pris fait et cause pour la Révolution dont il admire les héros, Marat et Robespierre. Citoyen exemplaire -il fait partie de la section révolutionnaire de son quartier-, c’est aussi un bon fils qui s’occupe de sa mère veuve et l’amoureux transi de la belle Elodie, la fille du marchand d’estampes à qui il vend ses œuvres. Charmant et généreux, il n’hésite pas à partager le peu qu’il a avec les miséreux mais devient intransigeant dès qu’on ose critiquer la Révolution devant lui. Cette intransigeance va se s’exacerber lorsqu’il est nommé juré au Tribunal révolutionnaire. Attaqué à l’extérieur et à l’intérieur, le régime se défend par la Terreur et les condamnations à mort sont légion. Evariste se plonge corps et âme dans sa mission, ajoutant au sang, le sang de ses ennemis personnels, l’amant de sa sœur qu’il exècre pour s’être un temps exilé, son voisin, le sage Brotteaux et surtout l’aristocrate qu’il soupçonne, à tort, d’avoir séduit et abandonné sa tendre Elodie. Impitoyable, aveugle et sourd aux prières comme aux injonctions de ses proches, Evariste condamne à la guillotine à tour de bras et ne s’arrêtera qu’avec la fin de la Terreur. Il périra alors de la même façon qu’il aura fait périr.
Roman de la Terreur, du fanatisme, de la foi aveugle, Les Dieux ont soif est un caillou dans la mare de la Révolution vue comme source de progrès, d’égalité, de liberté. Ici la politique est érigée en religion. Les fidèles croient sans réfléchir et sont prêts à tuer pour leurs dieux, les incroyants sont considérés comme des traîtres, des infidèles qui méritent la mort. Evariste Gamelin est le prototype du croyant convaincu qui ne s’embarrasse pas des scrupules qui parfois l’effleurent. Pour la cause, il faut faire des sacrifices, purger la société de ceux qui la gangrènent et qu’importe si l’on devient plus sanguinaire encore que ceux que l’on combat. A l’opposé, son voisin Brotteaux apparaît comme un homme sage et ouvert qui n’hésite pas à se mettre en danger pour sauver un homme dont il ne partage pas les convictions. L’intransigeant et le sage mourront, victime tous deux d’une époque violente et d’un idéal qui s’est fourvoyé
Si Anatole France ne juge pas, il aime à montrer que la démocratie est née dans le sang et qu’on peut faire le pire au nom du meilleur.
Ecrivain oublié, il est pourtant tellement moderne. S’il décrit les mécanismes qui ont conduits les révolutionnaires, chantres de l’égalité, de la liberté et de libération du peuple soumis à la monarchie, on peut transposer son récit à la révolution russe de 1917 qui a conduit au stalinisme et à tout autre régime totalitaire passé ou à venir. Car à vouloir faire le bonheur du peuple contre son gré, on le mène inévitablement vers son malheur…
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