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Le grand départ annoncé avec cet après inconnu, puis ce fichu manque.
Du statut de père en combat contre son cancer depuis 2 ans, le père d’Adèle Van Reeth passe à ceux que l’on appelle en fin de vie. Terme qui sous-entend qu’on ne sait pas quand le malade va nous quitter, comment il va le faire, ni si nous serons à ses côtés le moment venu.
L’autrice a commencé l’écriture de ce livre en se disant que cela ne changerait rien, ne guérirait rien, mais que le besoin de mettre cet évènement à plat se révélait impératif pour elle. Même allaiter son enfant pendant qu’elle tape le texte sur l’ordinateur ne la freinera. Faut que ça accouche.
Dès les premiers mots, les premiers chapitres nous sommes plongés dans l’environnement et la tête d’Adèle Van Reeth. Elle est à vif, cette période puis la perte l’ont massacré.
Elle en est devenue plus humaine pour moi qui la considérait comme un être froid, hautain, trop affirmative à chaque fois qu’elle prenait la parole lors des émissions littéraires, émissions qu’elle animait avant de devenir Directrice à France Inter.
Quelques redites dans ce livre, mais on peut lui pardonner ; elle avait besoin de le dire avec toutes sortes d’images, tout type de mots, sous tous les angles
Quelques citations parleront mieux que tout ce que je pourrais commenter de ce témoignage.
« Il existe une tristesse sans consolation. Un état d’âme puissant et indépendant de toute causalité explicite. C’est l’inconsolable, ce sentiment de perte qui persiste, la certitude qu’il manque quelque chose à notre vie, comme si nous n’étions pas complets et que cette incomplétude originaire naissait non pas de la frustration, ni de la colère, mais un chagrinais nom, sans visage. »
« Cette tristesse peut devenir une histoire d’amour toxique. »
« Il y eut tellement de rendez-vous d’où je pensais sortir en larmes, je redoutais le rendez-vous de la -dernière fois-, …une situation d’urgence qui dure deux ans ça consume combien de réserve d’énergie, sans doute celle qui était prévue pour les dix prochaines années, j’ai tout cramé, j’ai tout donné… ».
« Je m’adresse à toi, enfin, je rassemble mon courage et j’écris, sans avoir de message à te délivrer …ce qui me manque, c’est un type de présence que j’ai encore, mais qui a changé depuis que l’horizon de ta disparition s’est dessiné dans ma vie. »
« Voilà un an que tu es mort. Un an que le monde n’est plus le même….Je prends la mesure du temps qui coule sans toi . »
« Mon papa, je voulais te dire que je vais bien …je compose…mes larmes coulent moins…c’est ta manière d’être resté au monde, un grain de sel au creux d’une larme.»
En un mot, j’ajouterais ; on survit, ça oui, mais comment ? À quel prix ? Jusqu’à la prochaine perte d’un être cher dont l’absence mérite elle aussi tout notre amour, toute notre tristesse.
L’autrice nous raconte la mort de son père qui semble t’il a entraîné chez elle un traumatisme profond, en particulier dans l’année qui a suivi l’évènement. C’est un très beau témoignage d’amour décrivant bien les différentes phases d’une période de fin de vie douloureuse suivie par une profonde tristesse jugée inconsolable bien que, un vie partant, une autre advient et paraît mettre fin à cette inconsolabilité. Il est étonnant que cette narration soit exclusivement centrée sur la relation au père, sans que d’autres personnes de son entourage n’apparaissent pour diluer cette douleur profonde. La famille, n’est que très rapidement évoquée et n’intervient pas dans le récit. Enfin, sans nier la qualité littéraire de ce livre, c’est quand même une notoriété acquise par ailleurs qui a autorisé l’édition de l’ouvrage et, cette pratique, sans doute utile aux éditeurs pour remplir les caisses devrait rendre plus méfiants les lecteurs. Quel journaliste en vue n’a pas cédé aux sirènes de l’écriture, profitant de sa notoriété pour se faire éditer ?
La disparition d’un être cher est souvent comme un tsunami qui effacerait tout ce qui a pu être construit, ne laissant plus la place qu’au vide laissé par son passage ; ne restant plus que les souvenirs et quelques objets / traces dans les décombres auxquels s’accrocher pour ne pas couler.
Cette thématique du deuil fait partie de notre humanité et de ces questions philosophiques essentielles qui prennent une tout autre dimension lorsque la disparition se matérialise par le vide.
Adèle Van Reeth (AVR), comme dans son précédent livre (La vie Ordinaire) s’implique (s’observe) dans sa réponse, ici sur le deuil de son père.
« Inconsolable » est tout à la fois : une forme de psychothérapie pour AVR, un développement philosophique sur un bouleversement affectif (d’autant qu’il y a aussi la dimension père / fille) et le vague à l’âme (la tristesse) du deuil, et pour, ce faire, une exposition (témoignage) de sa propre expérience. Et plus fondamentalement sur le cycle de la vie qui se traduit par ce rapport classique Thanatos / Eros (avec la naissance de son enfant peu de temps après la mort de son père).
La conclusion (philosophique) d’AVR peut paraitre simple : on est inconsolable de la disparition d’un être cher. Il ne faut pas croire que la peine peut disparaitre, se dissoudre. Il faut vivre avec l’absence, vivre avec la tristesse. Mais c’est plus que cela, et on touche ici une essentialité de notre condition humaine : notre finitude … et que c’est cela qui nous rend inconsolable.
Citation : L’inconsolable est notre condition d’êtres mortels. L’inconsolable ne nomme pas une perte passée mais un manque structurel, celui de l’éternité. Il désigne le fait que rien ne dure, et que si de l’éphémère nous pouvons nous accommoder, de la fin définitive, jamais.
Depuis l’enfance, certains êtres sont inconsolables. Plus qu’un sentiment, c’est une condition. Une tristesse déjà là, un manque initial, une souffrance structurelle, une mélancolie qui nous dépasse, une peine logée tout au fond de l’âme. On a beau l’oublier, l’ignorer, l’enfouir, on finit par prendre goût à son intensité lyrique : c’est “la tentation de la lamentation.”
Que faire lorsqu’à cet inconsolable s’ajoute une tristesse nouvelle ? La mort d’un père. Cette perte tellement banale. Aucun drame là-dedans, il faut bien que les pères meurent, mais c’est toujours un gouffre, une béance, “un mouvement vers le bas et une absence de terre ferme” qui réactivent l’inconsolable. “L’année ne fait que commencer, et je voudrais que rien ne s’arrête jamais, ni l’année, ni la neige, ni le bon sommeil de mon père.” La narratrice écrit à son père qui se meurt depuis deux ans. Son petit papa qui lui manque déjà, même encore là. C’est une tristesse anticipée, une tristesse préparatoire, un sursis qui laisse le temps à ses pensées de vagabonder. Le tic-tac de l’horloge, la peur de la mort, l’inutilité d’un chat, les notes d’un piano, la cigarette. Et puis finalement le deuil : ce sentiment de perte qui persiste. Elle convoque dans ce livre d’autres inconsolés. Flaubert, pour qui le seul remède est la littérature, Ionesco et son Journal en miettes, d’autres écrivains ou philosophes, mais rien n’y fait. Enceinte et endeuillée, elle porte la vie, ostensiblement, mais elle porte aussi la mort, intimement, en plein cœur.
“Je sais que les mots ne pourront rien. Je sais qu’ils n’auront aucune action sur mon chagrin. Comme le reste de la littérature.” Si la littérature ne console pas, pourquoi ce livre ? Il y a tant d’écrits déjà sur la mort, la fin, le deuil. Tout a déjà été dit. Certes. Mais Adèle nous offre un livre pour dire merci à la tristesse. “Pleurer c’est être en vie plus que jamais.” Alors accueillons nos larmes, chérissons l’inconsolable, vivons avec, “en bonne entente, un peu comme avec un chat.”
On plonge dans ce livre comme la narratrice plonge dans sa tristesse et comme un gosse plonge dans une piscine. On s’y engouffre, on s’y noierait. Et pourtant, on en ressort. Avec peut-être un peu d’eau dans les yeux, mais plus vivants que jamais.
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