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Personne n’ignore les conditions de vie dans certaines maisons de retraite même si elles tendent à être tues, les traitements parfois limites subis par les pensionnaires ou encore la détresse des personnes âgées. Isolement, souffrances, folie qui frappe parfois. Le corps qui déraille, qui ne suit plus. Impuissante machine. Adam Biles pour aborder ces aspects utilise l’humour, noir, British, corrosif. Pour parler de la vieillesse mais pas que… Ici les vieux font de la résistance autant que le personnel soignant qui compte bien faire mordre la poussière à cette bande de séniles (vraiment ?) des Chênes Verts. Préparez le pop-corn, la guerre est déclarée et tant pis pour les voisins de tram, métro, maison, vous allez rire du début à la fin et puis même vous émouvoir, faut pas trop déconner tout de même.
Dorothy, surnommée Dot, est une ancienne professeure de français désormais bien à la retraite. Elle décide de quitter sa maison pour rejoindre Les Chênes Verts, une maison de retraite qui, sur le papier, semble être l'endroit idéal, paisible, verdoyant pour finir ses jours. D'autant que son mari, Léonard, est déjà là-bas.
Mais à son arrivée, la résidence n'a pas vraiment ni l’allure ni l’accueil mis en valeur sur la brochure... Point de chambre privée mais un grand dortoir. Un lieu peu accueillant, qui se délabre. Un lit défait et encore moite de l’ancien occupant (mort ? Transféré ? Mystère…). Et surtout... Point de Léonard. Où peut-il donc bien être ? Et se souviendrait-il seulement d'elle ? Lui, sur qui le temps a fait son ouvrage.
Bien vite Dot va s’apercevoir que rien ne tourne rond aux Chênes Verts, à commencer par les seules occupations de ces résidents dans ce lieu hors du temps. Jeux de société dont il manque la moitié des pièces – Monopoly sans plus aucun billet, des puzzles sans coin, un Scrabble sans voyelles – et de vieux magazines contant les histoires, à moitié griffonnées, d'un certain Capitaine Ruggles. Des histoires ayant déteint sur notre cher résident appelé Capitaine qui se prend pour un soldat en mission enfermé chez les Allemands. Des histoires qui pourraient bien devenir une sorte de monde parallèle à celui des résidents.
Mais ça ne s’arrête pas là, vous vous en doutez. Outre ces vieux un peu barrés, la résidence est dirigée par un homme ayant à moitié peur des vieux, un peu pervers sur les bords et sérieusement dérangé psychologiquement parlant. Et le personnel médical sous payé, accro pour certains aux petites pilules écrasées et puis hop dans le nez, ne sauve pas franchement la situation. Appelés les Amis-soignants, nous faisons la connaissance de Tristan, certainement le plus violent ; Frankie, la plus barge et Pat le plus passif. Sous les ordres de Tristan, ils n'hésitent pas à passer d'inspections surprises en retournement de dortoir et en enfermement de résidents dans une pièce capitonnée… cultivant une sorte de haine des vieux.
Puis vient le moment où ça commence à puer. Littéralement puer. L'odeur est nauséabonde. Elle pique, prend à la gorge. Est-ce un vieux qui est mort et qui traine là, puisque personne ne s'occupe d'eux ? Un rat crevé dans la cheminée du bureau du directeur ? Dot, Betty, Olive, Ruggles, Lanyard, Smithy et Windsor – mais est-ce seulement leurs vrais noms ? – après avoir tenté, sans succès, d’alerter leurs familles respectives (quand elles viennent les voir), vont décider d’une révolte organisée ou presque, sous la houlette du Capitaine. Si les corps ne sont plus de première jeunesse, les esprits eux savent encore être vifs. Et ils n’ont pas l’intention de déposer les armes. Les vieux sont en marche et la bataille s'annonce rude !
S’il ne fallait prendre qu’un livre cet été, ce serait celui-ci ! Oui c’est un pavé mais la régalade est assurée !
Ce brillant premier roman, drôle à souhait, nous entraîne dans un huis-clos explosif, qui monte crescendo et où l’on finit par se demander qui est le plus fou de tous : le vieux, le soignant, l’auteur ou peut-être nous ? Et la tendresse n’est pas en reste car l'une des forces de ce roman est aussi que dans ce lieu chacun va se raconter, on parvient même parfois à s’attendrir pour quelques soignants qui ne semblent pourtant être que d’immondes pourritures. Et l’on comprend que tous ont une histoire et que tous sont finalement humains.
Adam Biles, sans langue de bois fait voler en éclats le politiquement correct. Il met le doigt là où ça fait mal et appuie avec un grand sourire, se fait un brin impertinent et j’ai adoré cela car c’est par cet aspect qu’il parvient à sensibiliser, à nous ouvrir les yeux sur nos comportements bien souvent cruels, ou sur les œillères que l’on se met pour ne pas être confronter à tout cela parce qu’on a bien assez à faire dans nos vies, n’est-ce pas… Il livre une critique salée de notre monde vieillissant mais qui ne prend pas en compte celles et ceux qui le composent. Celles et ceux que l’on ignore. Dont on étouffe l’existence aux moindres débats ou revendications, à commencer par nos politiques. Et si Défense de nourrir les vieux pousse au maximum les dérives et qu’il s’agit là d’une pure fiction il n’en reste pas moins qu’il donne à réfléchir une fois la 528ème page refermée. Notez le nom d’Adam Biles, parce qu’il est un jeune auteur à mon sens plus que prometteur.
Mention spéciale au traducteur qui a fait un travail remarquable et parvient à retranscrire chaque note d’humour anglais à la perfection.
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