Vous avez découvert la chronique très complète du dernier roman d'Arturo Pérez-Reverte, Deux hommes de bien, par notre lecteur du mois d'octobre.
Mais, Dominique, et si vous nous parliez de vous ?
Pourquoi et quand allez-vous sur lecteurs.com ? J’ai découvert lecteurs.com il y a moins d’un an et je m’y rends plusieurs fois par semaine. J’y trouve des idées de lecture au travers des avis publiés que je classe à la rubrique « à lire » ; j’ai pris l’habitude d’y commenter mes lectures les plus récentes et je tente parfois ma chance lors des nombreuses propositions telles que On aime, on vous fait gagner ou Les explorateurs de la rentrée que j’ai eu la surprise d’intégrer cet été. J’ai l’impression, soyez-en remerciées, d’être le dernier invité qu’on reçoit comme un prince.
Le livre qui vous rend triste mais que vous lisez quand même ? J’ai beaucoup lu à propos des horreurs nazies et il m’en reste un profond traumatisme ainsi qu’une immense compassion pour les victimes. Je ne suis pas sorti indemne non plus après Le premier cercle et Le pavillon des cancéreux de Soljenitsyne et j’ai bien sûr souffert avec les héros de Germinal, de Sans famille d’Hector Malot ou plus récemment avec les trois héros de Terre des oublis de Duong Thu Huong. Impossible d’oublier le terrible destin de La joueuse de go de Shan Sa. J’ai quatre enfants dont trois filles et j’ai beaucoup plaint Le père Goriot.
Le lieu idéal pour lire ? J’aime lire en plein air et aussi en musique, si possible en rapport avec les lieux ou l’atmosphère du roman. Souvent c’est l’auteur lui-même qui propose le programme ainsi Viet Thanh Nguyen évoque dans Le sympathisant les chansons mélancoliques de Trinh Cong Son qui ont bercé ma lecture en symbolisant parfaitement l’atmosphère de fin du monde de Saigon en avril 1975. Pour Le tango de la vieille garde qui se situe à trois époques et lieux différents Arturo Pérez-Reverte choisit d’abord des tangos puis des chansons italiennes de Rita Pavone et Patty Pravo.
Quel lecteur êtes-vous ? Tout a commencé à la fin des années 50 dans une petite école de Haute Volta (aujourd’hui Burkina Fasso). J’en ai gardé le souvenir du sol rouge de latérite, de l’odeur des salades de mangue… et j’y ai appris à lire. Mon saint-cyrien de père annonçait parfois une nouvelle affectation. Le lendemain il avait disparu (les avions militaires volent souvent de nuit). Plus tard on apprenait à ma mère la destination (Tunisie, Vietnam, Algérie, Allemagne, Afrique) et la famille suivait quand c’était possible… Aucune de mes amitiés enfantines ne survécut à ce mode de vie à l’exception notable de Tintin dont mon père m’offrait les derniers albums comme pour se faire pardonner. Ensuite j’ai commencé à enquêter avec le club des cinq puis à tirer l’épée contre le Cardinal avec Les trois Mousquetaires, je me suis évadé du château d’If en même temps qu’Edmond Dantes, transi de peur j’ai atteint L'île au trésor avec Jim Hawkins, puis l’Olympe où régnaient les dieux et demi-dieux de la mythologie grecque. J’ai survolé l’Afrique, en ballon et en cinq semaines puis, grâce à Walter Scott, chevauché à côté d’ Ivanhoé. J’avais déjà beaucoup voyagé, il était temps d’aider Phileas Fogg à faire Le tour du monde en quatre-vingt jours. A dix ans je suis entré au Prytanée Militaire de La Flèche où on étudiait les Classiques. Dans le cheval dont Cassandre ne voulait pas je me suis glissé avec Ulysse, puis de Charybde en Scylla j’ai partagé son Odyssée jusqu’à ce qu’il retrouve Ithaque et sa Pénélope dont l’occupation pour ne pas être fictive n’en était pas moins furtive. Grâce à la collection contes et légendes avec les deux fils de la louve j’ai pu tracer les premiers contours de la ville éternelle ; je me suis couvert de ridicule en traduisant le fameux « Caesar pontem fecit» de la guerre des Gaules par un débile « César fit un pont ». Avec Le Cid nous partîmes cinq cents mais, par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port ; ma très brève carrière théâtrale s’acheva sur une tirade de tartuffe lorsque très involontairement je fis éclater de rire le public, ce que Molière n’avait absolument pas prévu. A la première lecture du père Goriot je me suis endormi sur l’interminable description de la pension Vauquer. Personne n’ayant songé à m’expliquer les problèmes financiers de Balzac, la publication de ses œuvres sous forme de feuilleton journalistique et le paiement de son talent à la pièce, j’étais incapable de faire preuve de l’indulgence qu’il méritait. Je me réfugiais dans L'aiguille creuse d’Etretat en compagnie d’Arsène Lupin, je parcourais la lande avec Le Chien des Baskerville, je m’allongeais sur la plage de galets pendant les vacances d’Hercule Poirot et, sous le manteau, je m’échauffais en lisant L'amant de lady chatterley.
A l’époque du bac j’ai pris plaisir à lire le pensum incontournable de l’époque que constituaient les rêveries d’un promeneur solitaire et si j’ai eu un franc succès avec le poème Liberté de Paul Eluard je confesse, qu’à cette exception notable, je suis peu réceptif à la poésie. De L'étranger je n’ai retenu que le nom du héros Meursault sans doute parce que je l’associe à ce vin sublime que je n’ai réussi à déguster qu’une fois dans ma vie. Il me faudra donc relire Camus et déguster une nouvelle bouteille de Meursault. J’ai beaucoup lu Zola et ses Rougon Macquart, de la conquête de Plassans à Germinal en passant par Nana ou Au bonheur des dames. Plus tard, j’ai découvert le roman noir américain avec James Hadley Chase et ses femmes fatales, la science fiction avec PK Dick, F. Herbert puis KS Robinson (la trilogie Mars la rouge). Mon épouse (professeur de lettres) m’a fait partager la grande saga de Robert Merle Fortune de France. Après avoir Renfloué le titanic !, nous sommes devenus tous les deux des inconditionnels de Dirk Pitt le héros de Clive Cussler et tandis qu’elle repartait à la poursuite de Rhett Butler dans la suite d’ Autant En Emporte Le Vent (Alexandra Ripley Scarlett) et dévorait les romans de Robin Cook et de Patricia Highsmith, je démasquais L'espion qui venait du froid de John Le Carré dont j’ai depuis tout lu. J’ai fait connaissance d’ Arturo Pérez-Reverte devant l’échiquier du tableau du maître flamand, j’ai fait le siège de Breda avec Le Capitaine Alatriste, j’ai appareillé pour le cimetière des bateaux sans nom, suivi le feu des canons napoléoniens dans la diagonale du fou à Cadix et esquissé quelques pas de danse pour le tango de la vieille garde. Arturo et John sont de bons compagnons. Je les lis le plus lentement possible car je me sens si bien dans leurs histoires et au milieu de leurs personnages que dès la fin du premier chapitre l’angoisse de la dernière page me saisit.
Rouge Brésil, L'Abyssin et Sauver Ispahan de JC Ruffin m’ont enchanté tout comme Un américain bien tranquille, Le facteur humain et Notre agent a la havane de Graham Greene.
J’ai suivi toutes les enquêtes de Kurt Wallander et partagé ses difficultés existentielles; après avoir pleuré sa plongée dans le monde terrifiant d’Alzheimer prélude à la disparition de son auteur Henning Mankel, j’ai, au détour, d’un voyage en Scandinavie, arpenté les rues d’Ystad, charmante petite cité médiévale où, comme tous ses aficionados le savent, il exerçait.
Cette année j’ai découvert comment un héros devient un salaud en quelques secondes dans le très fort Retour à Killybegs de Sorj Chalendon ; je me suis enfermé hermétiquement dans Silo la trilogie de Hugh Howey tout en admirant les efforts que déploie l’héroïne pour en sortir. Grâce à lecteurs.com et aux « explorateurs de la rentrée » j’ai découvert l’histoire passionnante du Sympathisant, du prometteur Viet Thanh Nguyen.
Mes prochaines lectures, avec la trilogie de Lucien Bodard (Monsieur le consul, le fils du consul, Anne-Marie) me conduiront en Chine pré et post révolutionnaire. Je voguerai ensuite de Calcutta à l’île Maurice en découvrant un océan de pavots le premier roman de la trilogie d’ Amitav Ghosh.
Ma bibliothèque est remplie d’aventures lointaines et palpitantes dans des lieux (y compris les galaxies lointaines de la science-fiction) qui m’ont fait rêver à tel point que j’ai fini par aller en découvrir un bon nombre sans renoncer tout à fait à apercevoir les autres. Je poursuis, dans ces lectures, la soif permanente de voyages hors des sentiers battus et d’évasion aventureuse que j’ai depuis l’enfance. Avoir passé sept de mes quinze premières années en pensionnat en est sans doute l’origine. Il me semble impossible de conclure sans citer Tanger Soto la fascinante héroïne du cimetière des bateaux sans nom « mille millions de tonnerre de Brest ! Ici l’aventure est encore possible. J’ai pu me souler mille fois avec le capitaine Haddock (et) le whisky Loch Lommond. J’ai sauté en parachute sur l’île mystérieuse, j’ai traversé la frontière entre la Syldavie et la Bordurie, j’ai juré par les moustaches de Plekszy-Gladz, j’ai navigué sur le Karaboujan, le Ramona, le Speedolstar, l’Aurora et le Sirius, j’ai cherché le trésor de Rackham le Rouge et j’ai marché sur la lune tandis que les Dupont et Dupond faisaient les clowns dans le cirque d’Hipparque. Et quand je suis seule, vraiment très seule (je convoque) les vieux amis : Abdallah, Alcazar, Séraphin Lampion, Chester, Zorrino, Szut, Oliveira da Figueira et sur la mini-chaine résonne l’air des bijoux de Faust dans un vieil enregistrement de Bianca Castafiore. J’imagine que toi aussi, il t’est arrivé de rêver parfois ».
L’évasion, le développement de l’imagination et la compréhension des autres (la compassion dirait le héros du « sympathisant ») sans laquelle le monde est infernal, sont, à mon avis, les trois principaux bienfaits qu’offre la lecture. Sa promotion que vous faites si bien à lecteurs.com, reste une nécessité impérieuse.