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New-York, milieu du XIXe siècle. Catherine Sloper est une jeune fille sans grande beauté et à l'esprit simple, mais elle est l'unique héritière du docteur Sloper qui a acquis une fortune importante. Lors d'un bal, elle rencontre le beau Morris Townsend. Il la courtise, elle tombe amoureuse et jure de l'épouser... Mais tiendra-t-elle son engagement, contre l'avis de son père qui menace de la déshériter, et le jeune homme est-il vraiment sincère ? Amour, argent et faux-semblants ; Washington Square, publié en 1881, dresse le portrait d'une société figée à l'aube d'une ère nouvelle.
Jeune fille naïve et assez quelconque, Catherine Sloper n’est pas de taille à résister bien longtemps aux avances du très séduisant Morris Townsend qui prétend l’épouser. Mais, suspectant ce par trop brillant soupirant de n’être qu’un vulgaire coureur de dot et d’héritage, son père, le Docteur Sloper, un riche et distingué veuf dont l’amour sans indulgence ni tendresse s’est toujours teinté de mépris pour cette fille si terne en comparaison de sa mère disparue, lui intime sans ménagement de rompre, sous peine de la déshériter. Après des années de soumission à la tyrannie et aux humiliations paternelles qui ont brisé sa confiance en elle, Catherine ose pour la première fois braver l’autorité du vieux despote. Elle réalise bientôt qu’il avait toutefois bien percé à jour son aventurier de fiancé...
Inspiré d’une histoire vraie, ce roman ne manque pas de cruauté. Dans ce New York de la fin du XIXe siècle où, comme le décrit aussi Edith Wharton, les anciennes et rigides valeurs aristocratiques héritées de la vieille Europe décadente se retrouvent peu à peu battues en brèche par le dynamisme d’une jeune Amérique encline au culte décomplexé de l’argent, s’affrontent deux mondes dont le plus égratigné par Henry James n’est pas forcément ici celui que l’on aurait pu escompter. Car, si, comme il n’en est guère fait mystère dès le début du roman, Townsend est bien un arriviste intéressé par un mariage d’argent, c’est bien plus encore le cynisme froid de l’implacable père et la frivolité stupide de la tante trop romantique, décidée à jouer les entremetteuses, qui occupent le coeur du récit avant de sceller le malheur de Catherine.
Cupidité égoïste d’un côté, orgueil méprisant et borné mais aussi inconséquence balourde de l’autre : la pauvre naïve qui croyait à l’intégrité et à l’amour tombe de haut lorsqu’elle réalise n’être finalement que le jouet des ambitions, des rivalités et des frustrations de tous, et que jamais, ni son prétendant, ni son père et sa tante, ne l’ont considérée et aimée pour elle-même. Se doute-t-on jamais de la gravité des blessures qui ont, un jour, décidé du sort de celles que l’on retrouve, bien des années plus tard, âgées et solitaires ?
La fine observation des comportements et des psychologies au sein de la société bourgeoise du XIXe siècle, aussi bien que l’art consommé de la narration et l’élégance de plume de l’écrivain, font de ce classique, par ailleurs chef d’oeuvre de cruauté, un incontournable coup de coeur.
"Washington Square" est le tout premier livre d'Henry James que je lis.
J'ai apprécié le style de l’auteur même si je ne l’ai pas toujours trouvé fluide, notamment parce qu’il a tendance à reprendre les mêmes éléments d’une phrase à l’autre ce qui, par moment, est quelque peu répétitif, voire carrément redondant.
Dans la première partie du roman, et plus précisément les trois premiers ( courts ) chapitres, il peint le décor et nous présente les divers protagonistes en n’hésitant pas à parsemer ses propos de quelques traits d’humour savoureux. Il se pose d’entrée en narrateur omniscient, révélant jusqu’aux pensées les plus intimes de ses personnages au lecteur et l’abreuvant de force détails en l’interpellant directement, un peu à la façon des didascalies dans une pièce de théâtre.
L’héroïne, Catherine, est une jeune femme qui a grandit sans jamais faire de remous. C’est un être calme, posé, obéissant, mesuré et conciliant qui voue un amour et une admiration sans bornes à son père, l’éminent docteur Sloper. Ce dernier est un homme de caractère aux idées arrêtées, froid, parfois blessant, dont personne n’ose réellement discuter les décisions. Sa fille, qui a grandit sans mère puisque celle-ci est décédée quelques jours après sa naissance, est sa plus grande déception et il ne lui trouve aucune qualité, aussi bien physiquement que moralement. Elle est à ses yeux une personne inutile, presque encombrante, et il ne se gène pas pour le lui faire sentir.
Pour l’élever il s’est adjoint les services de sa sœur, Lavinia, pour laquelle il n’a guère plus de considération. C’est une femme sans trop d’esprit mais avec un grand sens du drame et un goût prononcé pour le romanesque. En un mot: une commère de première.
Pour bien comprendre et apprécier l’histoire il est important de ce replacer dans le contexte de l’époque et, notamment , de prendre conscience du fait qu’il était primordial pour les femmes à l’époque de faire un bon mariage. Catherine, bien que détentrice d’une fortune non négligeable, n’échappe pas à pas règle.
Mue par ses seuls sentiments à l’égard de Morris Townsend, dans lequel elle place dés le départ toute sa confiance, elle est totalement étrangère aux enjeux qui animent les adultes qui l’entourent. Son choix d’épouser le jeune homme est aux yeux de son père l’ultime déception ( pour lui Morris n’est qu’un adroit coureur de dot ), celle qu’il ne peut supporter et qu’il n’aura de cesse de combattre, et représente pour sa tante une occasion en or de se laisser aller à son penchant pour les histoires d’amours compliquées. Chacun d’eux agit selon ses propres intérêts, reléguant Catherine au second plan et œuvrant plus ou moins directement à construire son malheur.
Si j’ai eu du mal à apprécier la jeune femme au début ( alors que j’ai tout de suite détesté son père et sa tante ), son extrême candeur et la façon dont elle s’écrase littéralement devant son père m’ayant souvent agacée, j’ai rapidement éprouvé de la compassion pour elle étant donné les circonstances. Elle se retrouve malgré elle au centre d’une machination où son amour pour Morris fait pâle figure face à la cruauté et à la volonté indéboulonnable de son père d’empêcher son mariage, et à l’esprit manipulateur de sa tante qui ne prend finalement jamais son parti. Elle évolue au cours du roman, son caractère s’affirme et son regard sur son père change et, même si le piège se referme sur elle, elle devient, avec le temps et à sa façon, actrice de sa propre vie. La scène finale, dans laquelle la tension est plus que palpable, me l’a définitivement rendue sympathique.
Ce roman, qui peut faire penser à l’univers de Jane Austen par certains aspects, a pour lui de désacraliser une époque que beaucoup d’entre nous jugent extrêmement romantique dans son rapport à l’amour. Mêlant à un classicisme apparent l’humour et un cynisme grinçant, Henry James dresse le portrait d’une société figée dans le passé où le mariage, institution indétrônable s’il en est, est encore l’affaire de tous et où l’intérêt commun l’emporte encore sur les sentiments.
A lire donc, pour un regard nouveau sur le XIXe siècle et pour apprécier la liberté dont on jouit, heureusement, aujourd’hui ( notamment nous, les femmes ).
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