Le Prix Orange du Livre 2023 dévoile sa liste
Mêlant le témoignage de Gabriele à ses propres réflexions, et utilisant comme toujours son humour et son sens de la formule, Amandine Dhée atteint l'objectif qu'elle s'était fixé : « écrire un livre réconfortant sur la mort ». L'occasion de réfléchir avec elle sur nos propres angoisses, sur notre désir de transmission, sur les pertes et les liens qui unissent les êtres et qui marquent les générations. Liant l'intime au politique, Sortir au jour est aussi un texte qui questionne nos façons de faire société... On pourrait lire Sortir au jour comme un texte qui parle de la perte, mais c'est exactement l'inverse. Sortir au jour raconte ce qui nous lie.
Le Prix Orange du Livre 2023 dévoile sa liste
Le livre d'Amandine Dhée s'enracine dans la peur de la mort. La rencontre de l'auteure (l'autrice !) avec Gabriele, une thanatopractrice, lui donne le courage et la force d'affronter cette peur en osant "simplement" parler de la mort, sans fard et sans tabou, en nommant et racontant ce qui, habituellement - par superstition ? par crainte de la provoquer ? - est dissimulé sous des formules plus neutres, parce que "les mots forment une trame assez serrée pour contenir l'effroi" (p.37).
Cependant, "mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde », écrivait Camus. Alors Amandine Dhée accepte de nommer et décrire/d'écrire autant que faire se peut ce qui relève de l'impensable : l'angoisse de la mort de ses enfants ; le cancer qui abat une amie chère ; la mort d'une chanteuse qui s'accompagne du deuil des jours enfouis et de l'enfance ; la menace qui pèse sur un père ; le décompte quotidien des morts lors de la pandémie de Covid... En contrepoint, Gabriele, qui "travaille avec les morts" (p.17) raconte son travail, les soins qu'elle apporte aux corps qui lui sont confiés et comment elle conçoit et perçoit sa démarche professionnelle.
"Sortir au jour" n'est pas un traité philosophique, une analyse existentielle ou métaphysique. Il y a pourtant un peu de tout cela dans ce petit (par le nombre de pages) livre. Simplement, modestement, une femme pose des mots sur des pensées, des questions, un cheminement qui lui sont propres mais qui tendent vers l'universel. L'angoisse ne disparaît pas pour autant, mais peut-être semble-t-elle plus familière, comme apprivoisée, circonscrite par des mots et par les liens qu'ils tissent.
Malgré une thématique qui a tout ce qu'il faut pour être bien plombante, "Sortir au jour" garde l'espièglerie qui est une des marques distinctives de l'écriture d'Amandine Dhée. Le ton est pétillant de malice mais toujours juste et la finesse d'observation ne s'appesantit pas d'analyses ronflantes. L'auteure écrit ce qui est et c'est aux lecteurices d'en faire ou non leur miel. Pour ma part, j'en ai fait mes délices tant j'aime ce choix d'évoquer des choses graves avec une élégante et délicate légèreté. Tout se passe comme si, en nous parlant de la mort, Amandine Dhée et Gabriele nous plongeaient au plus éveillé de la vie. Et c'est lumineux.
Après le succès de la Femme brouillon (2017) récompensé par le prix Hors Concours ou encore A mains nues (2020), l'écrivaine et comédienne Amandine Dhée prend un virage à 360 en publiant Sortir au jour (éditions La Contre Allée) au début de l'hiver 2023. Loin d'être passé inaperçu dans la sphère littéraire, le court ouvrage a de quoi susciter la curiosité par sa thématique. Ce n'est pas tous les jours que l'on aborde la thanatopraxie, et pourtant…!
La narratrice du roman est autrice. Lors d'une rencontre en librairie, elle fait la connaissance de Gabriele, une thanatopractrice. Si les deux femmes semblent évoluer dans des milieux professionnels très distincts, elles nouent rapidement un lien et le dialogue s'installe. Abordant leurs activités respectives, Gabriele évoque ce métier jonché de clichés et de préjugés qui tendent à la décrédibiliser parfois. Cet échange mènera petit à petit à l'écriture d'un livre initiant de chaque côté des récits de vie, mais aussi de mort, qui s'entremêlent volontiers pour laisser naître toute une philosophie sur l'existence humaine.
Il est difficile de faire entrer ce livre dans une catégorie ou un genre : est-ce un roman ? Un entretien ? Un récit ? Il semble tout à la fois, marqué par une hybridité dans laquelle il est très agréable d'avancer. Ces chapitres qui mutent donnent la parole à la narratrice et écrivaine, angoissée par la mort, figée par ce jour tant redouté où tout s'arrête. A cela, s'ajoute la transmission aux générations suivantes et la peur, en tant que mère, de ne pas avoir assez fait ou assez donné à ses propres enfants. Cette rencontre cruciale avec Gabriele ouvre la voie d'une pensée nouvelle pour elle, tandis que la crise sanitaire et les morts se succèdent. La lumière se fait alors toute particulière sur ce métier, Gabriele est une travailleuse de l'ombre pourtant essentielle dans le processus de deuil. Pour le commun des mortels, être thanatopracteur est un métier de « dérangé » , c'est celui qui fait « la sale besogne » du cycle funéraire.
La narratrice l'assume, elle aussi avait des idées reçues sur la profession : « Forcément, pour un métier pareil, j'imaginais une personne jaunâtre et grisonnante et pas cette jolie jeune femme qui sourit avec malice » . Dans cet entretien, Gabriele peint son quotidien avec les morts, elle leur parle avec douceur, les maquille de tout son attirail Make Up For Ever, leur enfile les habits préalablement préparés par les proches. Tout doit être parfait pour ces familles endeuillées qui verront dans ce résultat final une image immuable de l'être chéri, la toute dernière avant la mise en terre ou la crémation. Dans l'envers du décor, le macabre n'a pas sa place au laboratoire. Ici, on honore le corps en le préparant vers le dernier chemin avant l'ultime espace de repos.
S'initient alors plusieurs réflexions intrinsèques autour de la mort, « de toute façon je l'ai bien entendu dans la bouche de Gabriele, elle dit leur défunt, leur mort. Une fois mort, on ne s'appartient plus tout à fait » , « il me semble que l'on peut naître et mourir sans jamais être le préféré de qui que ce soit. C'est ensemble qu'il faut penser nos morts » . Toutes les deux racontent une histoire à la lueur de l'étrangeté inédite qui perdure dans la vie qui s'arrête, l'une s'occupe d'un nouveau-né, sa « bébée » , l'autre d'un nouveau mort et cette passerelle ténue est extrêmement bien amenée par l'écriture d'Amandine Dhée. Si le texte entier aborde le décès, il crie l'absolue nécessité de se tourner vers le vivant tant que c'est encore possible. Sortir au jour est un memento mori qui embrasse fougueusement un carpe diem. Une vraie réussite.
J'avais beaucoup aimé son passage à La grande librairie et il me tardait de découvrir son livre .
Le biais pour aborder le thème de la mort est original : la rencontre avec une thanatopractrice,
leurs récits se croisent et se répondent, traitant d'une plume légère, avec humour et distance et, l'air de rien,
une réelle profondeur, ce sujet qui pourrait être morbide, sinistre et plombant .
On est loin du pathos, de la périphrase prudente, il y a beaucoup de simplicité et de sobriété (et d'humour!) dans l'écriture .
On découvre non seulement un métier atypique et intriguant mais aussi des tranches de vie qui parlent surtout de la vie.
Un réel plaisir de lecture dont on sort serein.e.
Après "La femme brouillon" sur la maternité, voici que j'ai lu "Sortir au jour" sur la mort.
Cette autrice a le don de parler de choses qui font partie de la vie de tout le monde, d'entrer dans l'intime, avec sincérité et humour. Et contrairement à "La femme brouillon", ici la délicatesse est de mise, ce qui donne un livre bien plus réconfortant que plombant.
J'ai appréhendé cette lecture comme des petites chroniques de vies : celle du double fictionnel d'Amandine Dhée, celle de Gabriele, une thanatopractrice, et celle de Françoise qui vit la vie de Didier, thanatopracteur également (dans l'émission "Vis ma vie").
Il n'y a pas d'histoire à proprement parler, mais pleins de petits morceaux de vie, amenant à réfléchir à notre rapport à la mort, à notre façon de vivre le deuil, de réagir à des morts inattendues, trop précoces, à la maladie, trop proche... à la difficulté d'en parler aux enfants.... Et ce livre permet également de mettre la lumière sur une profession méconnue : la thanatopraxie, qui est pourtant essentielle, car elle permet d'adoucir la dernière image que l'on peut avoir de nos proches.
J'apprécie vraiment la plume d'Amandine Dhée, qui rend le récit très proche de nous. Nous vivons tous la même chose, de différentes façons certes, mais ce sujet nous concerne tous.
Amandine Dhée réalise cette gageure d’écrire un livre sur le thème de la mort dans une ambiance de sérénité.
Les confidences de la narratrice, sur ses angoisses profondes alternent avec les propos d’une thanatopractrice, qui démystifie ce métier inspirant à la fois attraction et répulsion. Un troisième type d’interlude propose des extraits d’une émission de télé-réalité sur le thème Vis ma vie, où la candidate découvre elle aussi les mystères de cette profession.
Crainte de la maladie, difficulté de parler du sujet aux enfants, premiers décès familiaux, toutes ces expériences qui nous font prendre conscience de notre finitude. Les rites, les traditions autour de la disparition inéluctable sont autant de témoins de ce que notre société fait de ses morts.
Quant à ce métier mal connu, que seules quelques séries policières mettent à l’honneur, dans un décor un peu idéalisé, Il a les honneurs des récit et le mérite. Un roman récent en parlait avec beaucoup respect : Une terrible délicatesse de Joe Browning Wroe. On y percevait toute la dimension profondément humaine de la pratique, qui consiste à laisser aux proches une dernière image apaisée de leur défunt. Il nécessite une approche emphatique et un savoir faire qui entretient l’illusion. Il s’agit plus d ‘éloigner la vision d’un cadavre générateur de répulsion que que magnifier le corps, dernier lien physique que l’entourage percevra.
Pas de formule détournée, de métaphore ou d’euphémisme, le texte ose aborder ce sujet délicat, sans tabou, seule façon de ne pas surenchérir sur la peur de l’inconnu.
128 pages La Contre allée 13 janvier 2023
sélection Prix Orange 2023
Avec ce texte nous entrons non pas dans un univers romanesque mais plutôt dans une sorte de cheminement déambulatoire de la pensée. La pensée de la mort. Mais non une pensée abstraite, loin de là, une pensée vécue et même pleine de vie. Il s’agit d’un texte rare, à la fois sur ce sujet et dans cette forme, une forme qui n’est ni le roman ni l’essai philosophique, mais s’approche d’un récit, le compte-rendu à la fois précis et poétique d’un tissage de réflexions sur le moment de la mort, sur son annonce, sur les soins reçus post mortem, sur les mots que l’on pose pour l’évoquer. IL s’agit de regarder la mort, celle que l’on voit près de soi, la mort comme moment, la mort comme phénomène. Et surtout ce que la mort rencontrée nous fait appréhender de la vie.
C’est un voyage sinueux que nous donne à lire Amandine Dhée, un parcours ouvert et comme spontané, alternant entre deux voix, celle de la narratrice et celle de Gabriele, thanatopractrice, et traversant des moments de confrontation à la mort, dans le quotidien de vie, ou dans le travail de soins aux morts. Gabriele qui travaille avec les morts, prépare leur corps pour les obsèques, pour les endeuillés, qui répond aux questions de ses amis sur son métier, qui évoque son expérience de contact avec les corps sans vie ; la narratrice qui répond à son petit garçon qui demande si lui aussi devra mourir, qui se souvient du décès de son grand-père et d’obsèques familiales.
Amandine Dhée voulait écrire un texte réconfortant sur la mort. Y est-elle parvenu ? Il est certain qu’on n’y trouvera aucun pathos pesant mais une réalité existentielle qui est montrée comme naturelle en cherchant à l’apprivoiser par des mots choisis comme un peintre prend des couleurs les plus proches de son sujet. Ce n’est pas un parcours austère ni dramatique ni angoissant mais un cheminement doux qui donne l’impression d’un patchwork entre différentes pièces que l’on assemble au gré de la vie qui va. L’écriture est très simple, comme sans style peut-être. C’est une écriture toute de légèreté, qui se pose délicatement sur les choses.
Ce que je retiens c’est cet assemblage de moments évoqués, de réflexions sur des morts, sur notre mort à venir, la mort inévitable souvent mise de côté loin de nous, et un ton tout en naturel, en simplicité, en finesse. Amandine Dhée nous emmène avec elle, elle nous prend par la main pour parcourir cette réalité avec grâce, tendresse, humour et nous charme.
Deux femmes échangent, l’auteure et une thanatopractice.
C’est un entre roman et récit, très soyeux presque joyeux, délicat, teinté d’un doux humour tenace et résolu.
L’auteure nous parle de sa famille, de ses enfants de ses angoisses, et tout fait sens en nous, ses doutes sont nôtres ! ses peurs sont nôtres !
La seconde évoque pour nous le soin à apporter aux défunts et à leurs proches et tout fait sens en nous ! Chaque détail nous plonge dans nos propres deuils intimes.
C’est vivant et résolument humain.
Lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2023. Merci à la Fondation Orange et aux Éditions La contre-allée de m’avoir permis de découvrir cette auteure.
Livre lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2023.
Retrouvez également ma chronique sur :
https://www.senscritique.com/livre/sortir_au_jour/critique/287739409
Un livre écrit à la première personne ou l'autrice, dans un style très autobiographique et réaliste, alterne entre récits sur sa vie, ses enfants, la peur de la mort ; des extraits de "Vis ma vie" sur le métier de thanatopracteur ; et une interview de Gabriele, thanatopractrice. Un style simple et un récit poignant mais trop court, qui m'a un peu laissé sur ma faim. J'ai quand même appris cette anecdote que la famille demandait parfois à faire monter les dents en bague pour conserver une relique de leurs défunts (à croiser avec une anecdote similaire dans La Sainte de la famille de Patrick Autréaux).
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