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C'est l'histoire d'une femme qui traverse la vie en se battant comme une gladiatrice. Depuis les années de guerre et les bombardements qui s'abattent sur Rome, jusqu'aux mutations des années 1990, en passant par les années de plomb, Rome est le décor dans lequel évolue Tullia, une de ces invisibles héroïnes du quotidien, figure modeste et forte à la fois d'un sous-prolétariat urbain. Élevée par une mère mal aimante qui fait travailler ses enfants comme des esclaves dès leur plus jeune âge, Tullia prend un jour son destin en main en quittant ce milieu familial tyrannisé par la mère. Mais quel destin !
Amoureuse des mots, animée par une volonté farouche de survivre et de s'en sortir, Tullia endurera les épreuves d'une vie de misère et de labeur au milieu de luttes syndicales et de révolutions culturelles qui l'effleurent à peine. Le courage, la force, la dignité de Tullia en font un témoin curieux et passionné de la vie de la capitale à travers cinquante ans. Lire Rien pour elle, c'est comme regarder l'histoire défiler par la fenêtre : impossible de ne pas y voir un reflet trouble de nous-mêmes.
Ce premier roman magnifique, poignant, très habilement construit, démontre un talent certain chez cette nouvelle voix, dans la veine d'une Elsa Morante ou d'une Elena Ferrante.
Rien pour elle
12 mars 2022
Rien pour elle de Laura Mancini
Rien pour elle est un magnifique portrait de femme en lutte dans une société hostile. On suit Tullia de 1943 à 1990, à partir de ses six ans. Et on l'aime immédiatement pour son incroyable détermination. Elle est de ceux qui doivent survivre à tout prix sans pour autant renoncer à cultiver une riche intériorité. Les épreuves sont nombreuses mais jamais présentées avec un misérabilisme surplombant : sa naissance dans une famille démunie, les bombardements durant la Deuxième guerre mondiale qui détruisent son immeuble romain, une enfance passée dans les rues comme marchande ambulante, un père aimé qui meurt prématurément laissant le champ libre à une mère terrible, une vie de labeur comme ouvrière puis blanchisseuse.
Avec la voix de Tullia qui résonne à la première personne, Laura Mancini creuse son personnage ordinaire sans aucun expédient pour la rendre extraordinaire, soulignant ses failles, dessinant ses rêves. La construction narrative choisit de mettre en évidence des moments de la vie de Tullia, les chapitres brassant le temps long d'une vie, s'enchaînant à coup d'ellipses très bien maitrisées. L'émotion reste pudique mais affleure au détour d'une phrase. J'ai très souvent été cueillie par la dernière phrase de chaque chapitre, particulièrement soignée pour conclure un épisode important ou éclairant l'évolution de Tullia.
Les chapitres sont toujours datés et associés à un lieu romain, un quartier, une rue … le Trastevere, Portonaccio, la piazza Vittorio, San Lorenzo ou encore Trinita dei Monti … les amoureux de Rome se régaleront de déambuler dans cette ville, mais rien ce n'est pas la Rome pittoresque qui est montrée, c'est la Rome des classes populaires décrite avec une belle authenticité et avec une vitalité qui rappelle le Naples d'Elena Ferrante. Tullia et Rome semblent parfois fusionner. Lorsque Tullia fuit le domicile parental très jeune, elle embrasse Rome qui l'accueille puis la guide, même si la vie n'y est pas plus douce et peut y être très cruelle. Car Tullia est profondément seule. Même dans une ville traversée par des émois socio-historiques ( la Deuxième guerre mondiale, la renaissance économiques des années 1960, les émeutes des années 1970 avec ses luttes syndicales ), Tullia reste en marge des grands mouvements collectifs.
En fait, Tullia est avant tout une femme en marche, elle avance têtue à la recherche de sa liberté, de sa dignité et du respect d'elle-même. Et ce n'est pas facile lorsque plane au-dessus de soi une figure maternelle aussi étouffante que Rosa qui vit sa maternité multiple avec un sentiment de malheur. Rosa et ses sautes d'humeur. Rosa et son charme féroce. Sa bestialité et sa folie grandissante. Tout le roman tourne autour de la question de la maternité et de la relation mère-fille. Tullia cherche à se libérer de la présence encombrante et intrusive de sa mère. Même lorsqu'elle a coupé les liens, elle sent en permanence sur elle le regard de sa mère, tel un phare implacable lui renvoyant ses propres échecs avec sa fille Marzia. L'ultime chapitre est superbe, permettant à Tullia de fermer enfin le cercle. Dommage que la relation entre Tullia et sa fille se déroule de façon moins convaincante.
Un premier roman vraiment prometteur. Assurément, Laura Mancina est une auteure à suivre.
Tullia nait à Rome à la fin de la guerre de 39-45. C’est elle qui nous raconte sa vie, année par année, dans cette ville.
Chaque chapitre correspond à une année et à un quartier ou une rue de la Ville Eternelle. Mais l’année n’est jamais racontée en entier, seulement un fait marquant. A nous lecteur de raccrocher les morceaux de ce qu’il s’est passé entre-temps et qui ne nous a pas été dit.
Tout comme Rosa, la mère de Tullia, ne dit jamais beaucoup de mots à ses enfants. Des reproches, surtout.
J’ai aimé suivre Tullia, obligée de parcourir la ville à pieds dès l’âge de 6 ans pour vendre des brosses et des laques après son renvoi de l’école. Comme ses frères, elle est obligée de travailler si la famille veut manger.
J’ai aimé découvrir cette vraie ville qui se reconstruit, pas encore touristique, avec de vrais romains qui se battent pour ne pas mourir de faim au sortir de la guerre.
J’ai aimé ce roman très elliptique, composé uniquement de mise en lumière d’une vie bien sombre de travail et de débrouille.
Je n’ai pas aimé que Rosa revienne sans cesse dans les pensées de Tullia, comme si la fille ne pouvait se défaire des principes de sa mère. J’ai été heureuse de lire que petit à petit, elle s’en détachait.
Une lecture douce-amère sur une ville et ses habitants qui ont su renaître du chaos et de la destruction.
L’image que je retiendrai :
Celle de la grosse boîte que porte Tullia à travers les rues de Rome, et qui contient tout ce qu’elle doit vendre dans la journée.
https://alexmotamots.fr/rien-pour-elle-laura-mancini/
Si d'aucuns excellent à truffer leur récit de rebondissements en tout genre, du plus attendu au plus invraisemblable, sur une trame historique riche et variée, il reste encore des romans qui au contraire ne s'appuient guère que sur quelques amplement donnés, mais richement exploités, pour avoir une réelle consistance. Vous l'aurez deviné, c'est le cas de Rien pour elle, premier roman de l'auteure italienne Laura Mancini, publiée par Agullo Éditions. À l'opposé du titre, le récit est entièrement dévoyé à la protagoniste principale, Tullia, sous les yeux de laquelle la focalisation se concentre.
Chaque chapitre correspond à une année de la vie de Tullia, on trouve parfois deux chapitres dévolus à la même année, dont l'existence commence six années avant le début du roman, en 1937 donc ; la vie n'est pas vraiment simple pour cette fille aînée d'une famille pauvre de plusieurs enfants dont la mère la prend volontiers, et assez méchamment, à partie régulièrement. Envoyée au turbin dès l'âge de treize ans, arpentant sans fin les rues interminables de la capitale italienne pour vendre ses accessoires de coiffure aux artisans postés dans leur échoppe. Le monde n'aura jamais assez de rouleaux de bigoudis pour entretenir ses têtes permanentées. La peau cuirassée, le caractère forgé par une enfance dans la rue, endurci par les sautes d'humeur et la versatilité hargneuse d'une mère froide et indifférente, qui a vite fait de se désolidariser de toute attitude maternelle envers elle, c'est par elle-même que Tullia part construire sa vie. Dans les ménages, le blanchissage, l'échine courbée, l'honneur droit. Loin de ce qui lui servait de cerce familial. Mais toujours à Rome, cette ville même ou l'on peut vivre mille et une vies. C'est ce que les notables romains qualifieraient de petite vie, dans un petit immeuble, n'ayant guère plus devant elle que les trois sous qui lui servent à s'acheter de quoi sustenter sa fille d'abord et elle-même ensuite. Parce que c'est une fille-mère dans un pays et une époque très traditionalistes, la version de chaire et d'os du Dieu catholique ne résidant après tout qu'à quelques kilomètres d'elle, et où le meilleur rôle est encore dévolu à cet autre père, celui de sa fille, qui ne souhaite pas assumer le fruit de ses ébats.
Dès le début, c'est-à-dire dès les six ans de la fillette, on comprend de quel bois est fait son caractère, sa force, sa stabilité, sa volonté, sa résistance, irréductibles. C'est une herbe folle qui a grandi hors des clous et que la mère ne saura pas emporter dans sa folie : cette conscience des défiances du monde qui l'entoure, elle l'acquiert très tôt, et cette maturité trop juvénile est annonciatrice du rôle de pilier qu'elle jouera toute sa vie. À la mort de son père, elle rapporte les ressources financières principales du foyer, endossant par la même le costume de son père, de chef de famille, c'est un rôle qui ne la quittera jamais vraiment. Homme et femme, mère et père, c'est la tête la première qu'elle va traverser sa vie, avec le travail comme prison et comme moyen d'émancipation principal, elle endosse les sacrifices des autres comme les siens propres. C'est un roman qui démontre, encore une fois, à quel point le rôle de l'homme peut se révéler bien secondaire et que la femme dispose des mêmes ressources si tant est qu'on lui en laisse la possibilité - le nœud du problème se trouvant justement ici. Certes, c'est une femme forte, mais c'est surtout une succession de sacrifices qui font de sa vie, une existence passée au service de son entourage. Une vie de labeur pour tous, en de rares moments pour elle-même, et cette narration, divisée en une sorte de semblant de récapitulatifs annuels, met en exergue cette absence de vie personnelle qui égraine son existence, la seule satisfaction étant de pourvoir à l'existence de sa fille sans l'aide de personne.
Dans Rien pour elle, la narratrice se tue à la tâche des différents métiers qu'elle exerce, mais elle sait pour elle fait, et si j'ai été prise de compassion pour la jeune fille qu'elle était, j'ai été ensuite pleine d'une admiration pour cette mère, absolument seule, qui a choisi d'assumer entièrement l'enfant qu'elle a eu très jeune. Travailler pour deux, assumer pour deux, on la sent peu à peu s'émanciper de sa vie de bagnarde pour devenir, enfin, à quarante ans ce que d'autres sont plus tôt ou ne seront jamais : une femme libre, indépendante, fière d'elle-même, de sa fille et de son petit-fils, sereine, une femme à même de profiter des petits plaisirs qu'elle peut s'offrir seule désormais à l'aube d'une nouvelle période de sa vie, indépendamment de l'avis d'autrui.
Autant que claire qu’obscure, dans les moments les plus lumineux que sombres de l'existence de Tullia, j'ai aimé cette langue élégante, qui est celui d'une fille qui n'a jamais eu l'occasion de s'instruire à l'école, mais par elle-même, qui s'est ensuite abreuvée et saoulée de mots. Cette langue porteuse d'un regard très clairvoyant sur les personnes qui traversent sa vie sans qu'elle ne tombe jamais dans un bas-côté mélodramatique. On la soutient, mais on ne la prend jamais en pitié. Son acuité de penser, de l'observation rend son jugement incisif, tranchant, tout comme elle l'est, et d'une capacité à prendre de la hauteur, à se détacher de la folie de sa mère, de l'absence de son père, de la place démesurée que ses frères et sœur ont pris sur elle, ces capacités qui ne naissent de rien, puisqu'elle n'a jamais rien eu à elle. Sauf ce qu'elle s'est construit.
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