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Lorsqu'on pose la question des sources grecques de la phénoménologie, c'est généralement à Aristote que l'on songe prioritairement. Si l'aristotélisme de Husserl s'avère parfois difficile à établir textuellement, celui de Brentano, de Heidegger ou de Patocka semble en revanche relever de l'évidence. Une telle évidence ne tend-elle pas à occulter une autre source, pourtant capitale : Platon et le platonisme ? Au thigein kai phanai (« être au contact et dire ») qui, en Métaphysique T, 10, semble annoncer le retour aux choses mêmes de la phénoménologie, il est tentant d'opposer l'aspiration platonicienne à un « là-bas » (ekei) : fuite hors du monde, le platonisme serait alors l'antithèse de la passion des phénomènes que la pensée d'Aristote aurait communiquée à la phénoménologie. Au-delà de ce qui peut paraître contestable dans cette vision de Platon et d'Aristote, il importe plutôt d'inspecter un certain nombre de lieux phénoménologiques décisifs dont la pensée platonicienne semble avoir déterminé la configuration ; le platonisme de Lotze, la redécouverte de l'idéalité chez Husserl, le statut de l'alétheia dans la pensée de Heidegger ou la détermination platonicienne du concept de matière chez Patocka sont des lieux de ce genre. En les analysant, nous tentons ici de mesurer si, comment et jusqu'à quel point la phénoménologie peut se dire platonicienne, comme elle se dit aussi aristotélicienne.
Le numéro s'ouvre sur la célèbre lecture que Lotze donne des Idées de Platon de sa Logique de 1874, où il dégage le monde des Idées comme monde du pensable, ainsi que le concept de signification idéale (qui ont une importance décisive pour la doctrine des Recherches logiques), tout en se situant dans la perspective kantienne du rapport entre l'empirique et l'a priori. Suivent deux contributions sur Husserl : l'une qui, au fil conducteur du platonisme, confronte la doctrine des Recherches logiques avec la doctrine des valeurs de Rickert ; l'autre qui s'interroge sur la validité en phénoménologie husserlienne du primat de l'intuition de l'?d?a sur la relation à l'objet individuel (de la possibilité sur l'effectivité) et conclut par la négative, tout en pointant les difficultés auxquelles conduit la transformation du concept de sens qui l'arrache au paradigme de l'idéalité de la signification. Deux textes éclairent ensuite le rapport de Heidegger au platonisme : le premier interroge le paradigme de la lumière (f??, Licht) dans Être et Temps, précise les termes dans lesquels Heidegger pense la compréhension de l'être et la temporalité, et détermine Être et Temps comme lieu d'un conflit entre ce paradigme et l'expérience du rien ; le second interroge le terme séminal de???? dans les deux cours donnés par Heidegger en 1935 et 1942, afin de montrer que l'Ereignis comme foyer de l'Être avait déjà été aperçu dans l'expérience grecque du tragique. Puis on aborde la réappropriation à laquelle se livre Patocka qui, au delà de la doctrine des Idées, voit chez Platon une thématisation radicale de l'apparaître comme tel, ainsi que de l'expérience de la liberté ; le dernier texte traite de l'appropriation de Platon par Levinas, qui a caractérisé sa pensée comme une phénoménologie du Bien répétant le primat platonicien de l'Idée du Bien.
Si la philosophie analytique a pu se donner pour tâche de « dégonfler Platon » (J. Barnes), ce parcours dégage à l'inverse ce que la parole platonicienne a eu de décisif pour la pensée phénoménologique.
L. Villevieille et D. Pradelle
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