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Baie d'Algésiras 1942. Elena Arbues, 27 ans, est libraire à la Linea, ville frontalière avec Gibraltar, territoire britannique en guerre aux côtés des Alliés, enclavé dans une Espagne franquiste officiellement neutre mais aux penchants germanophiles. Elle a perdu son mari deux ans auparavant, marin dont le navire marchand a été détruit par les Britanniques, un coup de canon mal ajusté alors que c'était un navire français qui était visé.
Un jour, elle découvre sur la plage un soldat blessé, « étrange Ulysse sorti de la mer, vêtu de caoutchouc noir, saignant du nez et des oreilles : corps dur et musclé, cheveux mouillés, profil de statue grecque, bien ciselé, sur lequel le bronze d'un casque antique s'adapterait naturellement. » Elle fait le choix de le sauver au lieu d'appeler la Guardia civil. C'est un Italien.
Arturo Perez-Reverte s'est emparé d'un fait historique totalement méconnu pour ma part. Durant la Deuxième guerre mondiale, quatorze navires britanniques stationnés à Gibraltar ont été torpillés par des soldats-plongeurs italiens. Les scènes d'attaque sont absolument remarquables tant la maitrise de l'auteur est évidente pour traquer les détails tout en proposant d'amples plans séquences qui immergent le lecteur avec force . On découvre ainsi un mode opératoire offensif réellement inouïes puisque les Italiens en binôme chevauchaient des torpilles appelées maiales avant d'en détacher l'ogive pour la placer sous la coque d'un cuirassé ou d'un porte-avion.
C'est dans ce cadre épique que nait et se développe l'histoire d'amour entre Elena et Teseo, le plongeur italien rescapé. Pour la raconter, Arturo Perez-Reverte choisit d'alterner un récit classique à la troisième personne et enquêtes d'un journaliste ( un double, à moins que ce ne soit l'auteur lui-même ) qui cherche à retrouver les protagonistes de cette histoire en 1982, Elena comprise. Je ne suis pas sûre que ce procédé soit pertinent car je n'y ai pas trouvé de plus value, trouvant même que cela pouvait avoir tendance à freiner l'élan narratif des parties 1942.
Ce dispositif a tout de même l'intérêt de faire entendre la voix d'Elena, personnage très intéressant mais très hermétique car loin de la flamboyance de certaines grandes héroïnes amoureuses. L'histoire d'amour en elle-même est très pudique, presque trop, j'aurai voulu plus m'enflammer pour comprendre les ressorts de cette passion dont les émotions exprimées sont excessivement retenues. Mais Elena est une héroïne intrigante justement parce que sortant des standards habituels.
« Nous tombons amoureux, en réalité, de l'image de l'amour que vous avons dans la tête, nous y projetons les livres que nous avons lus, les films que nous avons vus. Nos rêves, nos désirs, nos tristesses et nos joies. » dit Elena qui refuse de dire au narrateur pourquoi elle a pris des risques pour aider les Italiens après avoir retrouvé Teseo.
Elena est une lettrée et voit ce qu'elle vit, la guerre aussi, à travers le prisme de L'Iliade de Homère, elle dont le chien se prénomme Argos comme le chien d'Ulysse, et tient une librairie nommée Circé. Elle, la nouvelle Nausicaa voit en Teseo un nouvel Ulysse qui acquiert une dimension héroïque par le regard d'Elena projetant sur lui ses lectures. Ce prisme littéraire en fait imprègne tout le récit. Les plongeurs italiens sont des héros car leurs actes sont des exploités. Ils n'agissent pas par idéologie fasciste mais en tant que soldat qui font leur devoir, juste des héros antiques acceptant le tragique de la condition humaine. Elena y compris.
« Je voulais voir leur sang couler, ne serait-ce qu'un peu, a-t-elle poursuivi. Contribuer à le faire couler. Démentir le rôle passif de la femme qui attend au foyer tandis que les hommes règlent leurs comptes avec l'Histoire... Je me refusais de regarder la plaine de loin, du haut des remparts de Troie : moi aussi j'étais capable de mettre le feu aux noirs vaisseaux échoués sur le rivage. »
Et c'est assez troublant voire déstabilisant de lire un roman de guerre qui a pour cadre la Deuxième guerre mondiale, une guerre marquée par une polarisation idéologique implacable, sans lecture idéologisante, sans chercher à établir une frontière nette entre le Bien et le Mal, ne serait-ce que pour la flouter à sa guise au grès de l'évolution des personnages. Arturo Perez-Reverte se fout complètement du politiquement correct et ne fait pas de son roman une dénonciation tonitruante de la guerre et du camp de l'Axe. Il nourrit plutôt une réflexion très intéressante sur le patriotisme, coquille vide qui résume ou simplifie des choses beaucoup plus complexes alors que « chaque être humain est une boîte à surprises ».
J'ai un peu de mal à situer mon ressenti par rapport à ce roman, mais ce qui est sûr, c'est qu'il m'a moins plu que d'autres romans de l'auteur qui m'avaient plus emportée ( Le Tableau du maître flamand ou Le Maître d'escrime ).
Très bon livre. On découvre une partie de la guerre de 40 pour moi méconnue. Les italiens etaient les alliés des allemands et attaquaient les anglais.
Parfois un peu obscur du fait de la composition fragmentée, le récit est interressant.
Un magnifique roman d'amour, d'aventure et d'histoire ... la grande Histoire, celle des années 42-43, avec un épisode assez peu connu, les plongeurs italiens qui sabotaient les bateaux britanniques entre Gibraltar et Algésiras, les "maiale", les torpilles humaines à ogive explosive, les attaques sous-marines, une guerre occulte et silencieuse. Elena rencontre Teseo sur une plage, il est blessé, sans savoir qui il est, elle le sauve, son destin va basculer. Le roman va tourner autour du courage des hommes et des femmes, de cet amour et de l'amour des livres qui nous mènera jusqu'à Venise, dans une petite librairie Via Corfù. C'est bien écrit, soutenu, documenté, c'est Arturo Pérez-Reverte, écrivain immense dont le talent n'est plus à prouver.
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