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A l'aube du XXe siècle, Jean Paulhan vint vivre à Madagascar : « Il y a des pays de collines rouges où l'on trouve de petits lacs verts. C'est un pays tout à fait bien. Et puis on est libre » confiait-il alors à son plus proche ami, Guillaume de Tarde. Nommé au nouveau Collège de Tananarive - que venait de fonder le Gouverneur général Augagneur -, le jeune professeur s'intéressa aux Malgaches et à leur langue, recueillit des proverbes traditionnels en passe d'être oubliés, les Hain-Teny, mais se heurta bientôt aux manières des fonctionnaires et des colons.
Ces 121 lettres adressées à sa famille pendant les trois années de son séjour forment un témoignage ingénu, souvent critique et parfois visionnaire, sur la vie quotidienne d'une Colonie. Mais Madagascar est surtout le lieu initiatique où le jeune homme rêveur, loin de l'emprise de sa famille et de sa fiancée, passa à l'âge adulte. C'est là aussi que s'enracina son goût pour le langage et ses secrets pouvoirs.
« Il fait froid chez nous ce soir, écrivait-il à sa mère en juillet 1909. Maintenant la nuit est venue. Tout à l'heure Autret [son colocataire] va rentrer et nous dînerons. [.] Puis nous descendrons dans la ville et dès que nous aurons dépassé le palais de la Reine il fera brusquement très chaud. Alors nous nous arrêterons de courir. Nous ne fumerons pas mais nous marcherons très doucement et nous causerons avec les gens sur la route. / Nous passerons entre le collège et les arbres du jardin d'Andohalo. [.] Quand nous serons au bout du jardin, je dirai à Autret : «Allons-nous à Antaninarenina ?» C'est le beau quartier, celui de la résidence et des ramatoas des gens bien. «Non, dira Autret, il ne faut pas nous accoutumer au luxe.» Alors nous ferons encore un grand tour par de petites rues, dans du sable et des tas de cendres, avec une lanterne à la main. / Souvent nous nous sommes déguisés en malgaches, les pieds nus dans des sortes de sandales de moines, en grand lamba, et la figure un peu noircie. et nous avons causé, quelquefois, avec d'autres malgaches sans être reconnus. Nous étions fiers. »
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