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La misère est partout. Mais apprendre à nos enfants à vivre avec, n'est-ce pas là le crime originel ?
A Venise, une femme rencontre celle qui n'a plus de corps, plus de face : la mendiante. Son âme engloutie par quelque chose de plus noir encore que les eaux de la Sérénissime : l'indifférence. L'une tient la main d'un enfant, l'autre tend la sienne vers un ciel aveugle. Il y a celle debout ; il y a celle à genoux. Immobiles toutes deux.
La misère est à exacte hauteur des enfants. On vit avec. Avant même qu'ils ne sachent lire et écrire, ce que nous offrons à ceux que nous élevons, c'est la pauvreté à hauteur de leurs yeux. A bonne hauteur... elle ne le sera jamais.
Le chemin de l'école redevient une cour des miracles que pas un enfant ne devrait traverser. Pour grandir, il lui faudra d'abord regarder le malheur dans les yeux. Tout comme ses parents, il s'y habituera vite, et arrivera le moment où la misère le dépassera.
Elle est où l'humanité ?
L'inhumanité est sous nos fenêtres, on peut ne pas la regarder en face, elle vous saute à la gueule. La vérité que contiennent ces 110 pages, vous la croisez à chaque coin de rue.
Un récit que l'on lit d'une traite, un bijou qui brille de feux sombres. Il vous happe et c'est une force qui nous entoure.
Elle est là l'humanité.
Un petit bijou de délicatesse pour un sujet terriblement indigne et révoltant.
Une plume aussi belle que le sujet est abject.
Une couverture légère face à l’inhumanité écrasante de certaines vies et notre indifférence humiliante.
Nous devrions toujours rester du côté de l’effarement sous peine de ne devenir que de vils pantins automatisés et désarticulés.
Lien : https://www.livresselitteraire.com/2018/10/les-ames-et-les-enfants-dabord-isabelle-desesquelles.html
Madame, cette femme-chiffon croisée à Venise alors qu'elle entrait avec son fils dans la Basilique Saint-Marc. Cette femme au regard vide, paume tendue vers le ciel. Le visage sur le sol. Pantin désarticulé qui restera gravé dans l’esprit et l’âme de la narratrice. Comme un fantôme qui la visite pour que, désormais, elle prenne conscience de ces centaines de SDF, mendiants, Roms, sans-papiers qu’elle croise chaque jour comme nous à chaque coin de rues alors qu’elle tient fermement la main de son fils.
Madame est partout, à chaque saison, sur chaque visage.
Parfois la narratrice donne une pièce ou met entre les mains de son fils quelques centimes pour lui apprendre. Mais la plupart du temps c'est un simple « bonjour », pour se donner bonne conscience.
Son fils, qui avance sur le chemin de la vie à hauteur de misère, questionne : pourquoi ils sont pauvres ? Pourquoi ils sont sales ? Pourquoi à lui on ne donne rien ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi... Pirouette cacahuète en guise de réponses. Comme nous tous qui fermons les yeux. Après tout, on ne peut pas sauver tout le monde ! On a ces huîtres à acheter pour Noël. Cette maison à payer. On a bien assez à faire ! On a notre vie qu’il faut… vivre ! Seulement voilà depuis Venise, la narratrice ne vit plus qu’en voyant Madame. Depuis 3 ans. Alors il est peut-être temps d’ouvrir les yeux, et de lui écrire. Même dans sa tête. Les âmes et les enfants d'abord.
Isabelle Desesquelles nous offre une lettre vibrante de ce quotidien installé dans nos quartiers, et nos vies. Avec une sincérité brute, elle retranscrit ce que nous ressentons tous : la peine, la colère de voir ces gens dans la rue mais aussi la colère face à cette misère qui s’impose à nous. Aux enfants qui grandissent avec cette vue-là. Celle des oubliés, des dénigrés, des rejetés. Celle qui fait monter en puissance les extrêmes. Celle qui nous pousse quelque part à l’inhumanité.
Sans faux-semblants, sans indulgence aucune, avec en filigrane Hugo et Les Misérables ou encore Andersen et La petite fille aux allumettes, elle aborde ces sujets que nous nous gardons bien de soulever : pauvreté, survie, bande organisée, méfiance, honte, rejet, dégoût, consommation à outrance au travers de ces robes qui valent parfois le prix d’une maison. Pas de répit. Pour ces bateaux qui coulent. Ces âmes qui se noient. Et nous qui perdons la nôtre. À croire que seuls les enfants gardent la leur…
Oui… tout y est dit. Prenons-nous ça dans la gueule ! L'amère vérité. L’électrochoc. Pourtant, il n'est pas question de jugement dans ce court livre. Nul besoin d'ailleurs de juger ou de se faire moralisateur pour éveiller nos consciences. Il suffit de dresser un constat. Réaliste. Cruellement réaliste sur la nature humaine. Et Isabelle Desesquelles le fait avec la puissance de sa plume singulière. Délicate et âpre. Poétique et dure.
En s’adressant à cette femme-chiffon, elle pousse un cri qui résonne et résonnera encore longtemps pour celui qui osera lire ce livre nécessaire.
La misère est partout, au coin de rues, aux feux rouges, à la porte des boulangeries ou à côté des distributeurs de billets... Elle nous met mal à l'aise, nous interpelle, peut nous faire détourner le regard. Elle est devenue quotidienne. Elle nous touche mais, en même temps, s'en approcher de trop près ne risque-t-elle pas d'être contagieuse ? Dès le plus jeune âge, la confrontation est bien réelle, "à hauteur des yeux des enfants", au point de s'y habituer...
Ce livre est court, l'écriture agréable, il nous renvoie à nos bons sentiments au moins quelques instants...
La narratrice s’adresse à elle, Madame, ce tas de chiffons qu’elle a croisé un jour sur les marches de la Basilique Saint Marc, en face du café Florian. Son fils lui tenait la main, à hauteur de misère.
Depuis, elle ne cesse de penser à cette pauvreté dans nos rues, et nous parle de ce mendiant de la boulangerie qu’elle croise tous les matins.
Sans fards, sans langue de bois ni faux-semblants, la narratrice nous donne à voir cette pauvreté à hauteur d’enfant. Comment leur expliquer ?
La répétition de l’apostrophe à Madame donne un corps à cette pauvreté.
La narratrice convoque également les pages de Victor Hugo et les sonnets de Baudelaire.
Une lecture qui vient nous démanger dans notre quotidien.
L’image que je retiendrai :
Celle de la narratrice appelant sébile un gobelet McDo.
http://alexmotamots.fr/?p=1968
C’est un roman très court qui m’a laissé une impression étrange. On peut s’identifier facilement aux questionnements de la narratrice dans la mesure où l’on réalise parfois que cette misère fait désormais partie du décor, que l’habitude a pris le pas sur la révolte. Pour autant, certaines réflexions ou réactions sont parfois violentes. Dans ces moments, il est difficile de s’identifier et rester en empathie, même si l’absence d’indulgence envers elle-même en fait justement un roman juste, vrai et sincère. L’éducation est aussi évoquée par l’auteur : « La misère est partout. Mais apprendre à nos enfants à vivre avec, n’est-ce pas là le crime originel ? ». Les remarques de son fils viennent apporter un peu d’innocence dans ce texte et cela donne une petite bulle nécessaire à la lecture. Un souffle de bonté qui nous donne envie de croire que tout n’est pas perdu. Même si le quotidien vient vite faucher ces pensées si pleines de bon sens des enfants, elles sont quand même présentes. En moins de 100 pages, l’auteure nous offre un roman qui fait réfléchir, qui vient nous bousculer dans notre confort et notre indifférence.
Ce texte ne ressemble pas à un roman, on imagine très bien Isabelle Desesquelles avoir rencontré elle-même la mendiante de Venise et tous les autres ensuite, dans sa vie quotidienne. Mais de fait, nous sommes tous confrontés à la rencontre de la misère dans nos rues. Comment réagissons-nous ? Comment cette misère étalée devant nos yeux, devant ceux de nos enfants nous touche ? Quelles sont nos stratégies, nos excuses pour ne pas donner d'argent ou pour ne pas voir ces gens qui mendient ?
Ce qui est bien dans ce texte, c'est que la narratrice ne se barde pas d'excuses, elle n'a pas d'indulgence pour elle-même : "Sur la pauvreté, je n'en sais ni plus ni moins que les autres. Je l'ai croisée, je ne l'avais pas remarquée ou alors c'était sans rien y trouver de remarquable, je ne m'y arrêtais pas. Avec moi, l'angélisme n'est pas de mise ; quand un mendiant me réclame une somme précise, je la convertis en francs et l'envie de lui donner me passe aussitôt, si tant est que je l'ai eue." (p.17) C'est aussi ce qui ne met pas à l'aise, car avouons-le, tous nous avons été -et le sommes encore sûrement- gênés devant la mendicité : donner ? ne pas donner ? pourquoi à cette personne et pas à l'autre ? Pour finalement ne donner à personne. Isabelle Desesquelles ne donne pas de réponse, évidemment, elle ne juge pas, elle se pose exactement les mêmes questions. Son texte est un cri de peur, de désespoir, d'impuissance, de désarroi, de mal-être. Elle doit tous les jours répondre aux questions de son enfant et penser à son avenir qu'elle imagine plus sombre que nos jours actuels. Alors, elle en appelle à la littérature parce que c'est son moyen de se ressourcer, de réfléchir, de tenter de comprendre le monde : Andersen et La petite fille aux allumettes, Emily Brontë et son poème, Ce n'est pas une lâche que mon âme et surtout Victor Hugo et Les Misérables dont certains passages reproduits dans ce livre sont cruellement actuels, bien qu'écrits il y a plus de 150 ans.
Et la narratrice de poursuivre sa réflexion qui part dans beaucoup de directions, comme nous le ferions nous-mêmes : la richesse mal partagée et ces robes qui valent le prix d'une maison, ces voitures de luxe qui tardent à être livrées tant il y a de demande, alors que devant les devantures des revendeurs des SDF font la manche, ces gens bourrés de pognon qui ne pensent qu'à s'acheter la dernière paire de chaussure à la mode parce que "Il faut bien s'habiller, non ? La loi l'impose. Nue, on va en prison" (p.49, réponse d'une riche héritière non citée à un journaliste), ... Dans un court chapitre qui débute par un "Elle est où l'humanité ?", beaucoup de phrases choc, des évidences à dire et redire, à asséner pour ne pas devenir insensible et "habitué" à la misère : "Quand il s'agit de vous porter secours, on n'a rien dans le ventre. Elle est où, l'humanité, dans la blonde qui rallie les suffrages avec des éructations en guise de programme : "Combien de Mohamed Merah dans les bateaux et les avions qui arrivent chaque jour en France ?" Au même moment, un Afghan, un Syrien, un Somalien, un Kurde, un du monde entier coule à pic au large des côtes européennes." (p.50/51)
Je vais m'arrêter là mais je pourrais continuer de longues lignes encore, tellement ce texte est bouleversant et dérangeant, il vient nous titiller sur nos points faibles, sur notre part d'humanité sans jamais nous juger, juste nous questionner. Un livre court (110 pages) et fort intelligent que je vous recommande très chaudement.
Difficile d'exprimer mon ressenti à la lecture de ce texte tant les images qu'il renvoie et les questions qu'il pose sont douloureuses.
La réflexion de l'auteur oscille entre cruel réalisme, culpabilité latente et compassion la plus sincère. Elle restitue au plus juste des mots l'effroi suscité par cette cour des miracles sous nos yeux, le dur contraste entre misère et opulence indécente mais se garde bien de donner une leçon (pas plus qu'elle n'offre de solutions - y en a-t-il ?).
Le texte, court mais fort, résonne de poésie, emprunte ses paroles à Victor Hugo et frappe au creux de l'estomac : sommes nous si inhumains, si déshumanisés en croyant se donner bonne conscience lorsqu'on lâche quelques centimes dans une sébille ?
A mettre entre toutes les mains, pour réfléchir.
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