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«Jeanne tout court, sans nom de jeune fille, sans nom d'épouse. Jeanne sans état civil ni sac à main.» C'est ainsi que se présente cette frêle jeune femme à sa descente du «train des fous» en septembre 1939. Internée après la mort de son nouveau-né à Ville-Évrard, en région parisienne, elle a été transférée à Saint-Alban avec les autres patients. Dans ce château perché au milieu de la Lozère, une ambitieuse équipe de psychiatres, dont le Catalan Tosquelles, met en place de nouvelles pratiques thérapeutiques. Le maître mot est liberté. Liberté d'oeuvrer, d'inventer, de créer, d'échanger. Patients, médecins, religieuses, enfants de l'institut voisin et villageois se rapprochent encore davantage avec la guerre qui gronde. Dans une communauté atypique, que chapeaute la diligente mère supérieure, une nouvelle voie s'ouvre à chacun. Au contact des autres, Jeanne va renaître lentement à la vie et à elle-même.
À partir de l’histoire d’une patiente au moment de la seconde guerre mondiale, Paola Pigani choisit de raconter, pour son roman Le château des insensés, les grands changements de la psychiatrie moderne, introduisant ce qui plus tard s’appellera la psychothérapie institutionnelle.
De Ville Evrard en août 1939, Jeanne, vingt-quatre ans, vient de perdre son enfant à la naissance.« Psychose puerpérale, beaucoup de jeunes mères en souffrent, une maladie de langueur et de mélancolie profonde parfois à l’origine de pensées suicidaires ». Son mari, Lucien, a demandé son internement lorsqu’il l’a vue sombrer.
Lorsqu’il faut évacuer les malades de Paris pour les protéger lors de l’occupation allemande, Jeanne est envoyée à Saint-Alban-sur-Limagnol en Lozère dans un beau château. Le Dr Balvet dirige l’hôpital, aidé par la présence de religieuses dévouées. Lucien est mobilisé. Plus rien ne relie Jeanne à la vie !
Expérience hospitalière
Ce n’est pas uniquement les kilomètres qui vont faire la différence avec Ville Evrard. François Tosquelles, membre d’un groupe communiste espagnol, est obligé de fuir l’Espagne fasciste. Il se rend seul au château et va révolutionner la prise en charge des patients avec ses nouvelles méthodes. En ouvrant la structure vers le travail, y compris à l’extérieur, et en favorisant leur liberté et leurs expressions, les malades retrouvent peu à peu la maîtrise de leur univers.
Jeanne rencontre Victor-pour-la-vie qui est un peu déficient mais tellement joyeux et chaleureux. Auguste Forestier, coiffé d’un képi décoré, avec ses réalisations en bois, de rois et de reines comme lui dira Eluard, est reconnu comme artiste à part entière de l’art Brut par Jean Dubuffet. Paola Pigani le restitue dans toute sa singularité, sa souffrance et son talent.
Dans une époque où règnent les restrictions, la femme nommée « la Rillette » retrouve son appétit, symbolisant ainsi le désir de vivre qui fait défaut à tant d’hommes et de femmes internés, malgré le silence qui habite sa bouche. Marguerite Sirvins est devenue aussi artiste lors de son séjour à Saint-Alban. Elle récupère des bouts de fil qu’elle brode en les insérant sur de vieux draps.
Cette galerie de personnages est partagée par Paola Pigani par deux voies, celle de Jeanne qui se reconstruit petit à petit au contact des petits orphelins d’une partie de l’hôpital et le journal de Sœur Rolande, incarnant une religieuse reconnue « Juste » pour son dévouement pendant la guerre.
Refuge des artistes menacés
L’arrivée du Dr Bonnafé donne une autre dimension à ce lieu particulier. Médecin orthodoxe, inscrit au parti communiste depuis 1934, il est obligé de se faire discret sous le régime de Vichy. Fréquentant les surréalistes de Toulouse, sa proximité avec les artistes fera de Saint-Alban un refuge pour les artistes menacés.
Paola Pagani consacre une partie intéressante au séjour de Paul Eluard et de sa compagne Nusch. Son poème Liberté, qui sera largué sur la France en 1942, pour redonner à tous, espoir et détermination, est également inspiré par ce séjour.
Une plume résolument sociale
Avec son écriture poétique et lumineuse, Paola Pigani donne vie à cette communauté disparate mais tellement attachante pendant un épisode sombre de notre histoire. Amener l’abondance autant au niveau physique, mais aussi psychologique, dans cette période de restriction fut pour les deux médecins décrits une gageure réussie. La documentation historique est explicitée par l’aspect romanesque et la nourrit pour rapporter une expérience humaine étonnante.
Paola Pigani est une écrivaine sensible qui, par les sujets dont elle s’empare, dépose une brume humaniste sur les personnages auxquels elle donne vie. Dans Le château des insensés, c’est une communauté étrange, où la souffrance tente d’être dissoute par une attention et une empathie non feinte. Et pourtant, pas d’angélisme ici, juste l’évolution positive d’une jeune femme, surnommée Fauvette, qui sortira d’une psychose puerpérale avec succès. Une trajectoire de vie assez banale aujourd’hui, si détectée à temps, mais qui pour l’époque était une guérison révolutionnaire.
Seulement, Paola Pigani ne limite pas uniquement son propos à ce personnage attachant. Elle dresse un univers de cette expérience psychiatrique qui avait fait l’objet d’une exposition aux Abatoirs de Toulouse en 2021 retraçant le parcours de ce médecin catalan, François Tosquelles, qui a révolutionné la psychiatrie et aussi, créer l’Art, que depuis, on nomme Brut. Parfaitement réussi !
Chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2024/04/09/paola-pigani-le-chateau/
A partir de l’histoire réelle du psychiatre catalan, François Tosquelles, directeur de l’asile du château de Saint Alban en Lozère, durant la seconde guerre mondiale.
Un médecin visionnaire et novateur que Paola Pigani fait revivre avec l’histoire romancée de Jeanne, en septembre 1939. Cette jeune femme de 24 ans vient de perdre son bébé à la naissance. Folle de douleur, au sens littéral du terme, elle est « enfermée sur décision de Lucien, son époux. Il ne pouvait plus la faire taire, lui jetait de l’eau bénite en pleine figure. »
« On lui avait rapporté qu’elle criait toujours les mêmes choses, Enterrez moi avec lui. Lui, c’était le bébé mort à la naissance, enseveli en l’absence de sa mère, dans une fosse commune, non advenu, non baptisé, sans nom »
Elle est d’abord enfermée à Neuilly sur Marne puis dans le château de Saint Alban, en Lozère, loin de l’occupation allemande.
Le fonctionnement de l’asile est illustré par le traitement de Jeanne mais aussi par celui de ses compagnons d’infortune, délirants ou déprimés, chacun dans sa bulle, mais finalement pleins de vie. Comme Auguste, « Victor-pour-la-vie », la Caille, La Rillette, Monsieur Forestier et Marguerite Sirvins. Ces deux derniers sont des artistes, toujours exposés et qui ont réellement existé.
Un asile dirigé par les Docteurs Balvet et Tosquelles, dont les maîtres mots sont : Humanisme, Respect et Liberté.
« Une véritable révolution consiste à reprendre son enfance. » François Tosquelles
Un hôpital hors des sentiers battus de l’époque. Ouvert sur l’extérieur, tant du point de vue mental (les groupes de discussion sont privilégiés à tous les niveaux) que physique. Les malades peuvent travailler chez les paysans, ou, comme Jeanne, à l’institut Villaret qui s’occupe des enfants abandonnés et déficients.
Un hôpital, hors normes, sous ce régime de Vichy, qui n’accueillait pas que des malades mais aussi des résistants et des juifs.
Les +++
- Rendre vie et hommage à un médecin révolutionnaire en matière de psychiatrie, humaniste et courageux dans la vie quotidienne. En effet, l’hôpital cachait des juifs et des résistants et autorisait aussi des vraies sépultures pour les internés.
« Le docteur Tosquelles refuse que les morts soient portés en terre en silence. (…) Avant, on enterrait les malades le plus vite possible, comme des suicidés ou des criminels. On les faisait disparaître une seconde fois. Pas de nom sur les croix de planche. »
- la double narration, celle de l’autrice et celle de Sœur Rolande (qui a réellement existé) à la première personne du singulier, est passionnante. C’est son regard au quotidien, ses doutes, ses émotions et ses joies à propos du suivi des malades et de la gestion de l’hôpital par le docteur Tosquelles.
Les ----
J’ai lu ce récit comme un docu sur une facette et un personnage de l’histoire que j’ignorais. Intérêt mais pas d’émotion.
C’est bien écrit, bien documenté, mais l’histoire de Jeanne ne m’a pas touchée. Comme si l’écriture restait toujours sous contrôle….
Mêmes impressions avec deux précédents livres de Paola Pigani : « Et ils dansaient le dimanche » et « N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures ». Pour ce dernier, seule la deuxième partie laisse passer l’émotion et elle est magnifique.
Un ouvrage bien documenté et intéressant.
Lu dans le cadre du prix Orange 2024.
Merci à lecteurs.com et aux éditions Liana Levi
https://commelaplume.blogspot.com/
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