Des romans policiers à offrir ? Faites le plein de bonnes idées !
Paris, août 1944. La division Leclerc n'est pas loin. Alice, la femme d'Albert B., et ses enfants ne participent pas à la Libération. Pour eux, la nuit commence. Quand Jacques Doriot, en 1936, avait appelé tous les fils de France à se grouper autour du PPF qui allait devenir le plus grand parti fasciste français, Albert B., avait répondu parmi les premiers. Dès novembre 1940, Doriot s'engagea dans une politique de « collaboration » extrême. Albert suivit. De très hautes responsabilités lui furent confiées ; un jour, il revêtit même l'uniforme allemand... Marie, sa fille, née en 1942, évoque les faits : les rassemblements de foules nazies à Berlin et les premiers meetings du PPF. Ce qu'elle sait de sa petite enfance : un père que la politique éloigne toujours, une mère musicienne, résignée, et la Sonate au clair de lune égrénée dans une maison vide. Un peu plus tard, le parloir de Fresnes et la presse entière qui réclame la tête du traître. Marie Chaix s'est inspirée des carnets tenus par son père en prison. Elle met notamment à jour une version nouvelle de la mort de Doriot ; mais la lecture des événements se fait à travers une trame romanesque : des dîners allemands dans la maison familiale à la débâcle de Mainau - île du Lac de Constance - où s'égarèrent et s'enivrèrent les derniers PPF en fuite, le passé resurgit pour se figer en une fresque tragique.
Posé dans un coin du garage, enfoui depuis de nombreuses années sous la poussière, il attendait le moment où un courageux oserait le jeter pour lui offrir de renaître en tract électoral ou en papier toilette. Avec sa couverture vieillotte et son titre « Les Lauriers du Lac de Constance », j’imaginais paresseusement une histoire d’amour à l’eau de rose comme en écrivait Delly il y a une centaine d’années. Plus personne ne lit ça aujourd’hui, alors, désolé mon vieux… Trois ou quatre pas nous séparaient de la poubelle et c’est à ce moment que j’ai aperçu le sous-titre « chronique d’une collaboration ». Intrigué, j’ai parcouru la quatrième de couverture, si souvent décriée, mais qui, cette fois, fut décisive. Ce livre racontait une toute autre histoire…
« Je suis née en 42. D'autres sont les enfants de la guerre, on leur a fait absorber du calcium et des vitamines pour que leurs dents de lait ne tombent pas en petits morceaux. Moi, je suis un enfant de la collaboration, du maréchal, de Doriot, de la Wehrmacht et de l'antisémitisme. »
L’histoire est forte, d’autant plus qu’elle est véridique, puisque le père, membre du bureau politique du PPF de Jacques Doriot, une des figures de la collaboration, fut condamné en 48 à la réclusion à perpétuité, échappant de justesse à la guillotine. Je me devais d’offrir au livre de sa fille le même sursis ainsi qu’un verdict équitable que voici.
« Au vélodrome d’hiver, quatre mille Français sont réunis. Il fait chaud, on s’évente avec les journaux et les tracts que les Jeunesses PPF ont distribués à l’entrée. Aujourd’hui, une haute tribune est dressée, drapée de noir. Il apparaît le grand volontaire, le premier, le lieutenant français, le combattant des frontières de l’Est, un peu étranglé dans son bel uniforme. Car il eut grand faim en rentrant du front. Et grand soif. Dans les nuits tièdes de Paris, on trouve sans peine d’accueillants restaurants où il fait bon s’amollir et conter les exploits de la Wehrmacht.
Il y a un an, un été exactement, ils étaient douze mille au Vélodrome d’Hiver. Ils avaient chaud. Les mêmes Chemises bleues regardaient défiler les Etoiles jaunes. Depuis, on a fait le ménage au Vel’d’Hiv. Nulle trace ne subsiste des dégâts causés par les Etoiles jaunes, des souillures, de l’urine, du sang. On a désinfecté, on a jeté des tonnes d’eau de Javel sur les gradins du Vel’d’Hiv pour que les Français viennent s’y asseoir sans se salir…
Il ya un an, un été exactement, ils se pressaient, ruisselants, sous la verrière brûlante, le long des gradins sans air du Vel’d’Hiv. On ne leur disait rien. On ne leur expliquait pas. Il n’y avait personne à la tribune. A la porte, on les empêchait de sortir. Au bout d’une semaine, les Chemises bleues aidèrent les gendarmes de Paris à les pousser dans les camions, les wagons, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Et les enfants tous seuls.»
Le ton est donné, la faute impardonnable est exposée sans complaisance pour ce père lointain qui, dans sa cellule, « écrit son épopée politique sur de petits cahiers à carreaux. » Qu’a-t-il à dire ? « L’expérience que j’ai vécu au PPF d’une part, les constatations que j’ai pu faire lors de mon co-internement avec les dirigeants nazis d’autre part, m’ont montré la folie d’un tel système. Je ne crois plus à la politique. J’y ai constaté trop de saletés, d’indignité (quel que soit d’ailleurs le parti considéré) et j’ai acquis la conviction que la politique, pour être honnête et profitable, devrait être menée par des saints. Comme ce n’est pas chose possible, je ne peux l’envisager que comme une entreprise de profit et d’ambition personnelle et n’ai qu’un désir : m’en écarter à jamais. »
Sa fille s’interroge : « Tenter de s’expliquer, mettre au clair, lentement, les idées qui se sont bousculées, contradictoires, au fil d’événements dont la portée était souvent insaisissable. L’était-elle ? » Plus loin : « Abruptement, il déduira de ses aventures qu’il « n’était pas fait pour la politique » et s’en désintéressera totalement, s’épargnant la peine de tirer des conclusions plus approfondies, insouciant de l’héritage d’incompréhensions qu’il nous lèguera. » Elle accuse aussi : « Tu l’as fait ! Tu as dit oui, chef je suis ton homme. Tu es allé au siège de la Wehrmacht essayer ton nouveau costume…Petite goutte dans l’océan de boue qui inonde la terre, au moment où tout bascule, le front haut, le cœur léger, tu te déguises ! »
Le parcours du père, renonçant à sa carrière d’ingénieur pour soudainement et furieusement se lancer en politique en 1936, constitue un témoignage historique très intéressant. Le style est remarquable, en particulier dans la description de l’attitude, des sentiments et de la résilience d’Alice, la Mère tendrement aimée et aimante. Ce livre est aussi, je dirais même surtout, un magnifique témoignage d’amour filial : «Je la voyais de moins en moins la journée. Elle courrait les avocats, les commissariats, les prisons et le diable sait quoi. Je l’attendais patiemment en jouant à la marelle…quand le soir approchait, le signal m’était donné, elle ne va pas tarder, tu peux y aller…. Tout à coup elle était là, silhouette lasse en bas de la rue. Son apparition était plus miraculeuse que toutes celles de l’Histoire sainte, du Saint-Esprit à l’archange Gabriel. Je m’envolais en riant, battant l’air de mes bras en croix pour les refermer violemment autour de son cou, au bout du chemin. Nos rapports étaient passionnés et amoureux. Je la trouvais mystérieusement belle et forte, protégée des fées et malgré toutes les larmes, tous les cahots dont la vie était semée, j’imaginais que rien de fâcheux, jamais, ne pourrait lui arriver. Tous les matins j’ouvrirais les yeux sur son sourire, tous les soirs je l’attendrais à la croisée des chemins et me jetterais sur elle pour respirer son parfum et mordre son cou. La faire rire et tirer sa fatigue par la main vers le haut de la pente. »
Un grand talent d’écrivain, une histoire forte et émouvante dans une tragédie absolue. Jeter ce livre aurait été un crime. Je vais le conserver précieusement, le prêter autour de moi et me plonger, bientôt, dans les autres romans de Marie Chaix car, au sortir de ces lauriers, on a forcément envie de continuer à suivre Alice et Juliette, la bonne, dont l’auteure déclare : « je n’avais pas de père. Elle fut ma seconde mère ».
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