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Dans la soirée du 15 octobre 1869, le Comte de Chalusse est frappé d'une attaque dans le fiacre qui le ramenait à son luxueux hôtel particulier de la rue de Courcelles. La domesticité se précipite, et l'on fait venir le premier médecin qu'on a pu trouver. Celui-ci laisse peu d'espoir à mademoiselle Marguerite, jeune fille de 20 ans que le comte a retirée d'un orphelinat quelques années auparavant, et dont on peut supposer qu'elle est l'enfant naturelle. Au cours de la même soirée, un jeune avocat de famille très modeste, mais d'un brillant avenir, Pascal Férailleur, est présenté par un soi-disant ami, le prétendu Vicomte de Coralth, dans un tripot mondain tenu par une personne assez équivoque, Lia d'Argelès. C'est en réalité un piège tendu par le Marquis de Valorsay, un viveur criblé de dettes à qui le Comte de Chalusse, ignorant l'état de ses finances, a promis la main de Marguerite avec une dot de deux millions.
Cependant, et pour arriver sans encombre à ses funestes fins, Valorsay a décidé d'éliminer Férailleur ; en effet, le jeune avocat et Marguerite éprouvent l'un pour l'autre des sentiments, sans que le Comte de Chalusse ne sache rien de cette chaste idylle. Férailleur est alors entraîné dans une partie de cartes et, accusé d'avoir triché sans pouvoir prouver son innocence, voit sa carrière désormais brisée. Comprenant d'où provient le coup, il fait croire à tout le monde son brusque départ pour l'Amérique et, avec sa mère, s'installe sous un faux nom dans un quartier éloigné, d'où il va pouvoir, tel Monte Cristo, préparer sa vengeance et sa réhabilitation.
Apparences, illusions, faux nez, ce livre plonge le lecteur dans les ténèbres de l'esprit humain ; esprit dans lequel peuvent naître les forfaitures les plus inattendues et pour qui la félonie et la trahison s'avèrent une qualité. Roman de l'argent et du chantage Gaboriau tisse sa toile où il mêle, mais aussi démêle, habilement personnages et traits humains pour donner une fresque révélatrice d'un Paris du Second Empire bientôt à la veille de la Commune, avec ses rues, ses bas-fonds, ses estaminets, sa police, ses hôtels, ses maisons de jeux, son peuple.
Né en 1832, Emile Gaboriau collabore aux côtés de Paul Féval au journal Jean Diable et écrit plusieurs ouvrages documentaires et historiques avant de rencontrer un succès foudroyant avec « L'Affaire Lerouge », premier véritable roman policier (1865). Plusieurs romans de la même veine confirmeront son succès, et son héros, le génial détective Lecoq, inspirera en 1887 à Conan Doyle son personnage fétiche de Sherlock Holmes. Avec « La Vie Infernale » (1869), son oeuvre prend un tournant, devenant plus sociale sans abandonner ses qualités marquantes : suspense consommé, rebondissements audacieux et minutie dans l'enquête.
L'impact de Gaboriau à l'étranger est immense : admiré par Valentin Williams ou Fergus Hume, lu par Bismarck et Disraeli, traduit en Angleterre, en Italie, en Espagne, aux États-Unis ou au Japon, il a été en France admiré par les critiques Hippolyte Taine et Francisque Sarcey, mais aussi Edmond Locard (le fondateur de la police scientifique), Aristide Briand, André Gide, Jean Cocteau ou Joseph Kessel, qui affirmait : « tout Gaboriau est merveilleusement fait ». Comme le résume parfaitement Michel Lebrun, en un hommage mérité : « Il a lancé le roman policier, et l'a lancé loin. » Il meurt en 1873 d'une fluxion de poitrine, âgé de 41 ans.
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