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Un quadragénaire en marge de la société passe ses journées à visiter les endroits insolites de Paris jusqu'à ce qu'un ami lui propose un projet étrange et alléchant : créer une secte.Il se met alors à faire des études, proposant des lieux incroyables, prenant des cours pour s'introduire dans n'importe quels endroits, y compris les plus protégés. Peu à peu, la secte lucrative que souhaite son ami prend forme. Mais cela ne suffit plus.
C'est un roman qui ne démarre jamais complètement, qui se cherche. On pense à "fight club", à tous ses livres qui dénoncent la société de consommation. Il est clair que l'auteur a bien étudié les lieux déshérités de la région parisienne, et tous ces endroits propices aux fantaisies. Mais le sujet qui nous est annoncé, la création d'une secte, est presque parasitaire au milieu de ces descriptions de supermarchés abandonnés et de bords d'autoroute. Mais l'idée de départ est géniale. À l'arrivée, juste un bon souvenir.
Il manque comme un souffle d’air frais dans ce roman un peu trop parisien, qui fait rimer la ville et la vie. Ce retour au pays natal ennuie d’abord par son écriture trop dense, la prolifération de détails, le manque de fantaisie, malgré quelques pointes d’humour. Et puis peu à peu, le récit se libère du commentaire géographique vers une promenade poético-paranoïaque. Dans les dernières pages, qui sont magnifiques, le lecteur persévérant tombera - enfin - sur un monde déluré et un peu fou, qui ressemble étrangement au nôtre. Surpris, il se rendra compte tout à coup qu’il s’est pris au jeu. On l’incitera à se faire caisse de résonnance et capteur humain, à flirter avec le vide, à donner forme et sens à ce qui l’a perdu. « Regardez autour de vous, apprenez à reconnaître, dans ce paysage fonctionnel, les zones d’inscription de présence. D’un geste, dessinez les contours des êtres évanouis. Palpez les vestes oubliées sur les portes manteau, faites leur les poches. » Nous nous laisserons finalement convaincre par cette histoire de secte sur fond d’études d’urbanisme – mais in extremis.
Quelle ouverture, ce roman : arriver dans Paris par les eaux du canal Saint-Denis ! Ce subterfuge renverse les perspectives et fait perdre au lecteur tous ses repères. Envolée l’image d’Epinal de la métropole bouillonnante et grouillante, de ces avenues de pierres jaunes et de toits gris, de ces grandes perspectives architecturales ! Paris devient une île, un espace singulier un territoire inconnu : on y pénètre à l’envers, par ses côtés les moins rutilants, par ses marges, en l’occurrence cette « zone laissée blanche » que l’auteur situe méticuleusement en indiquant les cartes de l’IGN. Le profil du narrateur se dessine rapidement et efficacement. Parisien, la quarantaine, il se présente comme un collectionneur passionné par une espèce particulière : les marges et interstices désaffectés de la capitale qu’il découvre et topographie au fil de ses pérégrinations urbaines.
S’appuyant sur une charpente solide, l’action chemine efficacement : une première série de déambulations liminaires introduit le lecteur au mode de vie nomade et alternatif du narrateur, le faisant pénétrer par effraction dans les angles morts de la capitale en réalité centres névralgiques insoupçonnés: colonne d’aération du RER derrière les façades de la rue Lafayette, terrain vague sur lequel se construit le TGI de Paris, data centers d’Aubervilliers. L’habileté de l’auteur à détourner des lieux connus de la capitale pour en révéler la part de mystère, la part dérobée au public est époustouflante : par un tour de passe-passe génial, il escamote la capitale. Ne subsistent que ses vides, ses angles morts que chacun a côtoyé, longé, traversé, sans jamais les repérer. La Conjuration propose une expérience subversive intégrale : géographiquement par l’exploration méthodique des blancs cartographiques dans un noeud urbain qu’on croyait saturé, spirituellement avec le lancement d’une secte rampante qui se constitue de quelques adeptes cherchant par la conquête du vide à se reconnecter à la vie et aux autres, à leur insu, en secret, littérairement en faisant du vide une aventure.
L’écriture restitue l’expérience sectaire : précise, donnant des indications digne d’un GPS au début elle contraste avec la perte des repères qu’éprouve le narrateur, le sentiment diffus de voir son mode de vie menacé par la commercialisation rampante des espaces urbains. A la rencontre avec André, au lancement de leur projet de secte correspond une série de sept études-relevés topographiques rédigés avec la sécheresse propre au compte-rendu. Preuve de la dérive qui s’amorce pour le narrateur : les dialogues sont toujours rapportés, comme si le narrateur était déjà en dehors de la vie réelle. Au catalogue des dernières en matière de sectes en Europe et argumentaire commercial décrivant les possibles agapes sectaires succède un changement de ton abrupt. Le parcours initiatique débouche sur le nirvana de l’expérience de la fusion avec l’espace et de l’invisibilité : quatorze courts chapitres énoncent la profession de foi de la nouvelle secte à la tête de laquelle le narrateur s’est improvisé guide. L’écriture devient hermétique, elliptique, les têtes de chapitres subliminales. Elliptique, hermétique, le style des quatorze derniers chapitres qui rompt avec le reste du roman restitue parfaitement le caractère absolu de l’expérience sectaire. Tout n’est que sensation. A la passion moderne pour la visibilité, l’angoisse existentielle qui pousse l’homme contemporain à toujours vouloir être « au cœur de », Philippe Vasset oppose l’hybris de l’invisibilité qui devient l’invincibilité.
Brillant, haletant, d'une maîtrise époustouflante!
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