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C'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que Ivo Andric écrit La Chronique de Belgrade, un roman-chronique qui s'étend du début du XXe siècle jusqu'en 1944. À travers le portrait de « petites gens » l'auteur décrit la transformation de la société et l'évolution des mentalités et des relations au sein de la famille. Se dessine ainsi en filigrane le portrait imaginaire de Belgrade en une construction littéraire de son histoire récente.
De Portrait de famille qui évoque des relations familiales compliquées, jusqu'à Zeko, qui raconte l'histoire dissolue d'un personnage et de sa ville, La Chronique constitue un témoignage littéraire sur une époque troublée, sur les changements dramatiques et les circonstances tragiques qui ont affecté tant le monde extérieur que l'âme des individus.
Ivo Andrić (1892 – 1975) est, selon la page Wikipédia qui lui est consacrée, « né en Bosnie dans une famille croate, qui a eu plus tard la nationalité et l’identité serbe », preuve s’il en fallait que la Yougoslavie était bien plus qu’une construction étatique héritée de la fin de la Première Guerre Mondiale. Il est principalement connu pour « La chronique de Travnik » et « Le pont sur la Drina » et reçut le Prix Nobel de littérature en 1961. Le recueil que nous présentons aujourd’hui, La chronique de Belgrade, a été récemment publié par les Editions des Syrtes, et regroupe huit nouvelles écrites en 1946 et 1951, qui sont pour la plupart traduites en français pour la première fois.
Le fond des nouvelles se déroule quasi-essentiellement dans la première moitié du XXème siècle, avec une place prépondérante tenue par la Seconde Guerre Mondiale, à Belgrade.
Dans les 200 pages que comportent le livre, plus de 120 sont dédiées à la nouvelle Zeko, qui retrace l’histoire d’un homme promis à un bel avenir, mais que sont venues perturber les guerres qui agitèrent la région à l’époque (guerre d’annexion à la Bosnie, en 1908, première guerre balkanique de 1912, première guerre mondiale) mais surtout un mariage avec une femme devenue acariâtre. Zeko passif, qui regarde sa vie plutôt que de la vivre, mais finit par connaître son chemin de Damas après avoir vu des pendaisons en août 1941.
"Laisse moi, te dis-je ! Vous courez tous à Zemun pour acheter du beurre et du cacao, et ici, au coeur de Belgrade, on pend les gens. Quelle honte. QUEL-LE HON-TE ! Si nous étions des hommes, nous serions tous à Terazije à scander haut et fort : « A bas les potences ! A bas Hitler, le sanguinaire ! »"
"
Le lecteur assiste à la métamorphose du personnage principal qui, au contraire de son épouse, va révéler un calme et une autorité réelle quand son pays se retrouve dans l’engrenage de la guerre.
"Ce que des décennies d’une vie de tristesse n’avaient pu faire, cette époque de ténèbres, inhumaine, mais ardente et héroïque, devait le réaliser. En fait, elle accéléré et paracheva un processus entamé des années plus tôt avec la découverte de la Save et de la vie sur sa rive. Depuis longtemps Zeko pressentait une foultitude de choses, mais ce fut cette année-là qui lui ouvrit les yeux et qui lui révéla que sa manière de vivre et de penser était peu digne d’un homme, et que des devoirs qui lui incombaient, il en accomplissait peu. Partout des fronts clairement dessinés se présentaient à lui, dans cette guerre, à l’arrière, dans la sociétéé, dans la maison qu’il habitait, et aussi en lui."
Hormis cette nouvelle majeure qui s’apparente à un roman d’apprentissage sur le tard, La chronique de Belgrade offre des textes qui partagent, en plus du contexte, les points suivants : le sens de la formule, une description psychologique fine des personnages, non dénuée d’humour. A la lecture des vingt premières pages, l’on se dit qu’Andric n’avait pas une vision positive des femmes. Dans « Portrait de famille », à l’occasion d’une nuit passée dans une maison bourgeoise à la fin de la guerre, il évoque à travers un tableau la famille qui habita les lieux et notamment la maîtresse de maison :
"Commençons par la femme, c’est avec elle que, du mariage à la tombe, tout débutait et s’achevait dans cette maison. Teint mat, courte de jambes, triple mention et petite moustache drue, des strates de graisse abondantes en quantité peu communes et à des endroits inattendus. (…) Elle ne tergiverse en rien, n’hésite devant personne, jamais ne se contient, livre tout ce qu’elle pense et uniquement ce qu’elle pense, n’épargne personne et ne prend rien en ligne de compte. Car, à ses yeux, ce qu’elle pense est la vérité, ce qu’elle dit fait loi, et ce qu’elle fait est juste."
Une description comparable s’appliquera à la femme de Zeko, surnommée « Kobra ». A cet égard, le traducteur consacre une postface intitulée « La place de la femme dans la chronique de Belgrade » pour commenter ces soupçons de mysoginie, lesquels sont néanmoins rapidement effacés par d’autres portraits féminins beaucoup plus flatteurs. Dans « Destructions », ce sont les personnages masculins qui s’effacent quand les bombardements secouent Belgrade ; dans « Zeko », sa belle-soeur représente un ilôt de stabilité et de résilience ; tandis que « Le cas de Stevan Karajan » met en scène un homme reconnu par ses pairs mais ayant perdu tous ses repères durant les bombardements. Plus généralement, Andrić nous montre des personnages aux prises avec la grande Histoire, dans une société qui, après avoir connu un véritable essor dans les années 20, se trouve bouleversée par la guerre.
Cela fut la première lecture de l’oeuvre d’Ivo Andric pour moi, et elle fut concluante ! Je me promets de lire prochainement « Le pont sur la Drina » qui dort sur mes étagères depuis de nombreuses années.
https://etsionbouquinait.com/2023/03/16/ivo-andric-la-chronique-de-belgrade/
Si Belgrade m’était contée…
Si le nom d’Ivo Andrić m’était quelque peu familier, je n’avais jamais eu l’occasion de me plonger dans les écrits de cet auteur croate, prix Nobel de littérature en 1961.
Heureusement les éditions des Syrtes sont là et nous permettent de découvrir, cerise sur le gâteau, des nouvelles exclusives de l’auteur.
Des nouvelles classées chronologiquement en fonction des événements narrés dans les différents textes.
Sans vouloir résumer chaque nouvelle, certains grands traits se distinguent de l’esemble de ce livre.
Toutes ont pour cadre la ville de Belgrade, mais ce qui est frappant c’est l’omniprésence de la guerre et des bombardements.
On sent que l’auteur, qui resta à Belgrade occupée puis bombardée pendant la seconde guerre mondiale, a ressenti personnellement les alarmes aériennes, les fuites dans les caves, l’attente au milieu des gens qui crient, se lamentent ou au contraire restent presque absents des événements.
La guerre sert de catalyseur, de révélateur d’humanité : elle permet de montrer le vrai visage des gens, leur permet de s’élever, de reconquérir une dignité écrasée dans les affres d’un mariage malheureux. Car oui, certains couples sont heureux mais dans l’ensemble le bonheur conjugal n’est pas monnaie courante.
Les personnages principaux de ces récits ne sont pas des héros, à la base. Ce sont des hommes qui ont souvent épousés la mauvaise femme, des mégères qui rabrouent leur mari. Et ce dernier s’efface. Mais parfois il est possible de reconquérir une certaine forme de dignité. Certains y arrivent, d’autres non.
Ces portraits sont autant d’occasion pour évoquer la vie belgradoise sur des périodes charnières. J’ai été séduite par la plume de l’auteur, par ses personnages pathétiques ou horripilants mais surtout touchants par leur volonté de casser leurs chaînes.
Une première incursion dans les écrits de cet auteur qui me donne envie d’en découvrir davantage.
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