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Cette photo en première de couverture exprime à elle seule la nature du personnage éponyme m'avait tapé dans l'œil depuis l'annonce des titres de la rentrée. Et puis, il y a des noms de traductrices et traducteurs qui naturellement prédisent une belle lecture. On a peu de choses en français sur Cristian Fulaş, l'auteur roumain, le rabat nous livre tout juste qu'il est également éditeur et traducteur. Près de six cents pages sur un taiseux, Iochka, sur un coin de montagne, sur un bout de vie et un pan d'histoire roumaine. Ce n'est pas une mince affaire que nous présente là Cristian Fulaş, si Molnar Iochka prononce à peine dix lignes à tout casser, ce roman regorge de détails et d'histoires, petites ou grandes, individuelles ou universelles, un long discours, un long bavardage qui prend le silence de Iochka à contre-pied.
Il y a d'abord le contexte, il a la vie de Iochka, jeune garçon, jeune homme, et il y a la vie sur ce bout de montagne, les vies de ceux qui ne savent plus parler, n'en ont plus trop envie et ceux qui créent un lien d'une autre manière. Il y a un long monologue sur le silence. On appréhende très vite que Iochka est un drôle d'oiseau difficile à cerner. Et s'il y a bien une image qu'il faut retenir de lui, mise à part celle de son visage buriné par son passé de soldat, ce sont les mains. Noires de suie, huileuses de la graisse qu'il mange, écorchées des travaux manuels, rugueuses, solides et pourtant délicates et sensuelles pour l'élue. Des mains bien plus bavardes que l'homme à qui elles appartiennent. C'est l'un de ces hommes qui semble toujours avoir été là, dans ces bois, dans un temps sans début ni fin, à ramasser le bois, le brûler, le vendre. Sur un pan des Carpates. Iochka a pourtant une histoire, qui se mêle à celle de son pays, surtout à ses débuts. Plus qu'un homme, c'est une âme, un esprit gravé dans la forêt.
L'écriture, dans un savant de jeu de flash-backs ou de sauts en avant, nous ramène doucement dans le passé de Iochka, ou chaque détail de cette forêt est susceptible de réveiller en lui des souvenirs, pas les meilleurs, d'une jeunesse passée à la guerre, d'une première partie de vie qui a sûrement pris fin sous la bâche d'une carriole, entre les confettis de corps décomposés qui voletaient autour de lui. La deuxième partie de sa vie qui elle aussi s'achève dans la douleur. 560 pages pour Iochka, qui a peu l'occasion de parler, pages qui sont bien plus descriptives que narratives, mais telles qu'elles sont faites, donnent l'impression de n'être qu'une seule et grande, longue description : il n'y a pas d'interligne au début de chaque chapitre, tout semble être un seul et même bloc, les dialogues fondus dans la description, comme s'ils n'avaient pas d'importance, et après tout, il semblerait que ce soit le cas, puisque le discours indirect rapporte bien souvent ces dialogues.
La vie isolée dans cette vallée des Carpates n'occulte pas le pays dans sa globalité et les maux dont il est atteint, en premier lieu par la présence de cet "asile", où sont parqués les anormaux, les hors-systèmes, une mise à l'écart dans un coin perdu d'où ils ne reviendront jamais. L'auteur ne cesse de raconter sur justement cette impossibilité à communiquer pour les personnages, Iochka, le pope ou ce docteur, qui officie à l'asile, cette privation volontaire et personnelle de la parole qui renvoie en un sens à la terreur que fait régner la Securitate, et dont chaque opposant fait les frais. Tandis que non loin, presque à côté, il y a ces "Hurleurs" qui hantent la vallée.
On ne peut pas rester insensible à cette écriture majestueuse, qui semble être sortie d'un trait de l'esprit créateur de son auteur, brute, et charnue, aussi pleine que Iochka est avare en paroles et en expressions, à force de tournoyer dans cette forêt, il en est devenu une bouche dure et imperméable, immuable au milieu de ces arbres qui étaient là avant lui, qui le seront après. En plein milieu d'un silence, qui n'est pas seulement le sien, un silence d'état, une institution. Finalement, cette forêt n'est pas si loin d'être cette Roumanie, un microcosme à lui seul, on y vit, on y meurt. Avant que ce coin de paradis, parce qu'isolé de la civilisation, ne disparaisse.
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