Des romans policiers à offrir ? Faites le plein de bonnes idées !
«Je suis la véritable trace, le plus solide des indices attestant de tout ce que nous avons vécu en dix ans en Algérie. Je cache l'histoire d'une guerre entière, inscrite sur ma peau depuis que je suis enfant.» Aube est une jeune Algérienne qui doit se souvenir de la guerre d'indépendance, qu'elle n'a pas vécue, et oublier la guerre civile des années 1990, qu'elle a elle-même traversée. Sa tragédie est marquée sur son corps : une cicatrice au cou et des cordes vocales détruites. Muette, elle rêve de retrouver sa voix. Son histoire, elle ne peut la raconter qu'à la fille qu'elle porte dans son ventre. Mais a-t-elle le droit de garder cette enfant ? Peut-on donner la vie quand on vous l'a presque arrachée ? Dans un pays qui a voté des lois pour punir quiconque évoque la guerre civile, Aube décide de se rendre dans son village natal, où tout a débuté, et où les morts lui répondront peut-être.
Genre : Roman historique
Avis : OBSÉDANT
Format : Broché
Quand un roman dévoile au lecteur ce qu’un pouvoir en place empêche de dire…
Aube est une jeune Algérienne qui doit célébrer l’indépendance de son pays mais oublier la décennie noire durant laquelle elle a eu les cordes vocales détruites, à 5 ans. Elle n’a pas le droit de raconter une histoire dont elle est un témoin rescapé ; elle ne peut le faire qu’auprès de la fille qu’elle porte dans son ventre. Harcelée et menacée par les hommes devenus les barbares du quotidien, elle va se rendre dans son village natal pour trouver des réponses auprès des morts et surtout de sa sœur qui elle, a été tuée, le même jour de tragédie ordinaire.
Ce roman vient de remporter le Goncourt, j’ai lu et chroniqué plusieurs livres qui étaient en lice et dès ma lecture terminée, j’ai su que cela allait être celui-là. Pourquoi ? Eh bien parce qu’il y a LA différence, celle qui a du mal à être définie mais qui répond à plusieurs exigences : une écriture illuminée, une forme particulière, un fond rédempteur, des défauts consciemment mis en scène, une obsession qui prend possession de votre esprit.
Je n’avais jamais pris conscience de ces années noires en Algérie, ces jours de quasiment guerre civile durant lesquelles la population était coincée entre le pouvoir militaire et les terroristes qui ne relâchaient pas leur emprise. Cela n’est pas étonnant puisqu’encore aujourd’hui, les raconter est passible d’emprisonnement. L’avertissement est bien présent sur l’une des premières pages du roman, comme un drapeau de révolte ultime de l’auteur. Un métier résume l’hypocrisie : cuisinier. Je ne vous en dirai pas plus, bien entendu. Il fallait choisir son camp et de nombreux libraires qui ne voulaient pas vendre exclusivement des livres de cuisine et des livres religieux, par exemple, ont été assassinés. Car c’est là, le propre de ces régimes despotiques, c’est que le modéré est aussi haï et en danger que le pire des terroristes. Réfléchir peut devenir un crime !
La lecture peut être déstabilisante car toutes les actions ne sont pas par ordre chronologique. Il y a aussi des répétitions, des interprétations, des approximations mais cela pourrait être voulu, comme le chaos qui existait dans la réalité des combats en sous-main. Seul, l’auteur le sait. J’ai visualisé une immense fresque aux tableaux aussi littéraires que picturaux, tous marqués du sceau de l’Histoire.
Il y a un suspense qui s’installe dû au mélange des évènements et des récits des personnages. Il n’y en a aucun sur les interdictions faites aux femmes. Aube porte la résilience et le courage au summum de ce qui peut être, l’homme qui veut la sauver et dont le cerveau a enregistré tous les chiffres liés aux massacres est fascinant et l’on souhaite que la fille dans le ventre de la mère la connaisse un jour. Car espoir, il y a, malgré tout le désespoir dans lequel on s’englue.
Ce roman n’a pas suscité d’interrogations de la part du Jury, vous comprendrez pourquoi en le lisant. J’avoue que mon cœur était accroché à « Madelaine, avant l’Aube » de Sandrine Collette mais ma raison savait…
Vingt ans après le massacre dont elle a été victime à l’âge de six ans, Aube, seule survivante de sa famille, raconte au petit embryon qu’elle porte en son ventre ses souvenirs de cette journée du 31 décembre 1999. Le récit à sa Houri ne peut s’exprimer à d’autres, le son de sa voix étant bloqué à jamais par la canule qui lui traverse la gorge, lui sculptant par ailleurs un large sourire monstrueux. Recueillie par Khadija, sa seconde mère,à Oran, Aube est encore capable d’affronter les interdits des barbus en tenant un salon de coiffure face à la mosquée, avant d’entreprendre un pèlerinage jusqu’à Had Chakala son village natal, long parcours au cours duquel elle croisera entre autres, Aïssa, lui aussi rescapé, libraire dont la foi en la littérature lui a toujours permis de rester amnésique certes, mais debout ! Ainsi, si Aube décide de ne pas mettre au monde sa petite fille, elle lui aura expliqué les dangers à venir au monde dans un pays où les femmes sont soumises à des lois barbares.
Parvenue à son but, quelle mémoire restait-il du 31 décembre 1999 ? S’agissant des habitants du village « Ils auraient dû être payés comme des employés de la mémoire pour ne jamais se taire, et que voyais-je ? Des enfants rieurs. Des têtes d’ânes. Ces gens n’étaient-ils pas les survivants des douze tribus du Ouarsenis, égorgées, tuées, massacrées avec leurs animaux le 31 décembre 1999 ? ... »
Dès les premières pages, malgré les terribles faits, j’ai été littéralement éblouie par l’écriture de Kamel Daoud. Si « Meursault contre-enquête » m’avait fait découvrir son talent, il ne me restait de ce roman qu’un bon souvenir de lecture. Pour moi « Houris » franchit une barre très haute avec un style particulier empreint de poésie pour faire revivre la tragédie sanglante de dix années de guerre civile tue par une loi. En dehors d’un devoir de mémoire accompli, ne peut-on voir dans ce roman l’expression d’une critique personnelle de l’auteur sur les lois de son pays ?
Je terminerai mon propos en reconnaissant que j’ai trouvé un peu de longueur de cette lecture très exigeante dans sa forme. Minime critique en considérant la beauté de cette œuvre.
Lu dans le cadre du prix Landerneau des lecteurs 2024
'Houris' a pour thème la guerre civile qu a marquée l'Algérie dans les années 1990. Des années de plomb où beaucoup d’algériens ont perdu la vie, plus de 200 000 morts.
Vous l'aurez compris ce n'est pas un roman très joyeux. Ici il est question de souffrance, de déchirement familial, d'atrocités, de solitude, de violence. L'auteur a voulu montrer dans son livre tout le désastre et les conséquence d'une telle tragédie à travers la voix d'Aube la narratrice.
Petit bémol : le livre est un peu trop long selon moi.
Un roman incontournable de la rentrée littéraire d'automne récompensé par le Goncourt 2024.
à noter : Les houris sont, selon la foi musulmane, des vierges dans le paradis, qui seront la récompense des bienheureux. Ce sont des personnages célestes (source : Wikipédia).
Un roman militant.
A travers la narration de son héroïne, Aube, l’auteur signe un roman d’une impressionnante dimension politique, sociale et féministe.
Aube est une jeune femme enceinte, qui explique à sa fille Houri, (bien à l’abri dans son ventre), pourquoi elle devra avorter. Elle remonte le cours de sa vie, puis se rend physiquement jusqu’à son village natal d’Had Chekala où un massacre a eu lieu.
Elle avait 5 ans quand elle a été à moitié égorgée. Seule rescapée de sa famille, elle vit avec une large cicatrice au niveau de la gorge, « un sourire en dessous du menton » et une canule. Elle est quasiment muette et s’exprime tout au long du roman avec sa voix intérieure.
Vestige vivant et surtout gênant que « ce sourire » puisqu’il a été décidé au niveau national d’occulter cette guerre civile, de passer l’éponge sur les bourreaux, mais aussi et par conséquent sur les victimes.
« Peut-être qu’ils se doutent que, par le trou de ma gorge, ce sont les centaines de milliers de morts de la guerre civile algérienne qui les toisent. »
Un roman fort, intense et tragique, dont le lecteur ne sort pas indemne.
Les mots sont justes et percutants, la plume « joue » entre émotion et colère et embarque le lecteur dans son sillage.
Les thèmes sont parfaitement maîtrisés :
- Recouvrer la mémoire face à l’Omerta nationale, « la Grande Réconciliation » qui a été imposée au peuple algérien pour oublier (nier) la guerre civile des années 90 à 2000.
« Article 46 – est puni d’un emprisonnement de 3 à 5 ans et d’une amende (…) , quiconque par ses déclarations , écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat , nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’Algérie sur le plan international. »
« La charte pour la paix et la réconciliation nationale. «
Des massacres qui ont provoqué des milliers de morts, on parle de 200.000, parmi les habitants des villages, résultat de la guerre entre les « barbus » et les militaires.
- Rendre justice et paroles aux victimes, aux familles endeuillées.
Évoquer aussi avec une infinie sensibilité, le sentiment de culpabilité qui étreint et empêche de vivre les survivants.
- Un récit lucide et courageux qui se dresse aux côtés des femmes pour dénoncer la condition féminine en Algérie.
Aube explique à sa fille pourquoi il ne faut pas naître « fille » dans ce pays d’hommes : « je t’évite de naître pour t’éviter de mourir à chaque instant. Car dans ce pays, on nous aime muettes et nues pour le plaisir des hommes en rut. »
Un roman qui mérite totalement le Goncourt.
Pourtant, j’ai adoré « Madelaine avant l’aube » mais pour moi, « Houris » a une autre dimension…Et d’ailleurs, je salue le courage de Kamel Daoud pour l’écriture de ce roman en opposition totale avec la politique algérienne.
https://commelaplume.blogspot.com/
Intagram : commelaplume
Quand on parle de guerre en Algérie, on pense immédiatement aux luttes pour l'indépendance contre la France que la puissance coloniale, avec euphémisme, nommait « événements ».
Le pays le plus peuplé du Maghreb a en effet décidé d'occulter la décennie noire qui fit environ 200 000 morts.
Tout commence à la fin de l'année 1991 avec le raz-de-marée du FIS (Front islamique du salut) au premier tour des élections législatives. En janvier 1992, l'armée opère un coup de force. Les islamistes prennent le maquis, s'arment et sèment la peur.
La guerre civile a commencé.
Elle se termine dix ans plus tard. En 1999, le gouvernement avait déjà tendu la main aux terroristes en amnistiant ceux qui déposeraient les armes.
Six ans plus tard, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale interdit toute instrumentalisation « des blessures de la tragédie nationale » et l'assortit d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à cinq ans et d'une amende conséquente. Fermez le ban, il n'y a plus rien à voir...
Avec « Houris », Kamel Daoud fait œuvre de mémoire en racontant le chaos que fut cette période pour la population.
C'est par la voix d'Aube, Fajr en arabe, que les horreurs commises, et désormais tues, revivent sous nos yeux.
Car Aube est la preuve vivante, la cicatrice apparente et le symbole de la barbarie. « Quand ils croiront avoir tout nettoyé de leurs crimes, il y aura encore toi et tes yeux magnifiques » lui dit sa mère.
Le 31 décembre 1999, dans le village d'Had Chekala, toute sa famille a été décimée. Y compris sa sœur aînée avec laquelle elle s'était cachée sous une couverture pour échapper aux bourreaux. Laissée pour morte après avoir été égorgée, elle est finalement sauvée et adoptée par Khadija, avocate et secouriste bénévole au moment des faits. Elle avait cinq ans. Depuis, sous son menton, elle arbore une cicatrice de dix-sept centimètres comme un sourire figé et monstrueux.
Alors que la société algérienne est plus corsetée que jamais, elle affiche une liberté insolente, refuse le voile, porte des pantalons, fume, boit du vin et a un salon de coiffure qu'elle a appelé Shéhérazade, comme un pied de nez aux barbus.
Enceinte d'un jeune homme parti pour suivre ses rêves d'Europe, elle s'adresse à celle qu'elle appelle Houri, l'enfant qu'elle porte, en référence aux vierges qui peuplent le paradis dans l'attente des musulmans fidèles.
Mais c'est avec une voix réduite au silence par l'égorgement et par la canule qui la lie encore à la vie qu'elle s'exprime.
Dans sa longue complainte qui court sur plus de quatre cents pages, elle raconte la condition de la femme et le passé escamoté.
Elle s'interroge aussi sur le bien-fondé de donner naissance à une fille qui ne pourra pas vivre libre.
Avec ce livre courageux, Kamel Daoud a composé une fresque historique servie par un style puissamment lyrique.
C'est magnifique, même dans l'expression de la violence la plus extrême, et l'auteur sait manier l'humour pour se moquer des hypocrites et des lâches qui font de la vie des femmes un enfer.
EXTRAITS
Comment pouvait-on porter sur le même visage la beauté et l'horreur ?
C'est un couloir d'épines que de vivre pour une femme dans ce pays.
http://papivore.net/litterature-francophone/critique-houris-kamel-daoud-gallimard/
Il est des livres qui ne se lisent pas mais s'écoutent, l'oreille collée aux pages. le souffle court. le coeur tendu prêt à vaciller. Tous les sens aux aguets. Dès les premières phrases, ce roman m'a viscéralement fait cet effet. J'ai écouté la narratrice avec une attention empreinte d'une solennité grave et exigeante qui ne m'a jamais quitté durant les 400 pages.
Fajr est une rescapée de la décennie noire algérienne, guerre civile qui a opposé l'armée au FIS faisant au moins 200.000 victimes de 1992 à 2002. Durant la nuit du 31 décembre 1999, des islamistes ont massacré près de 1000 habitants du douar de Had Chekala. Fajr est une des rares survivantes, la seule de sa famille. Elle a été laissée pour morte, quasi égorgée. Elle avait cinq ans. Ses cordes vocales ont été détruites et depuis, elle respire par une canule, une immense cicatrices de dix-sept centimètres comme un sourire figé qui crée le malaise chez ceux qui regardent.
Fajr est enceinte, persuadée que c'est une fille et qu'elle n'a pas le droit de la mettre au monde dans un pays où la condition féminine est malmenée, d'autant lorsqu'on nait d'une mère célibataire. Elle s'adresse à cet enfant qui ne naîtra peut-être pas avec tendresse et colère. Et lui raconte sa décennie noire sur les traces de ses souvenirs, de cette nuit de tragédie où elle est morte une première fois. Elle qui est muette le fait avec sa langue intérieure « la langue qui danse dans (s)a tête comme un foulard, un fleuve cité dans le Coran, une seconde peau sous la peau ».
Certains lecteurs disent avoir été écrasés par le poids des symboles et des allégories, au point d'être restés à distance des émotions. C'est vrai que le récit est chargé, en permanence. Fajr signifie « Aube » en arabe. Son salon de beauté s'appelle Shéhérazade. Son retour à Had Shekala, à « l'endroit mort » se fait pendant l'Aïd où des centaines de milliers de moutons sont égorgés rituellement. Et le surnom qu'elle donne à sa fille embryon, Houri, c'est dans le Coran une vierge promise à un fidèle musulman qui accède au paradis.
Pour ma part, je n'ai absolument pas été gênée par ce maximalisme allégorique. J'ai au contraire trouvé que le procédé consistant à répéter ces motifs crée une litanie lancinante qui crève les pages et enveloppe le lecteur de la gravité qui sied au propos. Fajr n'est pas une allégorie. Des femmes comme elles, mutilées par la guerre, il en existe en Algérie et ailleurs. Ce sont elles qui sont le mieux à même de raconter la tragédie de la guerre car ce sont elles qui en portent les traces, comme ces vierges kidnappées par le FIS qui sont retournées chez elle, souillées, déshonorées, jamais pardonnées alors que la société a pardonné à leurs bourreaux, leur permettant de la réintégrer en toute impunité.
D'autres lecteurs ne soulignent que l'aspect courageux du livre. Après l'amnistie totale des islamistes du FIS par la loi de Réconciliation nationale de 2005, la décennie noire est tabou. Il est interdit en Algérie d'enquêter sur elle, d'en parler, au risque d'être emprisonnée jusqu'à cinq ans si on « utilise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l'État, nuire à l'honorabilité de ses agents qui l'ont dignement servie, ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international ». C'est une guerre civile oubliée, invisibilisée alors que la guerre d'Indépendance connaît elle une surenchère mémorielle qui la réécrit et l'instrumentalise à plus soif.
Evidemment que c'est un roman courageux qui fait acte de devoir de mémoire nécessaire, Kamel Daoud ne peut plus vivre en Algérie, son roman y est censuré, sa vie même menacée. Mais c'est avant tout une oeuvre littéraire de haute tenue, construite en flux de pensée. Au monologue intérieur de Fajr / Aube, succèdent d'autres au fil des rencontres avec des personnages inoubliables comme le libraire itinérant, un autre rescapé, porteur de mémoire, messager obstiné malgré le refus des gens d'entendre : on lui donne un chiffre, il indique la date d'un massacre, d'un lieu, parfois les prénoms des morts. le flot de paroles est impétueux, imprévisible, parfois halluciné, jamais linéaire, pas toujours facile à suivre de fait mais tellement évocateur.
L'écriture de l'auteur m'a frappée par la puissance lyrique qu'il convoque, pas juste un apparat esthétisant mais une recherche non stop de densité émotionnelle. Jusqu'à cette scène magistrale de ce voyage au bout de l'enfer algérien autour duquel le roman tourne longtemps avant de la dévoiler, cette nuit du massacre de Had Chakala où les terroristes chuchotent à deux fillettes de ne pas crier, alors que ces dernières s'enveloppent dans leur couverture pour se cacher et ne pas voir ce qui va advenir. La précision des mots avec leur poésie pour exprimer le ressenti de ces survivants m'a totalement bouleversée, comme lorsque Fajr s'adresse à sa grande soeur qui n'a pas survécu :
« Ma soeur, ma soeur ! C'e
J’ai tout de suite senti, en commençant ce roman, que je n’en sortirai pas indemne. Les mots qui frappent dès les premières lignes, les phrases porteuses de l’inacceptable vie des femmes, le choc de la violence des faits historiques, tout est marquant, révoltant, étourdissant.
Et il m’a fallu le poser plusieurs fois tant j’étais retournée par mon rejet de l’injustice. Mais la puissance de l’écriture de Kamel Daoud m’a permis de le reprendre, avec à chaque fois plus d’empathie mais aussi plus de révolte.
A la fois roman historique révélant l’irracontable guerre civile qui fit vivre à l’Algérie une décennie noire entre 1990 et 2000, Houris est également, et je dirais surtout, un témoignage terrible sur la place des femmes dans la société algérienne.
Libérée du colonialisme français depuis moins de 30 ans, l’Algérie a vu l’appel au jihad, initié par les terroristes islamistes du FIS, détruire le pays de l’intérieur. Et ce sont 200.000 morts assassinés, égorgés, qui ont endeuillé des centaines de villages dont celui de la petite Aube d’à peine 5 ans.
Survivante après avoir été égorgée dans la ferme de ses parents, Aube désormais muette vit à Oran. Enceinte, elle n’est pas sûre de vouloir faire naître sa fille dans ce pays où « une femme est à peine plus importante qu’un mouton » et elle entreprend un voyage vers son village natal d’Had Chekala, lieu du massacre de sa famille et de son propre supplice.
Arborant sa cicatrice au cou comme le témoignage vivant d’une guerre occultée par la loi de Réconciliation, elle s’adresse à l’enfant qu’elle porte pour la convaincre que lui donner la vie serait l’enfermer dans « un couloir d’épines ».
Un roman coup de poing porté par une femme éblouissante de courage et de volonté qui m’a submergée comme une vague.
J’admire le témoignage militant de Kamel Daoud dont les révélations historiques et religieuses ne feront certainement pas l’unanimité. Sa qualité littéraire comme son engagement intellectuel sont remarquables et ce roman grandiose va marquer ma mémoire pour longtemps.
Elle s’appelle Aube, habite le quartier Miramar, à Oran, en Algérie, et parle à l’enfant qu’elle porte, sa Houri, comme elle l’appelle, car elle est sûre d’être enceinte d’une fille. Aube, son nom dans la langue intérieure, Fajr dans la langue extérieure, a 26 ans et elle est muette.
Pourquoi parler de langue intérieure et de langue extérieure ? Aube l’explique et fait partager ses souffrances. Au cours de cette guerre civile des années 1990, elle a été égorgée, ses cordes vocales ont été sectionnées mais elle a survécu par miracle alors que sa sœur de 8 ans se sacrifiait pour attirer l’attention des assassins sur elle. Depuis, Aube respire avec une canule et parle souvent de sourire lorsqu’elle évoque sa cicatrice.
Dans Houris, tout le récit de Kamel Daoud est articulé autour de ce drame, un des nombreux épisodes tragiques d’une guerre civile presque complètement effacée par les autorités algériennes. La seule guerre reconnue et célébrée et celle d’indépendance mettant fin à la présence française, en 1962.
D’emblée, je suis épaté, captivé par l’écriture émouvante, précise, directe, franche, terriblement réaliste de Kamel Daoud que j’avais découvert avec Meursault, contre-enquête. Dans ce roman, il ne néglige pas la poésie et sait parfaitement décrire la vie de ce pays si proche et si différent du nôtre.
Kamel Daoud conte des épisodes dramatiques avec infiniment de tact et de douceur mais se montre sans pitié pour ceux qui jouent la comédie de l’intégrisme religieux. Comme il nous l’a affirmé lors des récentes Correspondances de Manosque, tout ce que l’imam martèle pour endoctriner ses fidèles et marginaliser les femmes au plus haut point, il l’a entendu. Ce passage, lorsque Aube parle de son salon de coiffure est particulièrement choquant, révoltant et émouvant à la fois, comme l’épisode du gynécologue devenu islamiste.
Ainsi, Aube est la preuve vivante que cette guerre civile qui a duré dix ans et a fait au moins 200 000 morts, a bien existé. Plusieurs épisodes dramatiques sont exposés avec la date et le nombre de victimes comme à Bentalba, quartier d’Alger, où dans la nuit du 22 septembre 1997, 400 personnes ont été massacrées et égorgées.
Dans le village dont Aube est originaire, Had Chekala, sur la première colline de la chaîne des Ouarsenis, le 31 décembre 1999, en une nuit, 1001 morts ont été dénombrés avant que la guerre cesse. Cette nuit-là, Aube affirme qu’elle est née une seconde fois.
Dans la seconde partie, la rencontre avec Aïssa, ce libraire qui sillonne le pays pour vendre des livres de cuisine et des ouvrages religieux, le roman change d’envergure et beaucoup d’interrogations sont levées. Aïssa démontre tout le non-sens d’une guerre civile et la nécessité de briser l’oubli ce que fait Kamel Daoud dans Houris, le roman le plus fort de cette rentrée littéraire.
Au passage, tout ce que pense Aube, est noté par l’auteur entre parenthèses comme ce qu’elle confie à sa Houri, dans son ventre, cette enfant qu’elle refuse de mettre au monde. Tout cela est bien démontré comme le sort scandaleux réservé aux femmes des terroristes qui s’en sont tirés en affirmant qu’ils n’étaient que « cuisiniers » !
Une écriture parfaite, un récit plein de surprises côtoyant parfois l’imaginaire et même la poésie, Houris est un roman qui m’a souvent bouleversé et profondément marqué. Kamel Daoud, pour l’écrire, a dû prendre ses distances et sa liberté face au déni et à l’oubli.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/10/kamel-daoud-houris.html
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