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New-York, 1940.
Navit, une jeune artiste désargentée, hérite d'un journal de charme quelque peu désuet : 'Gentlemind'.
Combative, intelligente et audacieuse, elle s'improvise patronne de presse et se lance le défi insensé d'en faire un magazine moderne.
Hantée par le souvenir de son amant disparu sur le front en Europe, elle doit affronter la réalité d'une société américaine en plein âge d'or mais résolument machiste...
Un récit profondément touchant, sur trois décennies, du rêve américain au féminin !
J’ai mis un peu de temps à découvrir Gentlemind. J’étais à priori décontenancé par le dessin… mais tenté par l’histoire, j’ai fini par me lancer.
Je confirme mon emballement pour le scénario. Cette couv très réussie annonce la couleur, une femme, Navit, va se hisser, s’émanciper ! Elle va pour y parvenir devoir faire face aux égos machos en faisant preuve d’imagination et d’intelligence afin de faire vivre un magazine désuet.
« Si Esquire veut des Pin-up, qu’ils les gardent. Nous, nous leur donnerons de la réalité. »
Le dessin des personnages taillé à la serpe continue de me bousculer mais je suis impressionné par l’univers graphique des années 40-50 inspiré des publicités et magazines de modes. C’est foisonnant, peut-être trop parfois mais c’est très vivant et dynamique grâce aussi à un découpage très libre !
L’histoire prend un tournant diablement intéressant sur la fin de ce premier tome et laisse pas mal de questions …. Vivement la suite et fin de ce dyptique !
« Gentlemind », c’était un peu l’arlésienne de la bande-dessinée : cela faisait tellement longtemps qu’on entendait parler de ce projet et qu’on l’attendait sans rien voir venir, qu’on s’était peu à peu résignés à ce qu’il n’aboutisse pas…. Et puis finalement, délicieuse surprise l’annonce tomba en plein Covid : Diaz Canales scénariste espagnol de l’incontournable « Blacksad » et du nouveau « Corto Maltese » et sa compagne Teresa Valero connue pour la belle trilogie « Curiosity shop » s’alliaient à Antonio Lapone spécialiste ès-fifties pour nous concocter une histoire d’émancipation et un hommage à la presse américaine.
L’envers du décor
Le New-York décrit par le trio apparaît comme une ville impitoyable dans laquelle les artistes n’ont d’autre choix pour survivre que de se compromettre tandis que des avocats sans scrupules défendent les intérêts de grandes multinationales au détriment des droits des plus faibles, même quand ils sont eux-aussi des immigrés de fraîche date…
C’est donc une ville où l’on perd facilement sa dignité et ses amours … Durant ces 88 pages, les personnages ne cessent d’évoluer et acquièrent une réelle profondeur.
Un récit d’émancipation
Comme le montre la splendide couverture de l’édition standard, on a affaire à un récit d’émancipation : Navit, la belle jeune femme issue d’une famille juive traditionnelle part à la conquête de New-York. Cherchant à fuir la misère (tout aussi bien peut-être que le racisme ambiant), elle se rebaptise Gina Majolie et devient célèbre. Par sa liaison scandaleuse d’abord qui fait la une des journaux people puis par sa photo sur la couverture des magazines ensuite. Mais les auteurs la font se servir de son corps dans une société machiste et patriarcale comme d’une arme pour mieux lutter contre cette dernière. En effet, l’épisode 1 montre son affranchissement progressif.
Lorsqu’elle hérite, elle refuse de perpétuer la tradition des Powell Follies et ne veut pas du théâtre : elle ne se place donc pas du côté de l’exploitation du corps des femmes. De même, après sa « une » spectaculaire, elle bannit les pin-ups de ses couvertures. En revanche, elle agit comme un diffuseur, via son magazine, de l’intelligence féminine : elle fait intervenir des femmes pour bousculer le côté stéréotypé et daté du journal et elle embauche une jeune immigrée photographe de talent pour des reportages sociétaux. Grâce aux femmes donc, la revue « Gentlemind » perd de sa frivolité, acquiert de la dignité et prend un nouveau départ La réciproque est vraie : grâce à la revue, Navit trouve une raison d’être (Trigo aussi d’ailleurs) et la jeune reporter également. En effet, ce personnage secondaire demeure encore assez mystérieux mais il apparait comme un double de l’héroïne (bien que douée, elle doit se résoudre à faire des photos de touristes sur Coney Island pour survivre avec son enfant et elle semble avoir dû fuir l’Europe donc elle est peut-être juive elle aussi). C’est donc une ode à cette presse qui fit découvrir des romanciers talentueux, tels Fitzgerald ou Hemingway, des illustrateurs et de grands reporters photographes, mais c’est aussi et surtout une ode à la femme.
Un dessin au diapason
Qui d’autre qu’Antonio Lapone pouvait donner vie à ce passionnant récit à la « Mad Men » ? Cet héritier d’Yves Chaland, de Serge Clerc et du style atome affectionne depuis toujours l’imagerie américaine des années 1950. On l’a vu dans « Adams Clark » et son artbook « The New Frontier » notamment. Comme il le déclare lui-même : ses « racines graphiques plongent dans le monde de la création publicitaire, les portfolios d’affichistes ou les croquis de mode. Nombre de pages de magazines des années ‘50 et ‘60, un univers fait d’élégance et de compositions graphiques, sont une source intarissable d’inspiration ». On retrouve ainsi l’influence de Marcello Dudovich, un des pères de l’affiche publicitaire italienne moderne ou encore d’Achille Luciano Mauzan et Leonetto Cappiello, avec leurs jeux de contrastes entre le noir et le rouge dès la couverture et leur palette de couleurs. On peut même dire que le héros Arch est comme une mise en abyme du dessinateur car il utilise le même astérisque en guise de point pour sa signature et que ses affiches, dans un savant jeu de miroirs, rappellent la composition des tableaux de Lapone.
Les planches sont extrêmement variées tant dans le format des cases - illustrations pleines pages qui reproduisent de vraies-fausses couvertures de magazines ; doubles pages montrant les kiosques de journaux débordants ou la rédaction du journal – que dans leur disposition et leur palette de couleurs. Le dessinateur crée constamment des ambiances différentes ; on a une impression d’urgence, de profusion et de mouvement grâce au crayonné apparent qui retranscrit bien également le rythme de la grande ville. Certains diront que le dessin en devient parfois peu lisible, je préfére penser qu’il est emporté par l’élan qui anime les protagonistes et que ce côté virevoltant mime l’exaltation et le dynamisme des héros.
Ce tome introductif est réussi tant au niveau du scénario que de sa mise en images. Il embrasse brillamment plusieurs genres et les transcende. On ne sait si l’on est devant une évocation historique des années 1940, une satire du rêve américain, une saga entrepreneuriale à la « Largo Winch » en jupons, une comédie dramatique ou romantique avec des triangles amoureux qui se démultiplient. Tout cela donne une œuvre riche dont l’humour est loin d’être exclu (ah, la scène du brainstorming au champagne !). C’est une fiction enlevée avec un Lapone inspiré. On a envie d’adresser aux auteurs les propos si joliment tournés qu’ils ont mis en exergue. En effet, grâce à cette femme et ces deux « hommes créateurs de fiction (…) à leurs mots et à leurs images, nous voyons à chaque fois le monde avec des yeux neufs ». Vivement la suite (et la fin) !
#GENTLEMIND #NetGalleyFrance
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