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Grâce au mortier de la mémoire les ombres des morts élevaient les pierres les unes sur les autres, et les décombres redevenaient des maisons.?
Dans la campagne grecque autour de la ville de Ioannina les villages se meurent. Des deux-cent-cinquante habitants que comptait celui où survivent le Père et son fils Christoforos, il n'en reste que douze. Tous se savent condamnés, tôt ou tard, par la Maladie qui s'est infiltrée dans l'eau, dans les sols, la nourriture, dans le corps même de Christoforos avant sa naissance. Pourtant, quand le gouvernement ferme la dernière ligne de bus pour les forcer à rejoindre la ville, le Père et une poignée de villageois résistent et s'accrochent à leur terre, qu'on leur a détruite et qui demeure malgré tout leur seule attache.
À travers le récit de cette vie sans attente, de cet horizon barré qui empêche tout espoir, l'auteur distille une réflexion sur l'impact environnemental, la responsabilité des gouvernements, la désertification des campagnes. Dans cette dystopie mélancolique située dans un futur si proche qu'on se croirait dans le présent, les personnages semblent s'adresser à nous non pas depuis le futur mais depuis un temps arrêté, à la fois étrangement familier et glaçant. Pourtant, au coeur du texte rayonne un amour filial et inconditionnel, la tendresse et la confiance mutuelle d'un père et de son fils seuls au monde.
- Prix de la Phrase de l'année de la revue Literature.gr 2019.
- Prix de la revue Anagnostis dans la catégorie nouvelle 2020.
- Prix National de Nouvelle et Novella 2020.
J’ai eu le plaisir de choisir, et de recevoir, pour la Masse Critique du mois d’octobre de Babelio, ce roman de l’auteur grec Michalis Makropoulos et paru chez les Éditions Agullo dans leur collection Agullo court. Michalis Makropoulos est traducteur du français et de l’anglais dans sa langue natale. Bien qu’il soit déjà l’auteur de plusieurs autres romans, Eau noire a connu un succès unique lors de sa parution en Grèce, certains parlent d’une dystopie de science-fiction, je n’ai personnellement guère perçu le côté de science-fiction, la dystopie en revanche est claire. L’auteur vit lui-même à Leucade, une île de la mer ionienne, loin d’Athènes et se rend souvent dans la région de l’Épire où se trouve le village qu’il évoque dans ce court texte.
Dans un village déserté en Épire, région du nord-ouest de la Grèce aux paysages tortueux, un père s’occupe de son fils handicapé, Christoforos, et lutte contre la désertification du village, en compagnie des douze derniers habitants, de la majorité des villageois partis faire leur vie ailleurs, plus près de la capitale Ioannina. L’eau et donc les animaux y sont malades, ces derniers sont d’ailleurs interdits à la chasse et à la consommation, la faute aux méthodes de ceux, j’entends les grands groupes pétroliers, prêts à tout bousiller pour extraire toutes les sources d’énergie nécessaires au confort des citoyens de cette région qui est la plus pauvre du pays. Le ravage des sols et sous-sols helléniques ne se fait pas sans contrepartie, les villageois concernés sont forcés d’emménager ailleurs. Mais, comme dans la Gaule de Goscinny et d’Uderzo, seuls quelques irréductibles villageois refusent ces propositions, devenus quasiment des obligations, et désirent rester dans ces lieux devenus fantomatiques, où même se sustenter est devenu une gageure.
Le roman a été qualifié de « prophétique » selon un article d’un magazine grec, il a été écrit juste avant la pandémie du Covid, dans laquelle il a retrouvé un étrange écho, mais si le problème de base, ce sont les forages qui ont eu lieu en Épire. Le texte est très brut, aucune fioriture superficielle, mais dotée d’une forte résonnance religieuse : le père nommé Père tout au long du texte est sans cesse accompagné de son fils au prénom christique, Christoforos, un père dévoué totalement à la survie du Fils doté d’une abnégation martyre. Sans oublier les 12 villageois qui peuplent également ce village abandonné. Et Père et Christoforos qui perpétuent la fonction des différentes églises vides, seulement peuplées par les seules icônes encore accrochées aux murs froids et solitaires. Autour d’eux, quelques autres résistants, mais qui partent ou s’éteignent peu à peu dans l’indifférence de l’Etat, et du reste de la société. C’est le récit du chemin de croix des deux hommes, le dernier dans un paysage qui est condamné par les eaux noires du lac environnant et voué à disparaître : l’écriture va de pair avec ces paysages emprunts de désolation, ou la maladie est cachée, simple, brute.
Le pillage du sous-sol des terres de l’Épire apparaît comme un péché mortel, l’homme est ainsi condamné à partir de ces terres, et délogé par l’Etat grec qui vient frapper à sa porte et l’Eden se transforme en enfer. Pas de rédemption chez Michalis Makropoulos, et dans ce court roman où l’homme ne peut se raccrocher à rien à travers ce texte presque aussi dénué d’espoir que le style très dépouillé de l’auteur l’est de mots superflus, de toute façon, inutiles pour des descriptions d’un village, et d’une nature, qui le sont autant. L’inertie du paysage, et des gens presque mourants, sont frappants à la lecture du texte, la ruine exsude de partout, là où se pose le regard du narrateur, l’eau noire a déposé comme un voile poisseux et inaltérable. La vie qu’il reste est rongée, corrompue par les exactions passées de l’homme.
Il n’y a cependant pas que le noir de l’eau, la sève, le sang et la chaire empoisonnée des végétaux et animaux, au-delà de tout cela, on lit l’attachement du père au fils prêt à marcher 10 heures vers Ioannina pour ramener soins et nourritures, et inversement, ainsi que du lien d’amitié, de fraternité et de solidarité qui rattache les derniers habitants. Avec un dénouement très fidèle à la direction qu’à prise du récit, la sainte trinité retrouvée, pas totalement pessimiste, comme une dernière lueur d’espoir : une fin, certes, mais en douceur, loin de RIPOIL et autres agents d’états.
Roman de la fin, de la destruction, la mélancolie, qu’évoque le résumé d’Agullo n’a d’égal que la poésie qui se dégage dans chaque phrase, même la plus terrible, même la plus simple, même de cet environnement mort, contaminé par la Maladie. La poésie d’un monde dévasté, où seule la lueur de l’amour d’un père et son fils ne le rend pas complètement apocalyptique, et celui du fils pour ses livres, qui ne s’en départ jamais. Le roman suivant de l’auteur se nomme Thalassa, soit La mer en grec, son obsession environnementale.
Christoforos, 21 ans, vit avec son père, 53 ans, On est en Grèce, près de Ioannina. Pas de voiture, le père prend le bus le vendredi. Le village s'est vidé, 12 habitants, pas plus..."De fait, il n'y avait plus de villages, juste des gens oubliés".
Le monde a basculé. On ne sait pas trop comment ni pourquoi. On le comprend à mi-mots, la pollution, l'eau souillée, la maladie, la mort. La forêt est déboisée, le lac est noir, les camions sont au cimetière. Pour trouver des choses, le père traîne dans les maisons abandonnées.
Dans ce court roman, Michalis Makropoulos dépeint un futur indéfini. Mais le lecteur le sent suffisamment proche pour être touché et captivé par ce récit d'un monde qui a été mais qui n'est plus. Subsistent les souvenirs et un choix : rester ou partir habiter dans les maisons construites plus loin.
C'est dur, noir comme l'eau des lacs, incertain comme celle qu'ils boivent et qui a rendu malade beaucoup d'entre eux. C'est touchant aussi comme cette relation père-fils, ce lien puissant qui les relie à la vie.
Un futur sans espoir, des conséquences environnementales que l'on sent tous inéluctables... Michalis Makropoulos livre ici un récit mélancolique comme le témoignage d'un futur proche, un avertissement.
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