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Quand vient l'effondrement du monde, sous l'effet des déluges, des canicules et des incendies, deux femmes se rencontrent dans une forêt que les loups ont reconquise. L'une a trouvé refuge avec un compagnon d'exil dans une maison isolée, à l'autre il ne reste que ses trois jeunes enfants épuisés à qui elle veut offrir un lieu où aspirer à plus que se détruire encore. Toutes deux ont en commun des histoires qu'elles ne sont pas prêtes à raconter.
Lors de leurs marches en forêt, les deux femmes sont protégées par une biche à l'esprit calme qui les suit dans leurs déplacements. La bête va et vient entre leur abri et la clairière aux cadavres. Elle est la dernière de son espèce et sait le cataclysme qui va causer leur perte.
Dans l'urgence d'une langue orale et indocile, Virginie DeChamplain imagine une post-apocalypse féminine où l'on recueille le présent dans ses plus subtils détails : la profondeur des bleus de la rivière, la texture des premiers bourgeons, les effets de la lumière sur les feuilles des arbres.
« Avant de brûler », l’effusion insurpassable qui cristallise le sacre de ce livre.
L’écriture poétique, charnelle, somptueuse est déjà, à elle seule, l’entrée dans le grandiose.
« Il y a toujours quelque chose qui passe… Ici tout laisse une trace. »
La jeune narratrice est à la lisière du monde. L’ère post-apocalyptique, le dérèglement climatique, entre les pluies diluviennes, les feux dévastateurs. Elle est en repli dans les bordures de la forêt, et la clairière qui élève le vrai langage. La résistance face aux alias irrémédiables.
Le récit est une chapelle qui reste sur ses gardes et prend soin des personnages qui savent l’heure précieuse. Les petits riens qui sont dans cette orée des urgences vitales.
La trame est une feuille cousue d’or.
« Depuis que je suis ici, je note des choses… Je note parce qu’il est pas question que je me fasse encore surprendre par la fin du monde. »
Elle vit avec Marco, un compagnon, un allié, un homme amical et doux. Django son chien et son chat qui vit d’indépendance. Comme l’arche de Noé en quelque sorte.
« Moi je l’appelle Rien parce qu’il n’appartient à personne. »
Dans la forêt, il y a des meutes de loups. Tout semble renouer avec l’imprévisible. Et là, elle croise une biche. « La bête l’ignore, mais elle est depuis quelques heures la dernière représentante de son espèce. »
Dans un même cycle, à l’instar d’une fusion, d’un magnétisme, d’une destinée révélée, elle rencontre sur le seuil de la canopée fragilisée, Farah. Une jeune femme, avec ses trois enfants, dont un bébé dans ses bras. Une corbeille féminine. L’aura qui élève la fièvre essentialiste.
« Je me rappelle Farah comme un coup de poing dans le ventre. »
Elle est d’eux. Ils sont d’elle et des enfants. Ils vivent en fusion, en communauté, « et un semblant de routine s’est posé dans la maison comme de la neige sur la mousse. Je me réveille au son des enfants. »
L’hospitalité comme cercle, ils sont soudés dans cette vulnérabilité. Le temps d’avant est rompu.
Ils ne travaillent plus. Le rien est devenu matière. L’autarcie et le végétal pour rideau. Ils ne vont que peu dans le monde d’avant qui s’écroule peu à peu comme une feuille qui se meurt, craquante et fragile.
Tout est transformé, défiguré, comme hors du temps et de l’espace. La narratrice rassemble l’épars. Compte les pas, cueille les plantes, retient et prend garde au moindre mouvement furtif.
Marco est le socle. Paternel avec le bébé, tendre et intuitif, la bonté naturelle. Il est la marche de leur antre de survie.
Théologal dans sa pureté. Il est l’homme qui n’attend plus rien du monde. Ils sont dans cette échappée, cercle où la biche est l’emblème de la genèse agonisante. Unique.
La trame spéculative vaut mille vies. Elle retient les gestuelles. Elle sait l’heure de la déliquescence. L’omniprésence de la mort, la dégénérescence.
« Je vais m’installer dans le divan opposé à Farah et j’observe à la dérobée cette femme dompteuse de chaos, observe sa vie qui s’immisce maintenant dans tous les interstices de ma maison. »
Ils sont naufragés. La nature signe peu à peu l’advenir de ces êtres dont la maison, plus qu’un refuge est l’Alcazar. « Se bâtir quelque part où peut rentrer et descendre les épaules. « À la place je regarde Farah dormir sur le divan, en cuillère avec ses enfants. »
Farah et la narratrice déambulent dans la forêt. Toujours en quête de semences, d’essences, de bois craquant sous leurs pas. La biche happe leurs présences, cherche, elle aussi, un point d’appui dans ces miraculeuses connivences.
Le périple est un havre de verdure, salvateur. Sylvestres et conscientes de la fin du monde.
« Elle avait lu Margaret Atwood, et depuis quelques années elle observait, un rire jaune coincé dans la gorge, la réalité se lover dans la silhouette terrifiante de la fiction. »
« Avant de brûler » est un livre qui tresse la lecture à voix haute. L’écoute en veillée dans ce qui va advenir. Ce grand texte cardinal de Virginie DeChamplain qui honore la féminité, la solidarité-sœur, la biche, parabole d’un même cœur, l’union dans le délitement du monde vivant. Ce livre est une ode à la nature. Un texte fascinant d’empathie. Un lanceur d’alerte. Publié par les majeures Éditions La Peuplade.
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