C’est le moment de découvrir tous les romans en sélection pour la 11e édition du Prix…
À la ligne est le premier roman de Joseph Ponthus. Il raconte l'histoire d'un narrateur lettré devenu ouvrier intérimaire qui doit embaucher dans les usines de poissons et les abattoirs de Bretagne.
À la ligne est surtout un chant, une manière d'épopée.
Par la magie d'une écriture simple et somptueuse, tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle, la vie ouvrière devient ici une Odyssée avec un Ulysse qui combat des tonnes de bulots cyclopéens ou des car- casses de boeufs promises à l'équarrissage.
On est saisi d'emblée, à la lecture de cette prose scandée, de ces versets hypnotiques, par cette voix d'homme qui est capable de raconter avec une infinie précision les gestes du travail, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps épuisé. Mais il sait le faire, tou- jours, en multipliant les registres, tour à tour avec co- lère, humour, rage et amour.
Il inventorie ainsi tout ce qui donne l'envie qu'une journée de travail se termine au plus vite. Et la transfor- mer en texte que ce narrateur écrit comme un journal de guerre ou un livres d'heures avec ses psaumes, ses actions de grâces, ses prières pour les morts.
Aller à la ligne, c'est aussi se reposer dans les blancs du texte où l'on retrouvera la femme aimée, le chien Pok Pok, la lecture des auteurs et poètes, le bonheur dominical, l'odeur de la mer.
À la ligne est une revanche lyrique, un moyen de dé- passer le quotidien en continuant à se souvenir, dans le bruit de l'usine et les odeurs du travail, des poètes qu'il a aimés, des écrivains qui ont baigné son enfance, son adolescence et son âge d'homme. Et ce qui est répéti- tion devient à chaque fois unique : pendant le travail, avec les gestes machinaux, les souvenirs reviennent.
Le narrateur a eu une autre vie : il se souvient de ses cours de latin, il a été mousquetaire avec Dumas, amoureux de Lou et Madeleine avec Apollinaire, nos- talgique et joyeux avec les chansons de Trenet, combat- tant avec Marx. C'est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène, tout ce qui pourrait empêcher son paradoxal et invincible bonheur d'être au monde, dans l'épouvante industrielle.
Si À la ligne s'inscrit dans une tradition qui est celle de la littérature prolétarienne, de Henry Poulaille à Ro- bert Linhardt, en passant par Georges Navel, Joseph Ponthus la renouvelle ici de fond en comble en lui donnant une dimension poétique qui est l'autre nom de cette espérance de changer la vie, comme le voulait Rimbaud.
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Joseph Ponthus (1978-2021) a fait des études de littérature et a ensuite travaillé entre autres comme éducateur spécialisé pendant dix ans en banlieue parisienne. Puis il a tout lâché pour suivre son épouse en Bretagne. Là, il s’est inscrit dans une agence d’intérim et a été embauché comme ouvrier à la chaîne dans des abattoirs ou des conserveries de poisson. Un boulot alimentaire au cœur de l’industrie agro-alimentaire, parce qu’il faut bien gagner sa croûte…
Ce livre relate son expérience, dans un style particulier puisqu’il s’agit de poésie en prose, sans aucun signe de ponctuation.
Ce style original a pour effet de nous immerger (à la limite de la noyade parfois) dans le monde du travail à la chaîne (« à la ligne », en langue politiquement correcte), un monde oppressant, abîmant les corps et abrutissant les esprits à force de gestes répétitifs et pénibles, d’alternance de travail de jour et de nuit, de course à l’efficacité et à la rentabilité, de peur des lendemains sans embauche.
L’intérêt documentaire est indéniable, mais les conditions pénibles et précaires de ce type de boulot ne sont pas non plus le scoop du siècle.
Et la démarche et certaines réflexions de l’auteur me posent question :
– Avec ses qualifications, ne pouvait-il pas trouver un travail correspondant davantage à son profil ?
-Où se positionne-t-il ? Solidarité avec les collègues, ou condescendance et supériorité de l’intello qui sait qu’il a les capacités de s’extraire de cette condition de forçat ? En tous les cas, avec les références littéraires et culturelles qu’il étale, il montre clairement qu’il n’est pas comme eux.
– Le « parallèle avec la Grande Guerre – Nous petits troufions de l’usine – Attendant de remonter au front (…) De vagues engagés volontaires dans une guerre contre la machine – Perdue d’avance certes – Mais qui rapporte au moins une solde mensuelle » me semble assez douteux.
– L’utilisation du terme « mongolitos », pour parler des participants au camp de vacances qu’il anime chaque été en tant qu’éducateur spécialisé, m’a dérangée.
Au final, j’ai trouvé le ton globalement déplaisant, et je reste avec l’impression que ce texte relève plus de l’exercice de style que du témoignage de l’intérieur et empathique sur la condition ouvrière.
Quelques mots à chaque fois puis à la ligne. Joseph Pontus nous livre un récit autobiographique sous forme poétique. Pour vivre, survivre au cœur de l'usine. C'est fort, les mots nous martèlent, nous plongent dans l'enfer de l'usine. Ce qui me touche aussi, c'est la sincérité du propos, la simplicité d'un auteur qui ne triche pas. Ainsi ce récit transcende l'autobiographie pour devenir universel. Un livre au combien essentiel.
A tous ceux qui pensent qu'il n'existe plus de classe ouvrière en France, à nos politiques, pour qui il faut sans cesse repousser l'âge de départ en retraite, je conseillerais de lire le livre de Joseph Ponthus. Parti en Bretagne pour rejoindre son épouse, il ne trouve pas de travail en tant que travailleur social. C'est donc dans les usines agro-alimentaires de conditionnement de poissons et crustacés puis dans les abattoirs, qu'il va travailler en tant qu'intérimaire, parce qu'il faut bien vivre et "gagner des sous". Il y a du Simone Weil dans "A la ligne", avec les descriptions du travail à la chaîne, pénible, répétitif, usant, qui ne permet pas de penser, parfois même qui ne permet pas de chanter dans sa tête... Cela va induire le choix d'écriture de Joseph Ponthus, des vers libres, une absence de ponctuation et ce retour à la ligne, comme la ligne des chaînes de production, encore et toujours.
Ce livre m'a beaucoup touchée, les larmes me sont souvent montées aux yeux devant un tel gâchis, une telle absurdité. Heureusement, il y a la littérature, la force de l'imagination et l'humour, qui permet de se voir tel Ulysse, non pas face aux sirènes ou à Polyphème mais ferraillant contre des queues de vaches ou des bulots. Hommes ou bêtes sont pris dans cet engrenage de la productivité, de la rentabilité, on est révolté par ce qu'on lit et on est heureux que ce livre existe ; l'auteur a pris le temps, malgré la fatigue, l'envie de se reposer, l'envie de rien après le retour du travail, de poser sur le papier le ressenti de tous ces anonymes qui travaillent pour que d'autres mangent des langoustes à Noël. Sa formation classique d'ancien khâgneux transparaît bien dans les références multiples qui donnent épaisseur et humour à son témoignage. J'ai été d'autant plus attristée en lisant que l'auteur était décédé peu de temps après.
Un livre à lire, que je compte bien faire découvrir à mes élèves de 3e cette année.
« C’est fantastique tout ce qu’on peut supporter » Cette phrase de Guillaume Apollinaire mise en préface est un bon résumé de ce livre et de la vie.
L’auteur doit travailler. Il n’est pas ce genre de prêtre ouvrier, un idéaliste de la condition ouvrière, non, il travaille pour ramener des sous à la maison, faire vivre sa famille
« L’usine c’est pour les sous
Un boulot alimentaire
Comme on dit
Parce que mon épouse en a marre de me voir
traîner dans le canapé en attente d’une embouche
dans mon secteur »
Le voici, intérimaire, à la chaîne dans une conserverie. Pour tenir le coup, il écrit
« J’écris comme je travaille
A la chaîne
A la ligne »
Travailler à la chaîne a cela de bien, les mains occupées, le cerveau fonctionne. Le sien appelle au secours Barbery d’Auvrlly, Claudel, Apollinaire… pour tenir le choc aussi bien physiquement que moralement.
Le travail intérimaire supprime le droit de grève, puisque un intérimaire ne peux faire grève pour dénoncer les travers de l’entreprise dans laquelle il travaille, il est corvéable à merci.
« Aujourd’hui les choses sont claires
Un intérimaire en grève
Ce qui est pourtant son droit
Et bye bye
Logique patronale évidente »
A travers ses mots, avec tout l’humour qu’il y met, je ressens la douleur physique et morale de l’auteur, du travail à la chaîne, mais également les collègues de misère et les liens qui se tissent entre eux..
Joseph Ponthus rogne jusqu’à l’os, chasse les mots inutiles. Ses vers libres vont à l’essentiel et montre la dureté du travail dans un abattoir. Les animaux souffrent, les hommes également pour un salaire de misère. Dans ce livre, il y a toute la camaraderie de la classe ouvrière, des forçats du travail à la chaîne. Il faut savoir que l’intérimaire est en bas de la chaîne. Je le répète, il est corvéable à merci, n’entre pas dans le cadre salarial de l’entreprise.
Plus besoin de psy, de divan, c’est au moins un truc positif dans sa vie d’ouvrier
« Bien après que j’ai arrêté l’analyse lacanienne
L’usine m’a renvoyé en pleine mes heures et mes heures de divan »
« Ma fonction de l’analyse est d’être allongé sur un divan à devoir parler.
La fonction de l’usine est d’être debout à devoir travailler et se taire »
« L’usine m’a apaisé comme un divan »
Les dernières pages sont une lettre d’amour adressée à sa femme pour son anniversaire.Simplement belles, lucidement, désespéramment belles.
Quel chant d’amour et de détestation pour ce boulot où il loue ses bras et ses jambes
J’ai aimé le jeu de mots : à la ligne pour la présentation de son texte, et la ligne de production qui lui a permis d’aller à la ligne et nous parler de sa ligne de vie, de la vie à l’usine et ses ouvriers sans qui rien n’est possible.
Poème lyrique, chant épique, odyssée du quotidien...Joseph Ponthus raconte, ne dénonce pas de façon virulente, en des termes où le lyrisme côtoie le réalisme. Des feuillets d’usine que je n’ai pas lâché tant la façon de traiter le monde de l’usine côté ouvrier est passionnant, dense en si peu de mots ce qui donne une puissance impressionnante au texte.
Un coup de cœur pour ce livre qui restera seul suite au décès de l’auteur. Cela en fait un livre uniquement unique.
https://zazymut.over-blog.com/2022/05/joseph-ponthus-a-la-ligne.html
Joseph Ponthus né en 1978 à Reims est décédé en 2021 à Lorient.
Le sujet du livre, la condition ouvrière au XXI ème siècle, n’est pas original mais sa forme l’est. A la ligne est un long poème en vers libres, sans ponctuation. Cette forme traduit les cadences du travail et l’absence de pauses dans les lignes de production dans l’agroalimentaire. L’auteur consigne sous forme d’un journal de 66 chapitres son expérience de deux ans d’intérimaire en Bretagne. Il travaille dans des conserveries de poissons et dans des abattoirs. Ce témoignage de l’intérieur sur une longue durée est particulièrement précieux.
Pour l’auteur, les intérimaires du XXIème siècle sont « l’armée de réserve » dont parle Karl Marx, des anonymes qui ne valent que par leurs bras, soumis à un patron tout puissant. Le livret de suivi est particulièrement infantilisant. Dans l’agroalimentaire, les intérimaires font un travail de forçat mais paradoxalement l’auteur, un intellectuel, tient le coup et magnifie les tâches en leur donnant une signification. Il s’approprie à chaque fois son usine. Dans une langue épure Joseph Ponthus raconte les tâches dans leur plus banale nudité. Il dit la primauté du temps dans la vie de l’ouvrier : l’attente de la débauche, du week end, de la paie, des retrouvailles avec son épouse. Le narrateur supporte la pénibilité de la vie à l’usine parce qu’il a fait des études et qu’il écrit. La culture est son arme. Et A la ligne est un texte très riche. Tout au long du témoignage, le narrateur-auteur convoque les mythes. Lorsqu’il est à l’abattoir, le sang lui rappelle la Grande Boucherie de la guerre de tranchées et il compare les ouvriers aux gueules cassées d’Otto Dix. Son texte est ainsi truffé de références littéraires et historiques.
Le livre le plus marquant de ces dix dernières années. Il embrasse tout autant la poésie par la forme (à la ligne) et certaines références / citations, que le regard sur le monde du travail : la ligne de production notamment dans l'agroalimentaire (faisant un écho à L'établi de Linhart). Mais surtout, c'est un livre profondément humaniste dans l'attention à l'autre, aux autres, à son amour, à la vie.
La vie de Joseph Ponthus aura été bien trop courte avec un dernier point final (à 42 ans) ; ce point qu'il n'avait pas mis à la fin de ses phrases, ou morceaux de phrases, qui s'enchainaient ... à la ligne.
Joseph a fait des études, il a une éducation mais il ne trouve pas de boulot, sauf des contrats comme ouvrier intérimaire dans l'agro, les abattoirs. Les boulots s'enchaînent au fil des heures, des jours, les horaires décalés, jusqu'à l'épuisement, le corps ravagé.
La prouesse de l'auteur, décrire les salles carrelées, blanches, le sang, les carcasses et réussir à faire de l'existence ouvrière, éreintante, suante, gueulante, un livre de poésie. Du grand art, bravo. Une lecture à recommander qui ne me laisse pas indifférente.
C'est l'histoire d'un homme diplômé, qui par amour part en Bretagne et embauche comme intérimaire dans des conserverie de poissons et des abattoirs. Cela pourrait être banal mais…….
Ce sont ses journées de travail qu'il partage avec nous, qu'il nous raconte sous forme de poëme scandé comme du rap où l'on côtoie également Trenet, Barbara, Appolinaire, Marx….
Actuellement on parle beaucoup de la condition animalière dans les abattoirs et on oublie trop souvent la pénibilité tant physique que morale de l'humain.
Ce livre réveille notre conscience si besoin était.
Ces héros du quotidien sont désormais présents dans mon assiette.
C'est dur, tendre,ironique mais jamais larmoyant.
Un style atypiqye pour un auteur atypique
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