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Paris pendant l’entre-deux-guerres, dans le monde des réfugiés russes qui fuient la révolution bolchevique, l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno traque Joseph Kessel…
Il faut dire que ce dernier a écrit un roman dans lequel il brise la réputation de Makhno. Dans Makhno et sa juive, il le présente sous les traits d’un meneur d’hommes d’une grande cruauté et d’un antisémite notoire. Celui-ci veut donc venger son honneur par les armes. Mais la rencontre avec Kessel est loin d’être telle qu’il l’avait imaginée.
Sans même l’avoir cherché, il se retrouve en compagnie de Kessel et de ses amis pendant toute une nuit de beuverie, allant de cabarets en fumerie d’opium, à la rencontre de Malraux et de Cocteau. Difficile dans ce cas de mener à bien sa vengeance, et celui qui a semé la terreur sur son passage devient mouton docile à la suite de sa proie. Le lecteur le suit tout au long de cette nuit bien singulière, ponctuée des éléments du passé des principaux protagonistes.
L’auteur utilise les souvenirs des deux hommes pour les replacer au cœur des événements qui agitent l’Europe des années 20. De la révolution russe à la guerre en Ukraine, il évoque les russes blancs réfugiés en Europe, les bolcheviks, ainsi que la diaspora russe qui se retrouvent dans le Paris de l’époque.
Chronique complète en ligne sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2021/11/18/lassassinat-de-joseph-kessel-mikael-hirsch/
Pigalle, lieu où les noctambules retrouvent les russes blancs ou autres, peut-être espions. Les nobles russes sont devenus musiciens de boîtes de nuit, les moins chanceuses, louent leurs charmes et plus si affinité. « La Révolution n’a pas aboli les injustices ou les différences de traitement… mais à Paris, les princes ouvrent désormais la porte des boîtes de nuit. Les dames de la noblesse sont entraîneuses ou marchandes fleurs, tandis que les anarchistes en disgrâce fabriquaient des chaussures à domicile. Seul l’exil avait mis tout le monde à égalité. »
Kessel vient publier « Makhno et sa juive » qui connaît un franc succès. L’auteur y dépeint Makhno comme « unique responsable de tous les pogroms qu’avait connu l’Ukraine dans les années qui suivirent la révolution d’Octobre ». Il n’a même pas pris le temps de vérifier ses sources « Recopiant de larges passages d’un mémoire édité à Berlin par l’ancien colonel blanc Guerassimenko, Kessel, juif né en Argentine, mais d’origine russe, y dépeignait Makhno en monstre assoiffé de sang ». Or ce colonel blanc est une taupe rouge !!
Makhno, fils de paysan russe devenu révolutionnaire chevronné est chassé par les bolcheviques et doit s’exiler à Paris où il se retrouve, grandeur et décadence, ouvrier aux usines Renault à Billancourt. Il a connaissance du texte de Kessel où le révolutionnaire est décrit comme sanguinaire. Vous comprendrez que ce n’est pas du goût de Makhno. Comment cet intello ose-t’il écrire ce tissu de mensonges sur lui, sur sa légende ? Le sanguinaire, ce n’est pas lui, même s’il n’a pas les mains très blanches, il était à la tête de La Maknovchtchina forte de cinquante mille hommes, il était un véritable anarchiste ukrainien, pas un sanguinaire !
Mikaël Hirsch les fait se rencontrer le 19 juin 1926, au Matriochka où Kessel a ses habitudes de fêtard noctambule. L’un est là pour faire la fête, l’autre pour le tuer. « Ce soir de juin 1926, ce n’était pas un procureur que Makhno s’apprêtait à tuer, pas même un juif en réalité, mais seulement un écrivain, un intellectuel prompt à juger et à théoriser ce qui, en réalité ne pouvait relever de la langue. »Commence une soirée de folie où j’ai éclaté de rire en lisant la description de Malraux, débraillé, complètement soûl, faisant la chenille au son des violons
« On ne devrait jamais boire avec les gens qu’on va tuer », et oui, Makhno on ne devrait pas !
Le livre va au-delà de la nuit de délire. Mikaël Hirsch pose la question de la dangerosité du livre, de la supériorité de la littérature sur l’action, de l’écrit qui reste sur l’oral qui disparaît, les mots peuvent tuer... et, en extrapolant, le danger de l’instruction « L’idéal qu’il avait incarné devait continuer à vivre » sous forme de mythe, mais un écrivain qui se prétendait pourtant homme d’action venait lâchement de s’attaquer à lui à l’aide de la seule arme qu’il ne maîtrisait pas : les mots », surtout en français, langue qu’il ne maîtrise pas du tout.
« Il en voulait à ceux qui maniaient la fourberie linguistique. Il jalousait les écrivains pour leur capacité à convaincre et les maudissait tout à la fois pour les abus auxquels ils se livraient sans retenue. Le prestige qui leur était accordé, particulièrement dans cette nation française qui se targuait d’avoir produit Saint-Simon et Flaubert, confinait invariablement à l’abus de pouvoir. »
Mikaël Hirsch sait me faire voyager dans le temps. Avec Libertalia, j'ai suivi la statue de la Liberté aux USA, Notre Dame des vents m’a conduite aux îles Kerguelen, avec les hommes, au coeur d’une création littéraire et...toujours avec le même plaisir.
Définitivement, j’aime le style de l’auteur. Les voyages, la quête identitaire, la fuite en avant sont encore présentes dans L’assassinat de Joseph Kessel, livre à la fois passionnant, fort bien écrit et mené, intrigant qui pousse à en savoir plus sur Makhno dont j’ignorais tout
J'adore l'ironie de la photo de couverture dont j'ai trouvé la traduction en début du livre "A bas ! l'alcool est l'ennemi de la révolution culturelle"... Quand je lis l'état d'ébriété de kessel lors de cette fameuse journée....
Éclairant, érudit et passionnant « L’assassinat de Joseph Kessel » est une mise en abîme implacable. Il remet d’équerre la vérité. Le ton est donné dès la première page,
« Kessel avait rencontré un vif succès en publiant une nouvelle intitulée « Makhno et sa juive ». Recopiant de larges passages d’un mémoire édité à Berlin par l’ancien colonel blanc Guerassimenko, Kessel, juif né en Argentine, mais d’origine russe, y dépeignait Makhno en monstre assoiffé de sang.
Décrit comme un anarchiste révolutionnaire, ukrainien, communiste libertaire, avide de sang et responsable de tous les pogroms. Mais voilà, Nestor Makhno fuit la Russie, s’installe en France à Paris. Il travaille et va régler ses comptes avec Joseph Kessel.
« Les Blancs et les Rouges, Kessel et Barbusse s’alliaient comme la carpe et le lapin non pour abattre un homme, qui était déjà à terre, mais pour souiller définitivement la seule chose qui lui restait encore, sa légende. »
Le récit est précis, magnifique de par son sérieux et sa volonté d’honneur. Makhno a de nouveau les ailes brisées. Cette nouvelle de Kessel est plus puissante que les armes. Destructrice elle foudroie Nestor Makhno. Son aura écartelée entre les lignes de « Makhno et sa juive ». Il cherche à se venger. Le hasard fait bien les choses. Kessel et lui-même fréquentent les bas-fonds de Paris. Il va le revoir et enclencher une filature, un pistolet caché dans sa poche.
« N’ayant qu’un très faible langage littéraire – il n’avait lu qu’un peu des Frères Karamazov à Boutyrka -, l’anarchiste avait un don infaillible pour repérer les exaltés, les faussaires pathologiques et les mythomanes en tout genre, bref, les écrivains. »
« Il en faudrait tout de même plus pour me surprendre, déclara soudain Kessel avec un air de défi. J’ai fait le tour du monde à vingt ans.
« L’assassinat de Joseph Kessel » rend hommage à Nestor Makhno. La réputation de ce combattant noircie par la plume de Joseph Kessel. Faut-il que la littérature soit fatale, lâche et faussée pour arriver à ses fins ? Abolir l’emblème même d’un homme, victime d’un écrivain qui s’est imaginé en justicier. La guerre froide des mots assassins. Cette nouvelle est une balle en plein front pour Nestor Makhno. Ce récit a plusieurs degrés de lecture. Il est d’un niveau intellectuel de haute voltige. Les historiens, les inconditionnels de Kessel, les combattants pour la justice, les idoles de Nestor Makhno, le lecteur lambda, tous vont trouvez ici, un texte de renom certifié. Le doigt pointé là où ça fait mal, son éveil à l’exactitude et sa droiture.
« La parodie du plagiat, calomnie et diffamation n’aura pas lieu. C’eût été le procès de la littérature elle-même ».
Makhno : « Il avait des faux-airs du personnage de vagabond immortalisé par Charlie Chaplin. »
Ce récit-essai est original de par le thème porteur et une écriture aérienne. C’est une conférence à ciel ouvert et un ouvrage pour tous les étudiants en littérature. Apprendre à toujours se méfier comme le disait Prosper Mérimée. Publié par les majeures Éditions Serge Safran éditeur.
Découverte d’un moment d’histoire que je ne connaissais pas. Suite à l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne, les alsaciens peuvent choisir de rester en Alsace et de devenir allemand ou partir en France pour rester français. C’est l’option prise par Baruch, juif alsacien de parents très orthodoxes, et Alphonse, fils d’industriel qui se rencontre sur la route. Ils cheminent vers la capitale se faisant matelot pour payer leur voyage. Nous sommes en 1872 et l’impression de lire le début du « Tour de France de deux enfants ». Dans ce livre, aucune revanche sur l’ennemi, le Teuton, l’envahisseur, non, juste une envie de réussir son rêve dans le bouillonnement de l’époque. Le rêve de Fons s’appelle Libertalia. Il l’explique à Baruch « Il y a deux siècles environ, Olivier Misson, capitaine de la Victoire, et son second, un prêtre défroqué nommé Carracioli, fondaient à Madagascar, au nord de Diégo Suarez, une colonie qu’ils baptisèrent Libertalia. Pour emblème, ils choisirent le drapeau blanc et pour but, la défense de la liberté à laquelle les lois naturelles leur donnaient droit contre les ambitieux qui la leur avaient ravie. » Comment ne pas souscrire à cette idéal que Baruch fit sien de suite, lui qui n’avait rien lu d’autre que le Talmud !
Arrivés à Paris, ils devinent que c’est un voyage sans retour « Tendus qu’ils étaient vers l’avenir et ses promesses, ils sentaient confusément que quelque chose d’innommable avait pris fin, mais sans savoir encore qu’il s’agissait de leur jeunesse. »
Baruch, devenu Bernard travaille sur la statue de la Liberté de Bartholdi. L’œuvre de sa vie, ce qui lui permet de se sentir vivant car, pour le reste, Bernard s’est marié, embourgeoisé, s’ennuie. Fons, devenu géographe, s’est essayé à une nouvelle « religion » où il pensait pouvoir trouver les idéaux de Libertalia : la franc-maçonnerie. Las, lors de son baptême, il a compris. Il utilisera donc les membres de la Confrérie pour essayer de trouver un lieu pour fonder cette nouvelle humanité.
La seconde partie de ce livre est la vie, la vraie au milieu du contexte historique et industriel florissant de cette époque. L’âge adulte est arrivé, les deux amis ont perdu beaucoup de leurs rêves, ils s’ennuient dans cette vie qui ressemble trop à celles de leurs parents. Cette question, ils se la posent alors qu’ils visitent l’Exposition Universelle de 1889 « -Est-ce qu’on a tout raté ? lui demande soudain Bernard. –Je ne sais pas, répondit Fons. Je ne sais vraiment pas. »
Ce très court roman parle de l’héritage parental, (à force de vouloir ne pas leur ressembler, ne les imite-t-on pas), du départ, de la quête d’un rêve, d’une inaccessible étoile déjà évoqués dans Notre-Dame des vents.
Le talent de Mikaël Hirsch ? Réussir en si peu de pages à créer une atmosphère, à nous brosser paysages, sites, personnages avec une grande précision. Je me suis promenée sur les boulevards de l’histoire de la fin du 19ème. De la fabrication de la statue de la Liberté en passant par le Canal de Suez, Panama... sans oublier l’Exposition universelle et donc, la tour Eiffel.
Un coup de cœur.
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