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La Vierge néerlandaise est la personnification de la liberté dans l’iconologie batave remontant au XVIe siècle. On la représente habituellement, comme sur les timbres postaux il y a cent ans, en compagnie d’un lion couronné portant épée et faisceau de flèches, emblématique des États Généraux des Provinces Unies des Pays-Bas. C’est donc tout un pays que désigne le titre de ce roman, en même temps qu’une jeune fille de dix-huit ans, Janna, à l’orée d’un apprentissage qui va brutalement la faire passer à l’âge adulte.
Fascinée par la championne germanique Helene Mayer, Janna la Hollandaise se passionne pour l’escrime. Pour lui permettre de parfaire son art, son père, un médecin idéaliste et rêveur exerçant à Maastricht, l’envoie un été chez un ami à lui, l’aristocrate germanique Egon von Bötticher dont il a sauvé la vie lors de la Première Guerre Mondiale. L’homme vit avec ses cicatrices, tant physiques que morales, dans son domaine du Raeren tout proche de la frontière avec les Pays-Bas. En cette année 1936 où le national-socialisme hitlérien accélère la bascule de l’Allemagne vers un ordre nouveau, lui s’accroche bec et ongles aux valeurs et au code d’honneur prussiens, enterrés avec la chute de l’Empire allemand en 1918 et tout entiers incarnés dans sa passion pour le cheval et pour les combats à l’épée, au sabre ou au fleuret. Il est en l’occurrence le dernier à organiser chez lui la traditionnelle Mensur, ce combat d’escrime à armes réelles interdit par les nazis en 1933.
Chez Janna, aussitôt sous le charme du maître et de sa prestance de hussard en même temps qu’intriguée par sa relation manifestement compliquée avec son père, la curiosité dépasse très vite le simple champ du perfectionnement sportif. Entre première expérience amoureuse, investigation du douloureux passé de von Bötticher au travers de vieilles lettres qu’elle lui dérobe en fouillant son bureau, et ambiance électrique au Raeren où, malgré son isolement campagnard, finissent par se télescoper les courants contradictoires d’une société allemande déstabilisée par l’effondrement de ses repères depuis 1918 et profondément animée d’un esprit général de revanche, ce sont autant de pans de son innocence qui volent à jamais en éclats.
Dans cette histoire très janusienne d’Entre-Deux-Guerres, tout n’est que dualité et passages : entre enfance et âge adulte ; entre deux pays, l’un qui resta neutre pendant la Grande Guerre, l’autre qui n’en finit pas de ruminer l’humiliation, renforcée par la crise économique, d’un Traité de Versailles pris comme un diktat ; entre Guerre et Paix comme l’ouvrage de Tolstoï emporté par Janna dans ses bagages. Les autres élèves présents au Raeren sont deux adolescents jumeaux dont la relation fusionnelle se craquelle pour la première fois sous l’effet de la rivalité amoureuse, les amenant chacun au conflit avec leur double, pour ainsi dire avec eux-mêmes, exactement à l’image de cette première leçon de combat reçue par Janna face au miroir. Tout cela pour, dans une réflexion nourrie par l’ouvrage d’un Maître hollandais du XVIIe siècle, le plus complet jamais publié sur la question, insister sur les automatismes empathiques nécessaires au bon escrimeur : « Quand tu comprends qu’en fait l’ennemi n’est pas différent de toi, tu peux, avec un simple petit calcul, prévoir la portée de ses mouvements. »
C’est ainsi que le roman, dans un cheminement certes un peu décousu qui pourra parfois déconcerter le lecteur pris d’une sensation de confusion, s’avère une métaphore aux multiples facettes, l’escrime servant un message de dépassionnalisation des conflits par l’observation et la compréhension mutuelle : « Un bon escrimeur garde la tête froide ; débarrassé de l’esprit de vengeance, il considère son adversaire à distance. Il est ainsi le spectateur de son propre combat, il n’est pas commandé par ses affects mais par une vérité absolue. » « Si votre art de combattre se base sur l’observation des intentions de l’adversaire, vous remarquerez que vous vous rapprochez de lui, car vous êtes dans la même situation. Il est dans votre intérêt à tous deux de travailler de concert. » Et le sage Girard Thibault d’espérer en 1630 : « J’essaie constamment d’en convaincre l’Électeur, dans l’espoir vaniteux que je pourrais éviter une nouvelle guerre. N’est-il pas toujours plus raisonnable d’observer avant que de verser inutilement le sang ? »
S’appuyant sur la très ancienne déontologie de ce sport de combat qu’est l’escrime, Marente de Moor nous invite au rêve, le temps d’une lecture : quel monde de paix si l’on y résolvait les conflits à la mode des fleurettistes…
L'histoire s'enracine dans l'entre-deux-guerres, avec Janna, jeune fille de dix-huit ans issue d' une famille néerlandaise, qui souhaite devenir escrimeuse, à l'image de son modèle Hélène Mayer, championne allemande dans la catégorie. Elle est ainsi envoyée chez un ancien ami de son père, Egon von Bötticher, un Allemand, qui a combattu pendant la guerre et qui en est revenu gravement blessé et défiguré. Elle part ainsi faire son initiation sportive chez cet étrange et taciturne individu, dans un pays où les svastikas pullulent sur les brassards des soldats et l’antisémitisme s'affiche franchement sur les murs, les uniformes, les figures et dans les discours. Si notre vision des années vingt et trente est franco-française, on se déplace, ici, de part et d'autre d'une frontière germano-néerlandaise, de pays dont les relations nous sont peu familières : on se rappelle ainsi que les Pays-Bas ont été neutres pendant les deux guerres mondiales (avant néanmoins d'être envahis par l'Allemagne en 1940), ce qui rend ainsi la Suisse moins solitaire dans l'attitude qu'elle s'est choisie.
Janna est une escrimeuse avertie et c'est la première fois qu'elle sort de son cocon familial, et national, et va se confronter à un univers bien sombre, abrité par la grande demeure en Rhénanie du maître escrimeur, où elle demeure dans une mansarde, entre oiseaux et toiles d'araignées. À côté de Egon von Bötticher, maître des lieux, il y a Heinz et Lenni, ce couple de domestiques qui s'occupent de ce domaine de Raeren, et des frères jumeaux escrimeurs, également, Friedrich et Siegbert, ainsi que leur mère. Janna comprend bien vite le caractère obtus de l'homme, et tente de comprendre le conflit qui l'oppose à son père. Roman d'initiation pour cette jeune fille qui s'en va perfectionner son art avec un professeur qui la dirige d'une main de fer, d'une façon autrement plus autoritaire que son ancien professeur, le gentillet jeune homme toujours prompt à applaudir et à féliciter. Et qui s'engouffre dans une passion amoureuse à travers le désir charnel de l'homme qui a la charge de l'entraîner chaque jour. Attirée par la force physique et mentale qui se dégage de l'homme, dont le visage balafré garde jalousement sa part de mystère, l'attraction qu'elle éprouve est davantage que physique, d'une curiosité née avant même qu'elle ne le rencontre.
D'une rencontre effectuée sur une photo, rêvée et fantasmée à la Emma Bovary, même si le livre choisi pour relayer ses rêveries ne relève pas de la romance pure, mais de Guerre et Paix de Dostoïevski, la réalité s'arrange pour ramener Janna à la réalité : car de guerre, et de paix nettement moins, il n'y a que ça dans cette fiction à l'aube d'une nouvelle guerre aussi mondiale que dévastatrice, au lendemain d'une première guerre dont les plaies et les traumatismes sont encore béants. Il faut dire que la première vision de la demeure à laquelle est confrontée la jeune fille, c'est l'image d'un couvercle de cercueil, et ce premier sentiment morbide qui s'en dégage dès cet instant comme tout au long du séjour dans cette maison labyrinthique. Quand bien même l'escrime est un sport ou le fleuron, l'auteure nous l'apprend, ne vise pas à achever son adversaire en lui perforant cœur ou poumon, il reste un sport de combat et cette idée d'affrontement, par le biais du sport ou de la guerre, reste présente dans tout le livre. Il en est même le fil conducteur : Von Bötticher, le soldat blessé et défiguré, donc réformé, a entrepris de former les épéistes de demain, Janna comme les jumeaux, dont certains seront les soldats de cette guerre qui s'annonce à travers des signes annonciateurs sinistres et qui ne manquent pas d'accentuer cette sinistrose qui pèse de plus en plus sur le domaine. Dont l'ultime combat entre les frères jumeaux.
Janna passant de Maastricht à Aix-la-Chapelle, d'un ami à l'autre, est à la figure une figure médiatrice, entre deux hommes qui ont perdu contact, car leur conception de la vie est basiquement différente, l'un assume ses blessures, l'autre tente de les effacer à tout prix. Elle porte cette dimension mythique, à l'image de son modèle Hélène Mayer, fleuretiste juive allemande, qui a porté l'art à son meilleur niveau, dont la posture orne la première de couverture du roman, à l'image d'une déesse guerrière. Sans oublier ces jumeaux, qui m'ont interpellée dès leur apparition, déposés au domaine pour exercer leur art eux aussi, à la fois complices et ennemis, Friedrich et Siegbert, figures et prénoms très wagnériens, comme moult autres détails du texte - dont cette double paternité des jumeaux, entre père adultérin et père officiel, qui font écho à la propre vie du chef d'orchestre - qui sonnent comme l'ombre du romantisme allemand. Des jumeaux incestueux, Siegmund et Sieglinde des opéras de Wagner, ou Alexandre Hélios et Cléopâtre Séléné, les jumeaux de Cléopâtre et de Marc-Antoine. (...)
La vierge néerlandaise de Marente de Moor traduit par Arlette Ounanian est mon premier livre lu dans la bibliothèque néerlandaise des belles éditions Les Argonautes et c’est un coup de cœur absolu.
Il se dégage de ce roman un charme foudroyant obsolescent qui m’a complétement captivée tout au long de ma lecture. Sur fond d’histoire et de drames, j’ai appris quelques règles d’escrime et surtout l’existence d’Hélène Mayer à laquelle je me suis intéressée.
Dans un huis-clos dramatique, j’ai été touchée par ses personnages pris dans les sangles de l’Histoire mais follement épris de l’instant même le plus évanescent.
En 1936, Janna âgée de 18 ans quitte Maastricht pour Aix la Chapelle afin de parfaire son apprentissage de l’escrime auprès de l’illustre grand maître, le baron allemand Egon Von Bötticher.
Jacq, le père de Janna et Egon se sont connus pendant la première guerre mondiale au cours de laquelle Egon grièvement blessé et défiguré a été soigné par Jacq, médecin au front mais ils ne se sont plus revus depuis 20 ans.
Comme j’aime autant les personnages que le décor et les lieux, j’ai été immédiatement séduite par la demeure de Raeren à la fois austère et majestueuse, vieille gardienne solitaire du code chevaleresque à l’image de son hôte le baron Egon.
L’auteure Marente De Moor en seulement deux saisons, l’été et l’automne, les couleurs du roman, nous fait entrer dans un monde sensoriel, palpable et vivant qui se confronte aux secrets scellés des vieilles lettres dans les tiroirs d’une chambre fermée à clef.
La demeure comme ses habitants, Janna, Egon et le couple de domestiques Heinz et Léni vivent les derniers moments d’une époque sertis dans l’odeur de la cire, le parfum de la clématite enjambant le portail, le bruit des casseroles dans la cuisine enfumée.
L’écriture de l’auteure et narratrice tout en poésie et finesse, saisit l’instant voluptueux avant qu’il ne devienne souvenir, abandon. Destruction.
J’ai aimé le romantisme exacerbé de Janna, tout autant que sa droiture dans les jeux de la passion et de l’escrime.
Les bouleversements de l’histoire s’immiscent graduellement et presque sournoisement dans la demeure de Raeren servis par une galerie de personnages extérieurs inquiétants et réalistes.
Je me souviendrai longtemps de Janna, la jeune fille au fleuret, et d’Egon, le dernier baron de la cavalerie.
Ce roman d'une désuétude douceur irremplaçable m’a enveloppé de son charme magnétique qui traverse le temps par la magie de l’écriture de Marente De Moor.
J’ai hâte de lire la prochaine traduction aux éditions les Argonautes.
Ce livre est de grâce et de gravité. L’immensité d’une littérature sans rivalité, tant son pouvoir est grandiose.
Janna est une jeune fille de dix-huit ans qui vit à Maastricht avec son père. Ce dernier envoie sa fille en Allemagne en Rhénanie-du-Nord à Aix-la-Chapelle afin de se perfectionner dans sa passion d’escrimeuse.
Janna est missionnée d’un pli de son père, afin de le remettre en main propre à Egon Von Bötticher, maître d’armes.
Ces deux hommes se connaissent bien, trop même. Entre eux, le tumulte de la première guerre mondiale. Le père de Janna était médecin durant la guerre. Il a soigné Egon. La cicatrice sur la joue de ce dernier est sa signature.
On ressent au travers de la missive, un double langage. Les non-dits résurgence, les effluves des tranchées ensanglantées. Les regards baissés, un blessé qui s’abandonne en confiance, dans les capacités d’un chirurgien. Réparer le visible, abolir les souffrances, soulager l’enfant redevenu.
Egon, épée en main foudroie ce passé qui le dévore subrepticement. Son visage est le reflet des tourments vifs encore, et de ses troubles du comportement.
Deux hommes qui se retrouveront au préalable en janvier 1915.
« L’image idyllique que je me faisais de mon maître avant de le rencontrer s’est vite effondrée. Elle s’était formée à partir de notre album de famille. Deux hommes, l’un l’air sévère, l’autre agité. C’est moi, avait dit mon père en pointant le doigt vers l’homme sévère. Et l’autre, dont on ne distinguait que la vieille capote déboutonnée et le chapeau en fourrure, lui, c’est ton maître. »
Von Bötticher est malgré ses démons intérieurs, un homme avec des convictions et au libre-arbitre avéré. Il organise dans la grande salle immense et glacée de son domaine, des combats de Mensur, pourtant interdits par le régime totalitaire. On ressent comme un pied de nez à l’adversité. Un contre-pouvoir dans l’antre même de Raeren. Janna prend ses marques dans cet espace à la masculinité très forte. Elle s’entraîne souvent seule. Avec son maître d’armes et professeur, d’une façon très perfectionniste comme si l’enjeu même d’un combat réel était de mise. Un face à face qui va la troubler et décupler ses qualités de combattante. Elle progresse, se jette corps et âme dans l’arène. Elle glane aussi dans cette vaste demeure éloignée de tout, le mystère qui magnétise cet antre. Il y a un secret. Janna n’est pas ici par hasard. Elle est le bouc-émissaire, mais de qui ? Janna est attirée par Egon. Elle pressent une part d’ombre à apprendre de lui. Ce qui le lie à son père. Le corps enivré de désir, elle marche sur un fil ténu, sans aucune provocation, naturelle et spontanée, divinement féminine. L’initiation à l’amour peut-être, ou bien l’inaugural commencement de son aura de femme révélée.
Le récit à tiroirs est bouleversant et prenant. L’atmosphère, le magnétisme, cette capacité hors norme de produire un kaléidoscope, mouvementé et sentimental, historique et profondément humain.
Janna est troublée et déterminée dans sa gestuelle d’escrimeuse. Une guerrière-née, avide d’exutoire. Elle cherche dans chacune de ses postures d’escrimeuse à recoller les morceaux d’un puzzle dont son père tient en main la pièce maîtresse.
Ce roman est comme un film au ralenti. On aime les ombres qui se profilent et qui annoncent la teneur de ce grand livre. D’une maîtrise inouïe, on est de suite en plongée dans l’idiosyncrasie de l’entre deux-guerres, dans le réel d’une femme-enfant qui découvre l’émoi des maturités masculines. L’escrime est un rituel, une formidable passation des pouvoirs. L’identité d’un homme qui cherche la réponse à l’énigme de sa blessure. Lui, Egon qui a offert toute sa connaissance de maître d’armes pour les scènes de crime dans « Les Trois Mousquetaires ». Cet homme aux multiples facettes, dont le père de Janna le trouble encore dans cet infini des rappels pavloviens. Que vaut une cicatrice contre une blessure de l’âme insondable ?
« Ton père n’a jamais compris que mon esprit ne pouvait trouver la paix que dans la guerre. Il s’est penché pour cueillir une fleur sur la terre durcie. »
« Qu’est-ce- que c’est, un chez-soi ? »
Ce livre brillant, dévorant de perfection et de maîtrise, est tout en mouvement et pétri de sentiments. On aime les séquences, les arrêts sur image, les signaux de Marente De Moor autrice de renom. Sensuel et magnétique, une page d’Histoire, encore vive et méfiante. Cette jeune fille en métamorphose, rebelle dans sa splendeur et encore innocente. Elle, jetée peut-être en pâture, dans une histoire de grandes personnes qui ne peuvent assumer ce qui fût de ce temps de guerre. Magistral. « La Vierge néerlandaise » est traduit du néerlandais par Arlette Ounanian. Publié par les majeures Éditions Les Argonautes.
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