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Quelle est l’exacte perception d’une relation entre un homme et une femme ? De quelle nature sont les obstacles, embûches diverses, degré d’avancement dans l’existence, qui contrarient durablement l’éclosion et l’accomplissement de ce type d’événement dans une vie ?
J.M. Coetzee dans ce roman « Le Polonais », tente de répondre à ces interrogations quasi-éternelles, qui marquent des œuvres littéraires articulées autour de ces thématiques familières aux lecteurs et aux critiques littéraires.
Un pianiste polonais, âgé de soixante-douze ans, interprète reconnu et renommé de Frédéric Chopin, s’éprend, du moins le croit-il, de Beatriz, organisatrice d’un concert donné à Barcelone pour le compte d’une association culturelle locale. L’auteur du récit prend quelques précautions dès le départ pour fixer le décor affectif et culturel entre ces deux personnes : il est Polonais, d’une autre génération, d’un univers ayant connu plusieurs dictatures ; elle est catalane, appartient à ce titre à l’Europe du Sud. Ces deux appartenances, même si elles ressortissent à la culture européenne, sont très éloignées, ne font pas appel à des références communes.
Dans la description des correspondances que les deux personnages, Witold et Beatriz, sont amenés à échanger, c’est la question même de l’existence possible et confirmée d’un lien qui se pose, à propos de la possibilité de leur relation : « Entre un homme et une femme, entre les deux pôles, soit il y a une étincelle, soit il n’y en a pas. C’est ainsi depuis la nuit des temps. Un homme et une femme, pas seulement un homme, une femme. Sans le et, il n’y a pas de conjonction. Entre elle et le Polonais, il n’y a pas de et. »
Après une rencontre entre Witold et Beatriz, se pose naturellement la question de savoir quelle tournure va prendre cette relation, quels contenus vont-ils donner à cet événement ? : « La semaine promet d’être longue. Comment vont-ils occuper leur temps ? En excursions ? En conversations idiotes ? Combien de temps vont-ils supporter cette routine avant que l’un d’eux-des personnes polies, civilisées, normales- ne finisse par craquer. »
Coetzee réussit très bien à évoquer, à travers ces relations épistolaires et réelles de ce couple, dont la durabilité est inenvisageable, tous les prismes, préjugés, filtres, dont usent un homme et une femme pour comprendre leur relation, l’analyser, lui donner sens : « Est-elle trop dure pour lui ? Si elle ne l’aime pas, quel est le sentiment qu’elle éprouve pour lui, le sentiment qui l’a entraînée dans cette voie douteuse ? »
Ces interrogations sont éternelles, omniprésentes dans nos existences. Ce roman est donc susceptible d’intéresser un nombre considérable de lectrices et de lecteurs. À découvrir.
Un roman....ou plutôt un conte philosophique à valeur universelle.
A une époque et un lieu indéterminés, une oasis fortifiée en frontière d'un Empire bordant le pays des barbares, administrée par celui qu'on appelle le Magistrat .
Son pouvoir se voit subitement supplanté par celui d'un colonel envoyé par le Troisième Bureau, pour prévenir une invasion barbare. Il a la preuve de cette invasion :quelques individus en piteux état qui ont tout avoué, sous la torture !
Parmi eux, une jeune fille aux yeux brûlés et aux chevilles brisées que le Magistrat va d'abord prendre sous sa protection puis reconduire en territoire barbare. Une longue et périlleuse traversée du désert, une magnifique odyssée dans laquelle Coezee montre tout son talent de narrateur. Mais en quittant le fort, le Magistrat a déserté, trahi son pays, alors quand il rentrera ….....
Un ouvrage d' interêt politique dans lequel s'opposent pouvoir militaire et pouvoir civil, et sur l'usage de la torture comme outil de manipulation. De plus, on ne peut s'empêcher d'y voir la transposition de l'état politique de l'Afrique qui en 1980, année de sa publication, vivait encore sous le régime de l'apartheid.
D' un intérêt philosophique ensuite. Il induit une réflexion sur l'altérité, sur le sens qu'on donne à celui qu'on appelle le barbare ou le sauvage, une réflexion déjà menée en leur temps par Montaigne, Rousseau ou Diderot. Pas de manichéisme dans ce conte, pas de mauvais barbares, pas de bons civilisés. Chacun est porteur de sa part de mal.
D'un intérêt humain, enfin, par le personnage du Magistrat, le narrateur, homme mûr qui entretient des rapports ambigus avec la jeune fille, conscient aussi d'avoir été trop tiède pour se dresser fermement contre le Colonel Joll.
Une belle parabole, mais d'une lecture souvent éprouvante et qui nécessite une attention soutenue de tous les épisodes pour en saisir la richesse.
Un des « avantages » du confinement (regardons le verre à moitié plein !), c'est que je ne peux plus emprunter à ma médiathèque préférée ni ne reçois de livres de maisons d'édition.
Le moment paraît donc choisi pour lire, enfin, des romans qui sont dans ma PAL depuis parfois bien longtemps.
Mon choix s'est porté sur « Disgrâce » qui m'avait été recommandé par la Kube.
Ecrit en 1999 et publié en France en 2001, ce roman nous raconte le désenchantement et la descente aux enfers de David Lurie. Celui-ci, professeur d'université, divorcé deux fois, la petite cinquantaine a pris l'habitude de rencontres tarifées pour satisfaire ses besoins sexuels. le campus lui a aussi servi pendant très longtemps de terrain de chasse.
Presque par hasard, il jette un soir son dévolu sur une de ses étudiantes, Mélanie Isaacs. Celle-ci ne semble pas réellement consentante et déposera plainte contre lui pour harcèlement.
A ce moment de ma lecture, je me suis dit que l'auteur avait dénoncé, bien avant le mouvement #me too, le harcèlement fait aux femmes. Mais ce n'est pas le seul sujet de ce roman car dans la deuxième partie, après avoir été licencié et déchu de sa position sociale, David Lurie va panser ses plaies chez sa fille Lucy, propriétaire d'une ferme dans le bush.
Là, on découvre avec lui la réalité de la période post-apartheid et le désir de vengeance, non verbalisé mais acté, que des sud-africains ont manifesté à l'égard des blancs.
Même si le désir de réconciliation était très fort chez certains, il reste des barrières entre les deux communautés, notamment au niveau du langage : « de plus en plus, il est persuadé que l'anglais n'est pas le médium capable d'exprimer la vérité de l'Afrique du Sud. de longues suites de mots dans le code anglais, ont perdu leurs articulations, se sont désarticulées, raidies, roidies. Comme un dinosaure qui expire et s'enfonce dans la boue, la langue a perdu sa souplesse. Si elle devait épouser le moule de l'anglais, l'histoire de Petrus en ressortirait percluse, un conte d'antan. »
J'ai aimé lire cet excellent roman même si l'histoire est plutôt déprimante. Ca doit être ça le talent d'un Prix Nobel de Littérature.
J’aime beaucoup les arcs-en-ciel, ce qui n’a rien d’original, n’est-ce-pas ? C’est l’instant magique où une lumière céleste triomphe du mauvais temps qui l’a précédée. On a tous envie de figer cela dans une photographie parce qu’on sait que ça ne durera pas. C’est magique comme ce 24 juin 1995, où à Johannesburg, Nelson Mandela, revêtu du maillot Springbok, remet, dans la liesse générale, la Coupe du monde de rugby à quinze de ses compatriotes blancs (quatorze) et noir (un). Le monde entier découvre alors avec ravissement que les plus longues et terribles tragédies peuvent parfois se terminer en conte de Noël. La nation Arc-en-ciel, inventée par Desmond Tutu, est révélée au monde ce jour-là. Johnny Clegg, le « zoulou blanc » (Asimbonanga, vous vous souvenez ?) et ses musiciens de Savuka font chanter le stade, danser la planète tandis que les dingues de rugby détournent le regard pour essuyer une larme.
Disgrâce date de 1999, la lumière s’est éteinte, Mandela commence à s’effacer, les lourds nuages noirs sont de retour, l’arc-en-ciel n’est plus qu’un souvenir et la nation éponyme voit ses différentes couleurs se séparer à nouveau pour recommencer à se déchirer.
Dans un style froid, sec, distancié qui convient parfaitement au propos, le narrateur nous décrit la rapide descente aux enfers de cet enseignant vieillissant spécialiste de poésie romantique qui ne se résignait pas à renoncer au désir. Il y a bien l’amour tarifé mais si une jeune et jolie étudiante se laissait faire, ce serait tellement mieux… « Elle ne résiste pas. Elle se contente de se détourner. Elle détourne les lèvres, elle détourne les yeux. Elle le laisse l’étendre sur le lit et la déshabiller : elle lui vient même en aide en soulevant les bras et les hanches… Ce n’est pas un viol, pas tout à fait, mais sans désir, sans le moindre désir au plus profond de son être. Comme si elle avait décidé de n’être qu’une chiffe, de faire la morte au fin fond d’elle-même le temps que cela dure, comme un lapin lorsque les mâchoires du renard se referment sur son col. »
C’est mal parti et ça va mal finir. Il y a la civilisation, ses collègues de l’université qui examinent la plainte de l’étudiante, qui condamnent avec formalisme et méthode le plaisir passé d’âge qu’elle avait pourtant laissé passer. Passé un certain âge, un âge certain plutôt, que reste-t-il à celui que les femmes plus jeunes attirent encore ? Offrir de l’argent ou de l’influence. Ce n’est pas moral, il en convient mais… « Est-ce que vous regrettez ? Est-ce que vous regrettez ce que vous avez fait ? Non, dit-il. C’était une expérience enrichissante. » Il avoue, reconnaît son forfait et disparaît. Il se réfugie chez sa fille, dans une ferme isolée, dans un espace où la peur a changé de camp, où les Blancs baissent la tête et rasent les murs comme le faisaient jadis les Noirs. Il y a la manière douce et sournoise du voisin qui étend son domaine et offre sa « protection », et il y a la manière brutale et barbare des trois violeurs. Il s’agit de souiller, de punir, de prendre une revanche. A présent, c’est sa fille qui a subi les derniers outrages (le titre anglais disgrace s’emploie également pour honte, souillure, outrage) et lorsqu’elle fait mine de s’en accommoder, comme le font, partout de par le monde, quelle que soit leur couleur de peau, ceux qui n’ont aucun espoir d’échapper à leurs tourmenteurs, il ne comprend pas, il ne voit pas le parallèle avec l’étudiante qui « avait décidé de n’être qu’une chiffe, de faire la morte ». C’est un roman d’un pessimisme très sombre qui traite des affres de la vieillesse concupiscente, de la solitude et de la violence de la société sud-africaine, à travers les non-dits et les explosions soudaines et brutales de barbarie qui peuvent frapper en totale impunité et à tout moment. Ajoutons-y, pour faire bonne mesure, la souffrance des animaux, innocents entre les innocents dont le sort terrible ne peut être adouci, avant la mort, que par un regard ou un caresse dispensée par celui qui, avant sa chute, ne leur reconnaissait aucun droit, aucune existence et qui, au fond de sa déchéance, dans un monde qui semble retourner à l’âge de fer (la quatrième de couverture qui utilise cette image n’exagère pas), n’a plus qu’eux pour exprimer la tendresse que même sa propre fille refuse. Le roman, qui se termine sur une dernière phrase accablante, est puissant, d’une richesse insoupçonnable au début de la lecture, et marque profondément le lecteur ainsi interpellé sur le monde qui vient et qui risque fort de ressembler peu ou prou à l’ex-nation arc-en-ciel. Ca ne donne pas envie de passer de prochaines vacances en Afrique du Sud mais convainc de poursuivre l’exploration de l’œuvre de J.M Cotzee.
« Il y a dans le désespoir quelque chose qui nous rend incapable d'accepter de l'affection. »
R. Goolrick – Arrive un vagabond.
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