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Du poète slammeur Jean d’Amérique, j’avais beaucoup aimé le roman « soleil à coudre » Alors, lorsque j’ai eu l’occasion de le rencontrer lors de la cérémonie à l’Académie des Jeux Floraux dont il est maître ès jeux, j’ai pu mesurer la force évocatrice de sa poésie.
Dans la première partie, « tripes cordées », il raconte son enfance dans un pays de sang où vivre devient un exploit chaque jour recommencé.
« grandir, conjugué mal dans mes sauts que nulle grammaire n’a su repérer, peut-être la faute aux gribouillages de mes intestins, que je devais assumer devant le tribunal des calories. »
On se souvient des émeutes de la faim lorsque les prix alimentaires devenaient exorbitants pour les habitants de l’île dont la détresse était poignante. La faim jamais assouvie suscite la colère.
« …ces rues à la panse pleine de foules humaines, émeute de lèvres arides contre le vent… »
Dans la seconde partie intitulée « Douleur -fleuve », le poète dénonce la pollution massive d’un fleuve suite au déversement des latrines d’un camp de soldats de l’ONU. Scandale sanitaire et épidémie de choléra dans ce pays grandement touché par la pauvreté. « Voyez, voyez comme couché à jamais le fleuve, surplus de larmes où flottent tant d’absences. »
C’est un cri de douleur qui s’adresse au fleuve Artibonite. Contraste saisissant entre « l’ouvrage de sang financé par l’épée yankee » et l’image de la mère « herbe étendue sous l’or solaire. »
Dans la dernière partie, « avancer malgré », c’est le pays qui est mis en avant, entre passé et avenir.
« Sans doute faut-il reléguer les plaies pour accueillir nos élans. »
On distingue une pointe d’espoir dans ce « nous » qui désigne ce peuple qui, malgré le malheur, les épreuves, doit trouver son élan pour poursuivre la vie.
« et nous voguons, adossés à un chant d’os brisés »
Les images sont puissantes, dérangeantes, pour dire l’importance du chaos, pour dénoncer l’incurie. L’évocation de la mère vient adoucir cette violence où « mort, cimetière, agonie, brûlures, naufrages » habitent chaque page du poème.
Alors, il ne reste plus qu’à « chercher issue dans l’arbre à ciels » en quête d’un chemin d’espoir.
Cette poésie au flot puissant, dévastateur, qui n’hésite pas à dénoncer et cette langue endolorie au rythme syncopée nous touche et nous bouscule.
Je ne connaissais pas Jean D’Amérique et un jour, je suis allée l’écouter parler de son travail.
Jean d’Amérique est un poète Haïtien. Il n’a que 21 ans lorsqu’il publie son premier recueil de poèmes. Il va ensuite enchainer les prix de Poésie et s’installer à Paris. Il garde cependant toujours un pied en Haïti et continue à y puiser son inspiration et sa soif de vivre.
Il publie en 2021, son premier roman Soleil à coudre qui recevra le Prix Montluc Résistance et Liberté 2022. Je l’ai donc lu pour vous.
Ce roman est très court mais demande une lecture attentive. Avec poésie, il nous raconte la vie quotidienne en Haïti. L’histoire est vue par une jeune fille Tête Fêlée qui nous parle de sa mère Fleur d’Orange qui vend son corps pour faire vivre sa famille, de son beau-père, Papa, qui est la petite main du pire malfrat de la ville.
C’est avec la poésie et les mots que Jean d’Amérique a choisi de combattre la violence, l’horreur, la misère, la drogue, la prostitution, de nous sensibiliser au quotidien de ces hommes et de ces femmes.
C’est un premier roman d’une violence parfois insoutenable, d’une réalité fracassante. Une magnifique découverte et une belle rencontre.
Tête Fêlée a douze ans et grandit dans la misère d’un bidonville haïtien. Sa mère Fleur d’Oranger fait commerce de son corps. Papa, qui n’est pas son vrai père, est l’un des hommes de main du caïd qui tient la ville sous sa coupe. Dans la nuit de sa vie sans avenir, l’adolescente s’est trouvé une étoile : Silence, une camarade de classe dont elle est amoureuse. Mais la naïveté de l’enfance survivra-t-elle longtemps à la cruauté du monde ?
Ce qui fait l’unicité de ce livre est d’abord le style sans pareil de son auteur, qui, mariant la crudité la plus directe à une poésie puissamment imagée, crée une langue originale, singulièrement travaillée, parfois déconcertante mais souvent d’une confondante beauté. Aussi chatoyante que brutale, elle assène ses vérités noires en les habillant de lumière, dans des tableaux d’une violence colorée qui évoquent tantôt la poésie contestataire du slam, tantôt le chant d’une tragédie éternelle.
Car les rêves et les espoirs qui gonflent encore le coeur de Tête Fêlée sont condamnés dans l’oeuf par l’irrépressible étau de la violence qui écrase un par un les habitants du bidonville. Misère rime avec loi du plus fort, et dans cette impasse du crime, organisé ou pas, que constitue ce quartier perdu, l’on est irrémédiablement seul et rattrapé par la nuit, même lorsqu’on a cru un temps en la beauté d’une étoile.
Désespéré et cruel, ce conte qui habille sa révolte de poésie est un cri d’une formidable puissance en même temps que d’une profonde dignité : une très belle voix pour le peuple haïtien, en proie à tant des maux, mais dont personne, parmi les autorités du pays, ne prend vraiment au sérieux les mouvements de contestation.
Je découvre ce jeune auteur grâce à Babelio dans le cadre de l’opération Masse critique.
Il a déjà reçu de nombreux prix dont le prix Jean-Jacques Lerrant des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre en 2020 pour ce texte qui lui permet d’être édité et mis en voix.
Jean D’Amérique est né en Haïti en 1994. Il est poète, dramaturge et directeur artistique du festival Transe Poétique à Port-au-Prince.
Le personnage est un poète haïtien en prison. Il parle à son amour pour la première fois au téléphone depuis 6 mois. Il s’exprime dans un flot continu. Il n’y a pas de ponctuation, les mots s’enchaînent avec rythme. On ne peut qu’être touché par la poésie de ces mots. J’aurais aimé entendre ce texte. Les mots doivent être encore plus forts lorsqu’ils sont interprétés par un comédien. Ce monologue est court et intense. En 34 pages, on ressent toute la tristesse, la révolte et la douleur de cet homme torturé au sens propre comme au sens figuré.
L’auteur dénonce toute la pauvreté et tous les malheurs de son pays. Il fait référence à d’autres poètes et écrivains emprisonnés, comme Federico Garcia Lorca, Asli Erdogan, Nâzim Hikmet.
Un texte et un auteur à découvrir absolument ! Je m’en vais de ce pas commander un de ses recueils de poésie.
Merci aux éditions Théâtrales pour l’envoi de ce magnifique texte, l’occasion pour moi d’ajouter une nouvelle rubrique à mon blog : « Théâtre ». J’espère pouvoir vous proposer prochainement d’autres textes et auteurs contemporains à découvrir !
« je connais ces trois jours de juillet à Port-au-Prince
où la colère n’a pas attendu le bus
pour aller au travail dans la rue
ces trois jours de juillet rouge
où la faim s’est suicidée dans les supermarchés
sans demander permission à un portefeuille
la lumière parfois un pain chaud
la violence seule boulangerie »
« pardon je te laisse pour le moment
obligé de ranger les armes
les gardes viennent me chercher
hier la matraque aujourd’hui je ne sais pas de quoi il s’agira
je t’écrirai
peut-être
depuis l’au-delà »
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