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Trois étages, trois familles, trois histoires.
Ces voisins se croisent, se connaissent de loin mais il ne suffit pas de vivre à côté pour connaitre l'intimité de chacun, ses choix, sa culpabilité, son courage, ses failles, ses regrets et ses espoirs.
C'est de ça dont il est questions dans ces 3 nouvelles, ces trois monologues.
L'écriture est élégante et sensible.
Les récits sont émouvants et profonds.
Une belle découverte.
Eshkol Nevo nous livre trois courtes histoires (une centaine de pages chacune) de type « nouvelles », au relent hitchcockien. Sorte de mini-thrillers, aux faux-semblants, avec des revirements de situation et où un des personnages, passe fugacement, dans les autres récits, comme le faisait le maître du suspense dans ses films.
Un couple de jeunes mariés israéliens, Mor et Ronen, partent en voyage de noces en Bolivie et le comportement du mari, macho et autoritaire, tend l’atmosphère. La rencontre avec Omri, leur compatriote, parti se vider la tête après un divorce rend le terrain glissant, au propre comme au figuré.
Un médecin réputé de Tel-Aviv, Asher, récent veuf, est troublé par l’une de ses internes, Liat. Un attrait difficilement définissable, pas forcément charnel. Il se sent à l’aise avec elle, comme en terrain de connaissance, comme un père pour sa fille. Mais ce rapprochement devient scabreux et dangereux, d’autant plus qu’une relation entre collègues peut remettre sa carrière en jeu.
Comme beaucoup de vieux couples, Hali et Ofer, s’apprécient l’un l’autre avec beaucoup de tendresse. Mais les liens affectifs semblent distendus et la libido en berne d’Ofer a poussé Hali à prendre un amant. On retrouve, néanmoins, nos deux mariés se promenant main dans la main dans une orangeraie, quand une envie pressante du mari le fait s’enfoncer entre les arbres, d’où il ne ressortira jamais. Hali aidée de sa fille Ori tentent de comprendre ce qui a bien pu se passer.
« Turbulences » comme ces trous d’air, au beau milieu de votre vol, qui viennent, ici, perturber l’existence de nos héros. Eshkol Nevo est un véritable orfèvre pour sonder la nature humaine, double jeu, ambivalence, méconnaissance de ses proches, comment discerner le vrai visage de nos protagonistes ? Comment un fait peut-il avoir des vérités aussi distordues ? Ce roman est un livre dense à l’écriture limpide, il fourmille de détails, tous intéressants, qui, telles des pièces de puzzle, nous livrent peu à peu le contour de portraits dans leur complexité kaléidoscopique.
Je découvre cet auteur et vous engage à faire de même si vous ne le connaissez pas.
Un grand merci aux Editions Gallimard pour cette belle découverte.
Ne serions-nous qu’ambivalences, Janus aux contiguïtés équivoques toujours prêtes à nous faire basculer malgré nous dans la noirceur de drames aussi complexes que sournois ? En trois courtes histoires unies par un lien ténu, l’auteur israélien peint doutes, contradictions et déchirements intimes craquelant si bien la banalité quotidienne que la vie ressemble à un champ miné plus ou moins consciemment par nos propres actes.
Comme pris au hasard dans une foule où ils se croisent sans se connaître, l’un simple figurant dans le récit de l’autre, trois narrateurs israéliens, secoués par les événements qu’ils ont malgré eux aidés à faire chavirer leur vie, se livrent chacun à une sorte de confession, hagarde et douloureuse, de rescapés meurtris affrontant leur part de responsabilité avec une lucidité souvent toute relative. Un quadragénaire fraîchement divorcé ne parvient toujours pas à admettre la terrible manipulation à laquelle, aveuglé par son désir d’amour, il s’est laissé prendre. Un médecin-chef vieillissant accusé de harcèlement sexuel continue à se persuader du caractère protecteur de son attachement à une jeune interne. Une femme cherche dans le passé ce qui pourrait expliquer la disparition de son mari, mystérieusement volatilisé au cours d’une promenade.
Avec pour ressorts suspense et angoisse, savamment entretenus dans le développement de ces faits divers dramatiques où les narrateurs s’observent rétrospectivement s’empêtrer dans leurs irrépressibles erreurs, leur raison si bien dépassée par leurs désirs que même a posteriori, et contre les évidences, la clairvoyance leur fait encore partiellement défaut, ces tranches de vie parallèles sont semblablement parcourues par les courants souterrains qui, serpentant dans nos inconscients, transforment nos vies en dangereux culs-de-grève susceptibles de s’effondrer à tout moment.
C’est ainsi qu’une fois assemblées, ces trois histoires qui, séparément, pourraient n’être considérées que sous l’angle du thriller, la dernière teintée d’onirisme fantastique, dessinent en filigrane une sorte de peinture sociale, traversée d’ironie et d’inquiétude, qui, faisant écho à d’autres ouvrages récents d’auteurs israéliens, comme Stupeur de Zeruya Shalev, vient elle aussi souligner combien la société israélienne vit de tensions profondes.
Un livre troublant et brillant, où les déboires intimes et individuels, vécus dans l’incrédulité et le déni, révèlent entre les lignes le désarroi né des turbulences de l’histoire collective israélienne.
Un titre annonciateur d’une fin, mais la fin de quoi ? Et s’agit-il d’un événement positif ou négatif ? La fin du bonheur, la fin d’une carrière d’écrivain, la fin de la tristesse avant un nouveau départ ?
Le narrateur écrit des livres depuis 20 ans. Des fictions. Du moins est-ce ce qu’il veut faire croire à ses lecteurs. Mais il n’est pas dupe, et son entourage non plus. Il sait qu’il est « devenu un menteur, un narrateur obsessionnel et un cannibale, tout ce [qu’il vit, il] le transforme en matériau » pour ses romans. Et cela ne le rend plus heureux, au point d’être dysthymique (trouble dépressif chronique, moins sévère que la dépression), et incapable d’écrire. Mais est-ce la seule cause de son mal-être ? Son couple va mal, sa fille aînée a décidé de partir en internat, son meilleur ami se meurt d’un cancer. Ce contexte cafardeux lui ôte toute inspiration, mais il s’accroche à une ultime tâche comme à une planche de salut : rédiger des réponses aux questions posées par des internautes. La banalité de ces questions pourrait faire craindre des alignements de platitudes, mais le narrateur prend à chaque fois la tangente et se sert des questions comme d’un prétexte à dire ce qui lui tient à cœur, sous forme de tranches autobiographiques en flash-back, et à amener, l’air de rien, une multitude de thèmes. L’amour, l’amitié, la paternité sont les plus récurrents, mais aussi les rêves de jeunesse usés par l’érosion du quotidien, les regrets et l’espoir, le métier d’écrivain (égratignant au passage les polars scandinaves), le monde de la publicité et celui de la politique, et, comme on est en Israël, les attentats, Tsahal et la colonisation des territoires palestiniens. Mais là où le texte est le plus captivant, c’est dans le jeu permanent entre réalité et fiction, dans lequel on se perd avec délices. Dans quelle mesure le narrateur est-il le double de l’auteur, dans quelle mesure le narrateur est-il sincère ? Faut-il le croire quand il dit : « Je mens toujours dans ce genre d’interviews, tu sais, je fournis des réponses d’écrivain. Cette fois, je me suis efforcé d’être sincère ou, du moins, de tendre à la sincérité, et il y a quelque chose de libérateur là-dedans« . Mais après tout, l’important n’est pas là mais dans le plaisir du lecteur (le mien en tout cas) à se laisser balader entre vérité et imagination.
Même s’il m’a moins émue que « Le cours du jeu est bouleversé« , ce roman rusé, drôle et touchant, savoureux et addictif, est un grand moment de lecture et de littérature, tant il est riche, profond, intelligent et sincère.
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