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1948, gare de Barcelone.
Le jeune Carlos Moreno Vargas s'apprête à monter dans le train, direction la France. Il croise Jocelyne qui lui propose du travail à Perpignan. Mais que fuit-il ? La dictature franquiste ? Une enfance douloureuse qui a fait de lui un orphelin ? Côté français, il se lance dans la contrebande de produits interdits...
Gani Jakupi et Denis Lapière placent leur récit dans le Barcelone de l'ère Franco, où les tensions entre les républicains et les nationalistes sont toujours aussi fortes. On y suit Carlos qui, lourd d 'un passé chargé, va devenir un maître de la pègre barcelonnaise. Ce qui devait être une saga en six tomes se voit ramenée à un roman graphique dense et dynamique.
Martin Pardo, Rubén Pellejero et Eduard Torrents, trois artistes barcelonais, sont réunis pour illustrer près de 40 ans de la ville catalane au travers de la vie d'un homme. Les ambiances sont réussies, les personnages aussi, on est transporté sans mal dans cette époque et dans ces lieux bien connus des trois dessinateurs.
J'aurai effectivement bien vu ce récit en plusieurs tomes, j'ai trouvé que ça allait parfois un peu trop vite, mais ce très beau roman graphique, comme toujours chez Aire Libre, n'en reste pas moins un très bon moment de lecture, une excellente façon de démarrer un mois de mars prometteur !
Il faut aller au bout de cette histoire si émouvante et si juste pour saisir toutes les difficultés, tous les drames causés par cette Retirada, cette fuite de tant de Catalans, de tant d’Espagnols devant l’avancée des troupes franquistes.
Comme Eduard Torrents l’explique bien à la fin de ce second album, dans un dossier agrémenté de très intéressants croquis, ce sont les récits de son grand-père, Josep (El iaio Pepito) et ce qu’ont vécu plusieurs membres de sa famille qui ont motivé son écriture, sous-tendu son dessin.
Dans cette seconde partie, il est temps d’avoir des explications, ce 19 novembre 1975, à Barcelone où Julia, la mère d’Angelita, est hospitalisée et où sa fille vient de faire une rencontre bouleversante.
Se battre contre une dictature des plus violentes, proche de tout balayer, ne dure qu’un temps. J’ai alors suivi à nouveau cette Retirada si pénible pour ces familles obligées de tout abandonner pour sauveur leur vie.
Certes, la France n’était pas prête à accueillir tous ces réfugiés mais fallait-il les enfermer dans des camps et les laisser moisir dans de conditions absolument indignes ? En tout cas, c’est bien ce qui s’est passé et lorsque l’armée nazie a occupé une partie de notre pays, il y a eu ce premier convoi de 927 déportés espagnols depuis Angoulême, jusqu’à Mauthausen. Les 490 hommes y sont restés pendant que 427 femmes et enfants étaient renvoyés à Franco !
Le Convoi, dans cette seconde partie, propose beaucoup d’images sans le moindre texte mais leur éloquence est encore plus forte. Celles de ce camp autrichien que j’ai visité il y a des années, sont terribles. Sur cette double page, des hommes sont alignés nus, obligés de se vêtir des tenues rayées des déportés puis contraints, tous les jours, de remonter sur leur dos, d’énormes blocs de pierre extraits d’une carrière. Malnutrition, souffrance, mort. Peu en réchappèrent.
« Je crois que je n’étais plus vraiment vivant quand les Américains sont arrivés », avoue Manuel qui va bientôt vivre une autre épreuve tout aussi délicate : le retour.
Tous ces malheurs infligés par des hommes à d’autres hommes sont enseignés dans l’Histoire mais cette bande dessinée a le mérite de s’attacher aux conséquences familiales de tels bouleversements. C’est fait avec tact, délicatesse, sans rien occulter des difficultés immenses, des dilemmes quasi insolubles affrontés par ces gens qui avaient eu… la chance de sortir vivants de ces épreuves.
Heureusement, l’avant-dernière page salue la mort du dictateur : « Franco ha mort ! » en catalan comme dans toutes les bulles faisant parler les Barcelonais. C’est un plaisir à lire et ça se comprend. Nous sommes le samedi 20 novembre 1975 et une bien triste page de l’Histoire de ce pays voisin est tournée. Enfin !
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Voilà une période de notre histoire récente qu’il faut continuer à sortir de cet oubli bien confortable : l’accueil réservé par la France aux Espagnols fuyant la dictature de Franco en 1939 et une guerre civile sans pitié pour les Républicains en train de céder.
Récemment, j’ai vu l’excellent film d’animation signé Aurel : Josep, hommage au dessinateur Josep Bartoli, lui aussi interné au camp d’Argelès, près de Perpignan. Là, je termine le la première partie de la BD signée Eduard Torrents et Denis Lapière : Le Convoi.
Un même sentiment mêlé de honte et de gêne me gagne en suivant la petite Angelita et ses parents fuyant les bombardements italiens sur Barcelone. Et oui, la République espagnole attaquée par le général Franco était bombardée par les avions envoyés par Mussolini. D’autres l’étaient par Hitler, comme à Guernica ! Il faut ajouter à cela les fournitures d’armes et bien d’autres soutiens obligeant les Républicains et les Brigades internationales à reculer.
Bref, je ne veux pas retracer une histoire bien complexe mais m’attacher aux pas d’Angelita qui vit à Montpellier. Nous sommes le 18 novembre 1975. Soudain, elle est appelée depuis Barcelone où sa mère, Julia, qu’elle croyait en Auvergne, vient de faire une crise cardiaque.
Avec René, son beau-père, le second mari de sa mère, elle part au chevet de celle-ci. Dans le train, René lui demande de raconter ce dont elle se souvient car Angelita avait huit ans lorsqu’ils ont tout laissé pour gagner notre pays où l’accueil a été absolument ignoble.
La frontière franchie après des heures d’attente, c’est la séparation des hommes d’avec leur femme et leurs enfants et le camp d’internement à Argelès, sans le moindre bâtiment. Il faudra plus d’un an pour que les conditions de vie s’améliorent… mais quelle indignité !
La lecture de cette bande dessinée de facture classique est aisée. Les dessins de Eduard Torrents sont soignés, bien mis en couleurs par Marie Froidebise ; Denis Lapière assurant un scénario bien construit. J’ai été impressionné par les expressions de visages, soulignant une souffrance terrible, celle de l’arrachement à sa ville, à son pays natal. J’ajoute qu’une énorme surprise m’attendait à la fin du premier tome et cela fait que je me plonge sans délai dans le second.
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Nous voilà de nouveau à Barcelone, ce 19 novembre 1975, avec René auprès de Julia hospitalisée. Angelita, elle, n'est pas là. Elle est... , nous n'avions pas voulu le divulgâcher dans le compte-rendu du Tome 1, en discussion avec son père, père qu'on lui avait dit mort quand elle avait quinze ans et qui se trouve aujourd'hui devant elle, maintenant qu'elle a quarante-quatre ans.
Angelita ne comprend pas pourquoi, alors que ses parents se sont retrouvés, il y a quinze ans, ni son père, ni sa mère n'ont eu le courage de le lui dire. Et elle va lui poser la question suivante : "Que s'est-il passé exactement après que les Français nous ont séparés à notre arrivée en France ? Tu n'as pas été transféré à Mauthausen ?" Question à laquelle il répondra: "Oh si, j'y ai bien été ... J'y ai assez souffert. Et, en quelque sorte, j'y suis mort... Oh oui, bien mort."
Manuel reprend alors le déroulé de sa vie depuis les quelques semaines précédant leur départ de Barcelone. Il explique les dissensions qui existaient au sein du couple, à propos de son engagement en résistance. Ils s'étaient même disputés juste avant leur départ. Il raconte ensuite la fierté qu'il a ressentie à les voir toutes deux si courageuses lors de ce périlleux déplacement à pied pour franchir le col des Pyrénées dans des conditions hivernales, puis la séparation et son arrivée dans ce camp, cloaque sans nom d'où il s'échappera. Il est ensuite repris et emmené au camp des Alliers, près d'Angoulême où il est resté près d'un an.
En août 1940, les réfugiés du camp sont conduits au camp de Mauthausen. Manuel se remémore sa vie, ou plutôt sa non-vie au camp où il est resté pendant quatre ans, jusqu'à sa libération par les Américains. Puis il continue à raconter ce que fut sa vie jusqu'à aujourd'hui.
Cette deuxième partie est aussi intéressante que la première et vient en quelque sorte la compléter.
J'ai appris entre-autre, que ce maudit convoi de 927 personnes emmenées à la gare d'Angoulême et entassées dans des wagons de marchandises, ce sinistre convoi a été identifié comme le premier train de l'histoire de la déportation de civils en Europe occidentale. seulement 73 d'entre eux en réchapperont sur les 470 hommes et jeunes hommes du convoi, tandis que femmes et enfants seront livrés en gare d'Irún à la police franquiste.
Les sentiments éprouvés par les divers personnages de l'histoire sont bien retranscrits, notamment en ce qui concerne Angelita qui a toujours tenu pour acquis la mort de son père en déportation et qui découvre qu'il s'agit d'un mensonge.
Les dessins de la double page concernant le camp de Mauthausen, en disent plus longs que bien des commentaires.
Le parler catalan par le personnel hospitalier, sans traduction, mais à peu près compréhensible ajoute une belle part de réalisme.
À noter que l'album se termine sur un ton plus optimiste avec la mort de Franco, le samedi 20 novembre 1975 : "Celui par lequel tout avait débuté trente-six ans plus tôt, venait de mourir".
Enfin, un dossier de huit pages de croquis et photos d'époque en fin de volume vient compléter et enrichir ce magnifique récit, aussi instructif qu'un documentaire.
Ce double album, témoignage sur cette dramatique séquence honteuse et peu connue de l'histoire du XXe siècle qu'est La Retirada, est à mettre entre toutes les mains et ce, dès l'adolescence.
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