Une belle adaptation, réalisée par un duo espagnol, d'un des romans fondateurs de la science-fiction, accessible dès 12 ans.
Dans ce roman largement autobiographique, l’écrivain slovène Drago Jancar évoque la période incertaine des décennies d’après-guerre, entre plaies encore vives et avenir indécis, au travers d’un garçon qui, sortant de l’enfance, s’efforce de comprendre la vie pour s’y frayer un chemin.
L’histoire commence rétrospectivement au printemps, quelques mois avant que le jeune Danijel réalise tristement, le temps d’un seul été et d’un tragique fait divers, combien les perspectives ont soudain changé autour de lui, bousculant sa perception du monde et de la vie. Ce jour-là, une jeune et jolie femme seule emménage à portée de fenêtres, face à l’immeuble où résident Danijel et ses parents.
Tout à ses rêves ingénument amoureux, le garçon prend l’habitude d’observer la belle Lena à travers ses rideaux en dentelle, quand, un jour, la vision de chaussures masculines et, dépassant du divan, de grands pieds dont il s’avèrera qu’ils appartiennent à Pepi le couvreur, un homme apprécié, bon et travailleur, le rappelle à la réalité. Le quartier ne bruisse déjà plus que de dignes projections matrimoniales. Mais l’apparition d’un troisième larron, moustache au vent, moto pétaradante et réputation de voyou, vient faire tourner l’affaire, au scandale d’abord, au drame ensuite.
En même temps que le bon Pepi fait tragiquement les frais de ceux qui se dévoilent, bel et bien un escroc pour l’un, une ancienne prostituée pour l’autre, le garçon réalise que sa conception belle et bienveillante du monde n’existe que dans sa tête. Pour autant, comment faire la part des choses entre la foi communiste d’un père tyrannique mais héros de la résistance au contact direct de Tito pendant la guerre, la foi en Dieu d’une mère fréquentant l’église en cachette et relayée par les récits bibliques de pater Alojzij au catéchisme, enfin l’enseignement scientifique et littéraire du professeur Fabjan qu’une perquisition policière jette soudain en prison, possiblement à cause de ses relations allemandes durant la guerre ?
Et puis, et à cela aucun personnage n’échappe, il faut aussi composer avec le poids d’une histoire nationale compliquée. C’est d’abord l’héritage de la guerre, avec son lot de héros et de collabos, et la mémoire omniprésente, surtout chez les anciens combattants, des luttes et des bombardements, qui, en ces années 1960, entretient une haine tenace contre les Allemands. C’est encore la place particulière de la Slovénie, plus avancée et plus ouverte dans une Yougoslavie isolée au sein du bloc communiste par le schisme Tito-Staline. Alors, dans cette banlieue ouvrière tiraillée entre ombres et contradictions, l’aube d’un nouveau monde peine encore à se dessiner, et avec elle, l’avenir de la jeune génération, celle de Danijel et de l’auteur.
Racontée au travers de l’innocence d’un jeune être qui commence à prendre conscience des discordances d’un monde peinant à se réinventer, l’histoire se teinte d’une tendresse douce-amère, ironique en même temps que poétique, pour ses personnages et pour l’enfant que fut l’auteur. Image après image, jouant de l’émotion plutôt que de la verbalisation, l’auteur fait preuve d’une rare habileté narrative. Et s’il arrive qu’entre certaines pages une pointe de lassitude se fasse sentir chez le lecteur, si l’on rit aussi de voir le patois local maladroitement traduit en succédané de chtimi, cela n’est pas suffisant pour effacer la certitude de lire une grande plume et un ouvrage d’une qualité indéniable.
Cette nuit, je l’ai vue a été élu Meilleur livre étranger en France en 2014 et nous emmène durant la Seconde Guerre Mondiale sur les traces d’un couple bourgeois disparu lors d’une nuit de janvier 1944…
S’il est question du couple disparu, c’est surtout sur Veronika, une jeune femme moderne, séduisante, entière, excentrique (qui promenait un aligator en laisse, avant que celui-ci ne finisse empaillé après s’être attaqué au mollet de son mari !), que Drago Jančar porte son attention. Nous la découvrons de façon indirecte, grâce à cinq points de vue différents posés sur elle, sur sa disparition.
Le premier narrateur est Stevan Radovanovic, major de l’armée, alors prisonnier durant la fin de la guerre. Veronika lui a rendu visite la nuit, il en est persuadé. « Cette nuit, je l’ai vue » est le titre du livre mais aussi la première phrase de Stevan faisant allusion à cette visite nocturne. Officier serbe, il avait été l’amant de Veronika, avant que celle-ci ne le quitte sept ans plus tôt à Maribor. Le souvenir de la jeune femme reste omniprésent dans son esprit :
"Je reçus sa dernière lettre au printemps trente-huit. Il s’est à peine écoulé sept ans depuis qu’elle est partie. Pour moi, c’est comme si c’était hier. Je me souviens de l’appartement vide de Maribor, jamais je ne l’oublierai. Le mobilier était là, elle n’avait rien emporté, excepté ses vêtements et quelques bibelots, mais c’était vide car elle n’y était plus, elle n’était pas là, son rire, sa démarche silencieuse, rien, dans la salle de bains, l’eau gouttait de la douche, elle s’était douchée le matin et elle était partie. Même ces gouttes, je ne les oublierai jamais, encore maintenant je les entends, ploc, ploc, elles frappaient le bac en porcelaine, comme les secondes, comme les minutes, comme le temps qui s’écoulait dans le silence."
C’est ensuite au tour de la mère de Veronika, une vieille femme qui converse avec son mari depuis longtemps disparu. Avec elle, on continue à en apprendre un peu plus sur la jeune femme, sur sa disparition en 1944…
"Ainsi était Veronika, ainsi est-elle, où qu’elle soit. Quand elle prend une décision, personne ne l’arrête."
Peu à peu, grâce aux autres récits (un médecin allemand qui côtoyait le couple, et deux employés du domaine), l’image se précise, et les conditions dans lesquelles la disparition eut lieu nous apparaissent progressivement. La construction très habile du livre, la personnalité de Veronika rendent la lecture vraiment intéressante, mais ce n’est pas tout… En effet, dans leur récit, les protagonistes nous révèlent leurs états d’âme, leur vision de la disparition de Veronika, mais dépeignent également l’histoire d’un pays déchiré. Stevan est un officier modèle qui se rend compte de l’absurdité de la guerre ; Horst le médecin allemand, nous parle de la Gestapo, des tortures, se remémorant les combats auquel il participa en Ukraine en 1941, ou encore les exécutions de la fin de la guerre, par simple vengeance. De nombreuses années après, sa conscience se rappelle à lui.
"J’aurais dû faire quelque chose, au moins montrer clairement mon désaccord. Mais je n’avais rien fait. Je me réveille souvent à cause de cet incident. Ce ne sont pas les choses qu’on a faites qui nous accompagnent mais celles qu’on n’a pas faites. Qu’on aurait pu faire ou au moins essayer, mais qu’on n’a pas faites."
Chacun fut obligé de choisir son camp, et Drago Jančar montre bien à quel point cela pouvait être destructeur.
https://etsionbouquinait.com/2022/03/04/drago-jancar-cette-nuit-je-lai-vue/
Le challenge Globe-Trotter des Lecteurs de Babelio m'aura permis de découvrir de nombreux auteurs.
Certains excellents comme Gioconda Belli, d'autres moins, et parfois, certains m'ont fait longuement peiner sur un roman qui n'était pourtant pas très long !
C'est dans cette dernière catégorie que je range 'Et l'amour aussi a besoin de repos de Drago Jancar', auteur slovène.
Ce roman met en scène trois personnages principaux : Sonja une jeune femme de Maribor, Valentin (dit Tine) son amoureux, et Ludek (Ludwig) dont les destins s'entrecroisent à l'aube de la seconde guerre mondiale.
Les garçons feront des choix différents, l'engagement dans les troupes allemandes pour l'un, la résistance slovène pour l'autre et la jeune femme en voulant en sauver l'un sera perdue par l'autre.
Un roman à la trame classique donc, mais traité de façon lente et parfois itérative par un narrateur qui décrit longuement les agissements des deux hommes - la difficile obtention de clous pour l'un, les pérégrinations hivernales dans les montagnes pour l'autre.
Bref, un roman lent, long, mais qui me permet de valider un nouveau pays :)
Je n'aurais que de belles choses à dire sur cet étonnant et admirable livre, dont le titre ainsi que la couverture – de ma version du roman, en tout cas – sont totalement à l'image du texte: poétique, mystérieux, noble. Une fois n'est pas coutume, tout est en adéquation, je crois qu'on n'aurait pu trouver meilleure couverture. Cinq chapitres composent ce roman, cinq regards différents sur celle qui est le point de mire de ces cinq récits, totalement indépendants les uns des autres, Veronika. Cinq bribes de vie, cinq monologues intérieurs, à travers lesquelles le lecteur tente de cerner Veronika, la maîtresse, la fille, la châtelaine, l'amie. Si seulement les choses étaient aussi simples. le procédé qu'emploie Drago Jančar est efficace: ces cinq éclairages se complètent les uns les autres, se combinent de façon à donner, à la fin, l'image d'une personnalité complexe et disparate. Où de l'impossibilité de définir objectivement une personne. Cinq personnalités qui se remémorent leur relation à la jeune femme, cinq anamnèses, difficiles et douloureuses, pour remonter le fil du passé et tenter de comprendre sa disparition. Veronika s'est volatilisée, mais qui est donc celle qui attire tous les regards. Qu'a t'elle donc de si spécial pour éveiller et monopoliser l'attention des hommes, la sympathie et la bienveillance des femmes. Si Veronika, en première ligne du roman, apparaît comme une grande dame inaccessible, son mari Leo, plus en retrait, l'est autant. Il agit dans l'ombre de la jeune femme, mais il est comme le personnage de Veronika, remarquable. Mais je reviens sur notre châtelaine, puisque c'est vraiment elle qui est au coeur de ces récits, c'est une femme hors du temps, au-dessus des menaces géopolitiques qui planent dangereusement, elle profite de cette liberté que sa place lui octroie, elle évolue au milieu d'hommes et il n'y a pas vraiment pas grand-chose qui l'effraie. Une personne libre et indomptable, c'est à la fois ce qui fait sa force et sa faiblesse, le libre-arbitre de la classe féminine a été long à entrer dans les moeurs. Une femme, qui s'octroie la liberté d'aimer, de fréquenter qui elle veut, d'exercer les activités qui lui plaisent, vous pensez bien qu'elle ne laisse personne indifférent. Cette affirmation insensée de ce sentiment de liberté lui confère une sorte de pouvoir, qu'elle semble être la seule à détenir. Dévoiler le texte masqué
Et c'est de ces ombres, que chacun porte en soi, de cette brume nébuleuse qui étouffe la réalité, dont il est question, de cette exploration de tout ce pan de l'existence qui reste inaccessible à l'un mais perceptible pour l'autre. Dévoiler le texte masqué
Et la magie de Drago Jančar opère. Chapitre après chapitre, les pièces du puzzle se mettent en place, l'opacité du mystère se dissipe doucement pour laisser progressivement place à cette clarté, la révélation ultime, brute et terrible. À chaque chapitre, à chaque voix, les événements se précisent jusqu'au levé de voile final, détonnant, sidérant. Ce n'est pas une totale surprise, il est vrai puisque l'auteur slovène, par le biais de ses personnages, réussit à nous conduire habilement sur la voie de la vérité. Mais les mots agissent comme une véritable caisse de résonance et l'ignominie des événements nous frappe une ultime fois avant le k.o. final. Ce n'est pas seulement Veronika, mais Leo et tous ces personnages secondaires qui gravitent autour d'elle contribuent largement à la réussite de ce roman: L'amant, un peu rustre, tout militaire qu'il soit, la mère perd la raison, le personnel du manoir qui ne cessent de s'affairer autour du couple. Tous s'associent les uns les autres pour faire de ce roman une oeuvre unique.
Avec, en trame de fond, une période de transition, au croisement d'une fin de guerre et du début d'un autre asservissement. Une ombre de pays, de ce qui sera cinquante ans plus tard la Slovénie, tiraillé entre plusieurs volontés impérialistes qui s'attachent à ne considérer que leurs propres intérêts. Des habitants eux-mêmes pris en étaux entre la volonté de limiter la casse et de conserver tout ce qui fait leur identité, leur religion, leur langue. Les nazis, les communistes soviétiques ou titistes, les nationalistes slovènes, tout un petit monde se combat, se déchire et s'arrache des pans de pays, pour le résultat que l'on connaîtra, une fédération yougoslave. Et chacun, avec sa propre vision tronquée des choses, la voie du juste peut-être biaisée et parfois difficile à reconnaître, et ne restent que les regrets, cette incertitude pesante d'avoir fait, peut-être, les mauvais choix. Tout n'est pas que noir ou blanc dans cette lutte contre l'oppresseur envahissant et à force de combattre cet autre, à quel point ne finit-on pas au même niveau que son ennemi? Quand bien même la cause pour laquelle on combat est juste, n'arrive-t-il pas un moment où sa raison d'être s'efface devant l'atrocité des actes commis, tout n'est pas justifiable. Et lorsque la limite est franchie, il est trop tard pour revenir en arrière, les images des gens s'effacent peu à peu, la mémoire perdure et pèse lourd autant que le fardeau de ses regrets. le tourment lancinant de l'erreur qui alourdit la conscience, le désespoir infini de ne pas savoir, de ne jamais savoir. Il faut apprendre à vivre avec le poids de la culpabilité. On touche ici les tensions intimes de l'homme, qui vacille entre la voix de la raison et de la sagesse et la voix de sentiments plus obscures, moins honorables. Nous observons la violence d'un pays envahit, pillé, morcelé, qui se répercute sur ses habitants, violence enfouie quelque part en eux et qui peut resurgir à tout moment. Malgré eux. Draco Jančar prend garde de ne pas répondre à la question de la responsabilité des morts, laisse le soin au lecteur d'y réfléchir par lui-même, même si la question paraît, il est vrai, insoluble. Que devienne les « si j'avais su » face à cette menace perpétuellement larvée à chaque coin de route, qui rend l'homme peut être davantage perméable qu'en temps normal.
On ressent un fort sentiment patriotique, face à ce pays qui éclate, un patriotisme qui émane sans doute du propre sentiment de l'auteur. On saluera également la façon dont la question de la culpabilité est abordée in extenso, en relevant à quel point les personnages se déchargent de leur propre faute au profit d'une faute collective. Personne n'est fautif, tout le monde est coupable. Si chacun s'acharne tellement à s'exonérer de sa propre responsabilité, cela apparaît au contraire bien comme un aveu de culpabilité. Si le semblant de société au château, qui réunissait des personnages de tout horizon, explose et prend fin, peut-être faut-il y voir l'allégorie de l'existence du pays même.
Récits de la culpabilité, récit d'une libération qui se transforme en cauchemar, il est de ce roman dont on est heureux d'avoir su trouver au hasard de ses flâneries littéraires sur internet. Rien que pour sa plongée en pleine histoire slovène, il vaut la peine d'être lu. Pardonnez par avance mon insistance, mais je n'aurais qu'une chose à dire: lisez-le, lisez-le, lisez-le! Je pense d'ailleurs relire les nouvelles à la lumière du roman qui m'a permis de me faire une idée plus significative de Drago Jančar et son engagement. Il y a des maisons d'éditions, des collections qui déçoivent rarement, et les Editions Phébus en font décidément partie.
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Une belle adaptation, réalisée par un duo espagnol, d'un des romans fondateurs de la science-fiction, accessible dès 12 ans.
Merci à toutes et à tous pour cette aventure collective
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