Un père à Mobylette avec une échelle et un seau
«On l'appelait Johnny car, lorsqu'il est arrivé des Aurès en 1962, où son père harki a été massacré par le FLN algérien, il aimait Johnny Hallyday. » C'est avec ce bout d'histoire familiale que Clara Breteau décide de mener son enquête et nous...
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Un père à Mobylette avec une échelle et un seau
«On l'appelait Johnny car, lorsqu'il est arrivé des Aurès en 1962, où son père harki a été massacré par le FLN algérien, il aimait Johnny Hallyday. » C'est avec ce bout d'histoire familiale que Clara Breteau décide de mener son enquête et nous offrir un premier roman autobiographique bouleversant.
Curieuse destinée que celle d'un homme, laveur de carreaux, qui a passé sa vie à effacer des traces, à rendre les vitrines des magasins de L'Avenue de verre à Tours propres, lisses, immaculés. Cet homme est le père d'Anna qui le voit régulièrement passer sur sa mobylette, affublé de son échelle et de son seau. Pourtant elle ne sait pas grand-chose de lui, car il vit seul et que, même si elle sait où il habite, il ne lui viendrait pas à l'idée de lui rendre visite. Restent les questions : « pourquoi il est parti et dans quelles circonstances, quelle a été sa guerre, et de quel trou, de quel camion bâché auraient fait irruption, s’il s'était mis à raconter, les membres, la peur, le sang. » Alors Anna essaie de savoir et de comprendre. « Elle parle à des amis de son père, des anciens collègues, des familles arrivées d'Algérie à la fin de la guerre, comme lui. Elle sait qu’elle oublie vite, alors elle note, collecte. Pour, dit-elle au début, lutter contre le silence. » Elle veut tout savoir des non-dits et des tabous qui ont accompagné cet homme qu'un entrefilet de La Nouvelle République présentait en quelques lignes : « On l'appelait Johnny car, lorsqu'il est arrivé des Aurès en 1962, où son père harki a été massacré par le FLN algérien, il aimait Johnny Hallyday. »
Rassemblant les pièces du puzzle, elle comprend que dans sa soif d'émancipation d'une famille rigide et violente, sa mère se soit jetée au cou de ce Johnny, le premier homme rencontré qui ne ressemblerait pas à ceux de sa famille. Que se marier avec cet immigré sonnerait pour elle comme une vengeance. Même s'il est dans la logique des choses de voir son grand-père maternel ne pas goûter à cette union. « Lorsqu'il avait appris que sa fille si brillante se retrouvait enceinte d'un Algérien illettré et laveur de carreaux, il ne lui avait plus parlé pendant plus d’une année, Dès le ventre de sa mère et son milieu sonore, Anna avait grandi à l'écart des accents masculins. Quand elle était née, plusieurs mois s'étaient écoulés avant que son grand-père accepte de la rencontrer. »
Un grand-père qui refuse de la voir côté maternel et un grand-père absent côté paternel. Un grand-père, Hadj, ce harki « massacré par le FLN algérien » qu'Anna va rechercher d'Aix-en-Provence à Blois et de Paris à la côte normande, partout où des archives sur l'Algérie sont rassemblées.
Ce qu'elle va découvrir d'une histoire coloniale qui commence en 1830, n'est guère glorieux. Mais que peut-il y avoir d'honorable dans l'asservissement d'un peuple, fut-ce pour lui apporter « les valeurs de la civilisation » ? Au fil de son enquête Anna va découvrir la violence et les massacres. Elle va aussi comprendre la raison du mutisme de son père et la force symbolique de son métier, effacer les traces pour offrir à sa descendance un avenir net et brillant.
Si Clara Breteau a choisi de raconter cette histoire autobiographique à la troisième personne plutôt qu'avec le "je", c'est sans doute pour prendre un peu de distance avec les faits qu'elle a découverts, comme pour les passer au tamis de cette narration.
Mais au bout de son enquête bouleversante, elle va pourtant comprendre que c'est bien dans sa généalogie qu'elle s'inscrit. « Anna le sait maintenant. Elle n’a peut-être pas son nom, sa langue, ni sa culture. Mais elle est bien la fille de son père. »
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici ! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
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