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Après son formidable et multi-récompensé premier roman Solak qui livrait à eux-mêmes une poignée de fauves humains en pleine étendue arctique, Caroline Hinault continue son exploration des confins de la civilisation, cette fois au plus profond et inhospitalier de la dernière grande forêt primaire d’Europe, là où, entre Pologne et Biélorussie, la chasse aux migrants menée par le gouvernement de Varsovie tranche implacablement avec l’hospitalité qu’il accorde par ailleurs aux réfugiés ukrainiens. Plongée dans l’enfer de Białowieża…
Impénétrable, marécageuse et sauvage, soumise à un climat dur et froid aux interminables hivers, la forêt de Białowieża est un paradis pour la faune et la flore qui s’y épanouissent loin de toute influence humaine. Loups, ours, chevaux et bisons s’y heurtent pourtant en son beau milieu à un long et infranchissable mur de béton, acier et barbelés, édifié le long de la frontière polono-biélorusse. La Pologne qui entend barrer le passage aux migrants affluant du Moyen-Orient et d’Afrique a fait de la région une zone de non-droit, décrétant un état d’urgence qui lui permet d’écarter journalistes, ONG humanitaires et organisations internationales. Elle y pratique une traque aux migrants et aux militants qui tentent de leur venir en aide. Nombreux sont ceux qui, lorsqu’ils ne sont pas refoulés, errent jusqu’à la mort dans cet enfer désormais tristement semé de vestiges humains.
C’est en pensant à la Divine Comédie de Dante, dont les cercles entre Enfer et Paradis viennent se mêler au roman, que Caroline Hinault entrecroise dans ce labyrinthe forestier, autant éden que géhenne, le destin de trois femmes. La jeune Alma qui fuit la Syrie avec son frère vient buter sur le mur qui menace de mettre fin à leur épuisant voyage en les jetant, soit dans les bras des patrouilles, soit dans ceux, mortels, du froid et de la faim. Nina, descendue des rêves d’Occident que sa beauté semblait lui promettre, est revenue habiter cette région désormais « zone rouge », quadrillée par les militaires. Enfin, Véra, journaliste biélorusse en butte à la dictature de son pays, entend faire ici une pause solitaire, le temps d’une saison, pour « mettre à distance la saleté du monde » et écrire.
« Quoi d’autre que le taillage des mots pour tenter d’habiller ou déshabiller le réel et parvenir à tracer en soi une poéthique de la contre-horreur ? »
« Ecrire et lire me semblent de plus en plus un exercice de couture sociale, une contre-frontière nécessaire, qui relie en silence les êtres vivants. Lire et écrire, c’est finalement imiter ce que font les arbres depuis toujours : synthétiser les particules du monde pour les transmuer en oxygène. »
Armée du style direct et des images percutantes qui lui permettent si bien de nous prendre aux tripes, l’auteur nous électrise d’une narration hantée par les grandes préoccupations de notre siècle, alors que politiques et enjeux écologiques se heurtent de plus en plus sur le front de crises environnementales et migratoires. Embrassant l’ensemble de la problématique au travers de trois figures, une migrante, un témoin local et un regard extérieur, sa peinture à la fois réaliste et poétique nous étreint de son extrême intensité pour finalement trouver l’espoir entre nature writing, célébration des pouvoirs de contre-feu de la littérature et étincelles d’humanité subsistant même sous la plus épaisse couche de cendres.
Sans reproduire tout à fait le choc de son hypnotisant Solak, Caroline Hinault n’en réussit que mieux à nous étreindre le coeur avec ce second roman aussi addictif qu’impactant.
Un huis clos, dans un paysage ouvert à l’infini, sauvage et glaciale, des personnages qui sont face a eux même, les comportements sont décortiqués, un livre profond, haletant, à couper le souffle. La tension monte avec la colère et la rage du narrateur. Une plume brutal, singulière et poétique. Un final qui vous percutera frontalement, éblouissant.
"Depuis le temps, je connaissais ça par cœur, les grandes vagues vertes et violettes piquées de blanc, les ondulations qui vous ensorcellent le regard avec leur roulis magnétique, même si c’est comme tout, cette beauté-là, il faut se méfier de son envers. Grizzly et le gosse tendaient le cou, attirés eux aussi par la créature mouvante qui leur échappait tellement que, sous leur cagoule, je les devinais entrouvrir la bouche comme des enfants de chœur, espérant peut-être recueillir sur la pointe de la langue un bout de confetti lumineux, une poussière d’hostie astrale qui les ramènerait dans le monde des vrais vivants."
"Le gamin a pas répondu, son visage avec quelque chose d'abîmé, de déjà vieux, de déjà mort même j'ai pensé. Il est passé devant nous en portant un carton. J'ai repensé à ses yeux comme deux brochettes de glaçons. Fin comme une aiguille, mais ça puait l'écorché. Le coriace. Les emmerdes je me suis dit."
Je ne m'attendais pas du tout à cette histoire !
Cette écrivaine est vraiment une belle découverte.
C'est brut, c'est poignant, c'est intense c'est glaçant.
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