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« Le Pôle c’est aussi ce que j’appelle intérieurement la France ».
« Si vous voulez parler avec Victor Hugo, tapez 1 ».
Si vous voulez parler avec Honoré de Balzac, tapez 2 ».
« Si vous voulez parler avec Samuel Beckett, tapez 3 ».
« Le Centre d’appel des écrivains perdus » de Aymen Gharbi est un roman social, engagé et existentiel. On aime d’emblée le titre qui déploie tel un éventail, un plaidoyer pour la littérature. L’antidote aux désillusions. Il entraîne avec lui ce récit stimulant, fondamental et stylistiquement un viatique. Oualid au fil des pages va s’émanciper. Atteindre son idéal. Jeune adolescent, fils unique, qui vit à Nabeul, une ville du nord-est de la Tunisie. Son rêve est d’aller vivre dans une ville empreinte de culture en France. Il aime la littérature.
« En me mettant à la lecture, j’adopte l’idée de madame Memmi, qui est ravie, de déniaiser l’enfant de la télé superficiellement cultivé que je suis ».
Il dévore les livres. Regarde des films au cinéma ou bien il loue des vidéos. Il s’impose un rituel, pressent en lui un vide à combler. Les bibliothèques comme l’Alcazar. Un havre où chaque degré sera pour lui un escompte hyperbolique du futur. On est en plongée dans l’idiosyncrasie de la Tunisie. Le frôlement avec les passants, la lumière chaude et pâle qui plonge sur les ruelles poussiéreuses. Il a peu d’amis (es). Oualid est un jeune homme qui cherche avant tout sa destinée au fond de lui-même. « Son deuxième choc esthétique est pour Samuel Beckett. Il rêve d’écrire du théâtre ».
1999, l’année clé où il pense rejoindre le Pôle. Faire ses études universitaires en France. « L’arrêt définitif de toutes les turbulences, une heureuse et paisible fin de l’histoire ».
Ses parents refusent. Première déception, le Pôle recule immanquablement. Lui, qui imagine la France comme le Graal, le cosmopolite universitaire. La chute d’Icare. Les rêves s’envolent. Les frustrations, des flèches en plein cœur. Oualid est atypique, marginal. Ses obsessions sont des obstacles. Il ne conçoit pas le mimétisme. Il s’imagine différent. La littérature est son habitacle, sa Babel, les codes pour s’émanciper. Le foyer universitaire de Tunis ne lui convient plus. Il fera deux heures aller et retour par jour de Nabeul à Tunis pour atteindre enfin sa maîtrise. On aime cet homme grandissant tel l’albatros qui vole plus loin et plus haut. L’osmose avec un auteur, son double qui lui souffle les rimes et les vers. Le grand écart en équilibre en l’être et l’avoir et le maintenant et le futur. L’initiation en accomplissement, le Pôle et ses mirages. Oualid Darfous est enfin à Montpellier. Il poursuit ses études entre les déceptions et les ténacités vénérables. Le choc de l’intégration. L’ubiquité au garde-à-vous. Il a du mal à se fondre dans un système où les diktats font de lui, l’étrange (er). « Je me sens bien, oui, momentanément. Même si mon impression d’être étranger au monde ne s’est pas magiquement corrigée quand j’ai quitté Nabeul pour Montpellier, comme je l’espérais. Bien au contraire ! ». « Ainsi, en plus d’être exotique à ses yeux, je suis un pauvre gars médiocre et sans âme. Un plouc de la mondialisation ! Je saisis enfin que je serai toujours étranger, où que j’aille, en Tunisie, en France, dans n’importe quel Pôle ». La chute sera terrible. Mais Oualid va résister. Affronter les adversités, sauter dans la flaque des aspérités. Lire enfin une annonce dans un journal francophone « Le Centre d’appel des écrivains disparus recrute ». Tunis lui ouvre les bras. Pour lui ce sera : « Si vous voulez parler avec Samuel Beckett, tapez 3 ».
La trame coopère. On ressent un regain. Oualid va enfin renverser le décor (théâtral). Être à Tunis et répondre aux appels, Beckett macrocosme. La France se déplace en Tunisie.
Finement politique, sociologique, et particulièrement raffiné et subtil, ce livre est une satire qui dévoile merveilleusement les a priori, les faux-semblants et les convictions comme un château de cartes qui s’écroule. Mais Oualid est intelligent, vif, intuitif, il fera du Centre d’appel des écrivains disparus la passerelle pour sa renaissance. Un beau pied de nez à l’adversité. Ne pas dire dans quel pays. Puisque l’histoire devient universelle. Sachez que ce livre donne des forces. L’obsession cardinale d’atteindre le cœur même de la littérature. « Le Centre d’appel des écrivains disparus » est un symbole fort, salutaire, le fronton. Beckett, celui qui réveillera la confiance d’Oualid en lui-même. Ce livre est une ode à la Littérature en majuscule, aux rencontres généreuses et altruistes. On referme doucement ce livre grave et beau, salvateur et bienfaisant en espérant nous aussi : tapez 3. Publié par les majeures Éditions Asphalte.
Il est étudiant et rêve de création. Ecrire des textes pour le théâtre. La voie est cependant semée d’embûches quand le seul chemin pour attendre cet éden est l’université à Tunis, pour lui qui rêvait d’accomplir son destin en France. Mais les parents ont été formels, pas d’études à Paris avant le Master. Et quand cette échéance arrive, c’est Montpellier qui l’accueillera. Si la gloire n’est pas d’actualité, l’amitié voire l’amour compenseront pour un temps les rêves chimériques.
Puisqu’aucun espoir ne semble se profiler, le retour au pays s’impose, et la recherche d’un moyen de subvenir à ses besoins. C’est là qu’intervient le curieux projet d’un français, qui veut donner aux tunisiens l’occasion de converser avec des pointures de la littérature, disparus depuis longtemps…
Le sujet est intéressant et original, et le propos se veut léger pour monter les difficultés de s’introduire dans un milieu où l’on ne connait personne. Les absurdités de l’ANPE, les quiproquos amoureux, tout cela prête à sourire. On aurait cependant aimé que soit développé le projet fou du centre d’appel, pour lequel je reste un peu sur ma faim
Roman initiatique très actuel, écrit avec grâce et désinvolture, pour une lecture agréable.
160 pages Asphalte 3 mars 2023
Mais qu’auraient bien pu dire les grands écrivains disparus à propos de nos préoccupations actuelles ? Non, ce roman ne répond pas à la question mais l’idée est intéressante et humoristique.
Originaire de Nabeul, petite ville sur la côte est de la Tunisie, Oualid est enfant unique et passionné de culture française. Son ambition est de faire une carrière théâtrale en tant que comédien ou auteur, en rejoignant le Pôle, terme qu’il utilise pour désigner la France.
Las des continuelles disputes entre ses parents, il prend l’habitude de croquer les comportements des habitants de sa ville, ce qui l’exerce à la pratique de l’écriture. Malgré l’avis contraire de son père, il entreprend des études de théâtre à Tunis puis après être diplômé, il rejoint enfin, non pas Paris mais Montpellier pour poursuivre ses études. Le désenchantement le ramènera en Tunisie où il finira par répondre à l’annonce d’un centre d’appels particulier.
En effet, il s’agit de permettre aux correspondants de pouvoir interroger des écrivains disparus, sur tous les sujets, même touchant l’actualité. En plus de deux autres comédiens chevronnés qui incarnent Balzac et Hugo, il s’identifie à Samuel Becket.
En cette veille de la Révolution de Jasmin, les exactions policières du gouvernement Ben Ali sont insupportables à la population. Et ce qui devait arrive, le centre d’appels devient indésirable. Mais les contacts liés pendant cette période vont permettre à Oualid de rebondir et de pouvoir enfin vivre de sa passion entre le Pôle et son pays.
Voici un livre rapide et facile à lire, d’une écriture chargée d’humour et de critiques sur le monde qui nous entoure. Beaucoup de sujets sont abordés (la relation avec l’ancien état « protecteur », la lutte pour exister artistiquement, l’arrivée de l’islam radical en Tunisie, la dictature tunisienne) avec toujours un sens grinçant de la formule.
Deux parties dans cet ouvrage :
La première nous parle de la vie d’un jeune tunisien qui souhaite faire aboutir ses envies, de façon assez classique et sans trop de surprise.
Le livre trouve toute sa saveur avec la seconde partie. A partir du moment où Oualid répond à l’annonce du CAED, le récit s’emballe. Les personnages prennent plus de corps, la colère et le fatalisme du peuple tunisien trouve un écho qui suscite l’intérêt dans les disputes des comédiens.
Un bon livre, plaisant et instructif car l’ouverture d’esprit est toujours un progrès pour tous les peuples.
Chronique établie par Gérard G
Lu dans le cadre du prix Orange 2023
Je remercie la Fondation Orange et les Éditions Asphalte de m’avoir permis de découvrir ce roman original et intelligent.
https://commelaplume.blogspot.com/
Si vous aimez les sensations fortes, « La ville des impasses » est pour vous. Attention ! sous ses airs d’un thriller serré comme un café fort, il y a toutes les nuances, cette subtilité hors pair d’une lecture à tiroirs. Ce récit d’aventures, kaléidoscope d’une politique urbaine est signifiant. Cette histoire futuriste, fantastique parfois, complètement déjantée et surprenante est dans la cour des grands. Aymen Gharbi lance les dés ! Attachez votre ceinture ! Nous sommes dans un monde digne d’Edgar Allan Poe. En ce décembre 2042, une ville nouvelle écologique aux impasses visibles et mentales, Xoxox dans les Landes. Un bâtisseur gourou, fou, étrange Gravimal, épouvantail méprisant dont la caricature n’est pas si éloignée que cela de notre contemporanéité. Une femme : Poeletta, déterminée, aux comptes à régler avec cet architecte cauchemardesque. Un carnaval ubuesque, des égouts emblématiques, des tirs, des règlements de comptes. Voilà le côté face, l’adrénaline. Et pourtant ! sous ses airs fictionnels, ce récit caustique est d’un degré certifié. Nombreuses sont les références urbaines, écologiques, les avertissements face aux dictatures invisibles (les impasses). Ce récit fable, décalé, maîtrisé à l’extrême, remet d’équerre nos habitus. Il force le passage. Visionnaire, il pointe du doigt là où ça fait mal. Et sonne l’avertissement de ce qui pourrait advenir de notre civilisation. « Apprendre à toujours se méfier » comme le disait Prosper Mérimée. « La ville des impasses » est dans le versant d’une urgence de lecture. Atypique, brûlant, il met en garde intuitivement. Remarquable. Publié par les majeures Éditions Asphalte.
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