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Les photographies en noir et blanc de Jean Bernaleau, journaliste correspondant au journal Sud-Ouest en Haute-Gironde, nous amènent à revisiter un temps et un espace. Chantal Detcherry, originaire de la région, retrouve à travers elles l'effervescence mais aussi la mélancolie dont sont empreintes les Trente Glorieuses. La France est à rebâtir, les progrès techniques sont là : la campagne et les petites villes changent rapidement et se tournent résolument vers l'avenir. Les images montrent la reconstruction matérielle et mentale d'un pays. On travaille, on entreprend, on bâtit, et on aime aussi à se réunir, à se réjouir ensemble, on savoure la paix, même si les blessures de la guerre sont encore présentes en chacun. Les photos témoignent de ce désir de vie, de cet espoir.
Pour écrire les textes qui accompagnent en autant d'histoires brèves chacune de ces cinquante photographies, Chantal Detcherry s'appuie sur les sources historiques, utilisant les informations souvent léguées avec les photos. Les textes viennent alors augmenter et expliciter les images d'un savoir documentaire. Quand parfois ces photos lui parviennent dépouillées des informations qui auraient permis de mieux les comprendre, l'écrivain se livre à une plongée dans ses propres souvenirs, en connaisseuse de la région et de l'époque. Et si les souvenirs ne suffisent pas, c'est l'imagination qui supplée : les textes alors se font plus fantasques, les associations vont bon train, faisant de ces images les supports d'une contemplation des comportements humains et d'un territoire.
Sur les photos, les gens nous regardent et Chantal Detcherry nous raconte un morceau de leur histoire : c'est une sorte d'effraction bienveillante dans leur vie telle qu'elle fut ou telle qu'on peut la rêver. Ils vivaient, ils fixaient l'oeil du photographe ce jour-là, comme l'écrivait Willy Ronis. Les gens de ce temps-là nous font signe. Les questions affluent, les images appellent. Le portrait d'un inconnu amènera à une songerie sur Nadar, celui d'un laveur de vitre deviendra le symbole même du temps qui efface tout, ceux d'une famille de circassiens nous entraîneront vers les trapèzes et les pistes éblouissantes. On percevra même les notes des comptines naïves et violentes que chantent dans leurs rondes les fillettes de l'école. Ailleurs on découvrira les états d'âme d'un vieil accordéoniste, d'une jeune fille au bal, d'un garçon sur ses patins à roulettes. Les attitudes, les scènes, les visages resurgissent dans les noirs et blancs éternels, ils ne demandent qu'à être explorés. Moments arrêtés. Magie de l'art photographique qui a capté l'éphémère et que Chantal Detcherry s'est plu à accompagner de sa prose poétique. Elle redonne ainsi des instants de vie à ces figures enfuies, elle leur rend hommage en même temps qu'à Jean Bernaleau, leur photographe disparu. Elle et lui viennent ensemble insinuer chez le lecteur le plaisir doux-amer de la sensation du temps qui passe.
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